Il n’entrait pas dans le tempérament de la fière Espagnole de laisser malmener ses fidèles sans réagir. Sachant que l’attaque était encore la meilleure défense, elle alla demander des comptes à son époux.
— Tout cela est indigne ! De la basse police comme le Cardinal l’aime. Que cherche-t-on, à la fin ?
— La preuve de votre collusion incessante avec l’ennemi. Une collusion qui, dans votre cas comme dans n’importe quel autre, s’appelle trahison.
— Trahison ? Parce qu’il m’arrive d’écrire à mes frères ? Ne saviez-vous pas que j’étais espagnole quand vous m’avez épousée ? Il fallait choisir quelqu’un d’autre.
— Je ne vous ai pas choisie. La politique l’a fait pour moi. Cela dit, c’est moins votre correspondance avec le Cardinal-Infant, qui est assez normale en effet dès qu’elle ne dépasse pas l’affection familiale, que celle avec le comte de Mirabel ! Celui-là n’est pas de votre famille, que je sache ?
En dépit de l’angoisse mortelle qu’elle éprouvait, la Reine fit bonne contenance.
— Je n’ai jamais écrit au comte de Mirabel depuis qu’il a été renvoyé de France à la reprise des hostilités.
C’était faire preuve d’aplomb, car elle ignorait si l’on avait trouvé, en fouillant chez La Porte, la cachette où il gardait son chiffre et son cachet, mais apparemment elle avait misé juste. Louis XIII haussa les épaules et lui tourna le dos pour signifier que l’entretien était terminé :
— C’est ce que nous saurons, dit-il seulement. Je vous souhaite une bonne nuit, Madame !
En dépit de son courage, la Reine ne dormit guère cette nuit-là, d’autant qu’avec cette belle opportunité des courtisans, la plus grande partie des femmes de son service d’honneur se découvrirent d’étranges maladies aussi subites qu’incommodantes. Seules restèrent Mlle de Hautefort, Mme de Senecey et Sylvie. La première écumait de fureur :
— Des lâches ou des traîtresses vendues au Cardinal ! s’écria-t-elle. On aura des comptes à me rendre dès que nous serons sorties de ce mauvais passage.
— Si nous en sortons jamais ! soupira Anne d’Autriche.
Mais le pire était à venir. Il apparut le lendemain en la personne du garde des Sceaux flanqué d’un greffier. Chancelier de France depuis un an et demi, Pierre Séguier était le membre le plus en vue d’une grande famille parlementaire. Ce n’en était pas moins, aux approches de la cinquantaine, un parvenu sans manières ni diplomatie, imbu de sa puissance et, en apparence au moins, totalement dépourvu de sentiments. Une lourde machine à faire régner la loi au pied de la lettre, sans nuances et sans souci de ce qu’il lui arrivait d’écraser sous ses gros pieds. Introduit chez la Reine qui le reçut assise dans un haut fauteuil aux allures de trône flanqué de Marie et de Sylvie, il salua avec tout juste ce qu’il fallait de politesse pour une dame mais certainement pas pour une souveraine, détail qui n’échappa pas à l’Aurore dont les beaux sourcils se froncèrent. L’attaque fut immédiate et cinglante.
— Eh bien, monsieur, que venez-vous faire ici avec votre robe rouge et vos papiers ? Ne savez-vous pas qu’il faut obtenir audience pour avoir l’honneur d’être reçu par la Reine ?
— L’urgence, madame, est mon excuse et aussi les ordres que j’ai reçus du Roi.
— Du Roi ou du Cardinal ?
— Du Roi, madame, et je vous prie de me laisser accomplir les devoirs de ma charge. C’est à la Reine que je veux parler, non à vous !
— Eh bien, parlez ! Que voulez-vous ? dit calmement Anne d’Autriche dont la main apaisante s’était posée sur celle de sa fidèle dame d’atour.
— Comme vous le savez, Madame, le sieur La Porte, votre portemanteau, a été arrêté, conduit à la Bastille et soumis à plusieurs interrogatoires, ayant été trouvé en possession de lettres compromettantes.
— Compromettantes pour qui ? Je suppose qu’il s’agit d’une lettre d’amitié destinée à Mme la duchesse de Chevreuse dont j’ai appris qu’elle était souffrante…
— La duchesse est exilée, Madame, et vous ne l’ignoriez pas ?
— En effet, mais cela doit-il porter atteinte à la grande amitié que je lui ai toujours portée… et que je lui garde ? Et le Roi le sait.
— Comme il sait la… tendresse que vous portez à nos ennemis mais…
— Le roi Philippe IV est mon frère ainsi que le Cardinal-Infant, son épouse est la sœur de votre Roi, coupa la Reine avec colère. Les dissensions politiques ne peuvent entamer les affections familiales. Mais peut-être ignorez-vous ce que ces mots-là signifient ?
— Nullement, Madame, nullement. Ma famille reçoit l’affection qui lui est due mais ce qui vaut pour un particulier ne saurait valoir lorsque l’on porte couronne. Seul le Roi, votre époux, Madame, et le royaume doivent occuper votre cœur. Au surplus, garder quelque tendresse à vos frères, le leur faire savoir même ne serait pas un grand crime s’il ne se cachait d’étranges révélations sous les élans du cœur…
Au prix d’un énorme effort de volonté, la Reine éclata d’un rire qu’un observateur attentif eût jugé un peu forcé :
— D’étranges révélations sous… pour le coup, monsieur le chancelier, vous êtes fou !
— Ne le prenez pas sur ce ton, Madame. Votre serviteur a déjà été entendu à plusieurs reprises…
— Il a été interrogé, murmura la Reine qui pâlissait. L’a-t-on…
— Soumis à la question ? Pas encore, mais cela ne saurait tarder s’il continue à s’obstiner. Il a, cette nuit, été entendu par son Éminence qui l’a fait extraire de sa prison afin de l’interroger en personne.
— On peut avouer n’importe quoi sous la torture ! Que ne diriez-vous pas, monsieur, si l’on vous posait les brodequins, si on vous enflait sous des pintes d’eau, si…
— Quand on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à craindre ! émit vertueusement Séguier. Je crains cependant qu’il n’ait beaucoup à se reprocher… et vous aussi, Madame !
Incapable de se contenir, Marie de Hautefort bondit :
— Vous vous adressez à la Reine, monsieur ! Respectez au moins cette couronne dont vous vous dites si fidèle serviteur !
— Je n’en disconviens pas, mais je dois au Roi toute la lumière sur cette pénible affaire. Nul plus que moi ne souhaite trouver Sa Majesté innocente de tout crime, mais nous avons là une lettre…
Sans le regarder, il tendit le bras vers son greffier qui lui remit aussitôt un papier préparé dont la Reine suivit des yeux le cheminement avec une angoisse qu’elle avait peine à contrôler.
— Qu’est-ce que cette lettre ?
— Un… billet plutôt, écrit par la Reine à l’ancien ambassadeur d’Espagne, le comte de Mirabel. Et ce qu’il contient n’est pas de… nature à… apaiser la colère du Roi…
Il faisait mine de relire le document. Poussée alors par une frayeur soudaine, Anne d’Autriche commit une faute grave. Se levant vivement, elle arracha le dangereux papier des mains de Séguier et le fourra dans son décolleté. Surpris par la rapidité de l’attaque, le chancelier resta les mains ouvertes mais, aussitôt, ses yeux se rétrécirent.
— Il faut me rendre ce papier, Madame. Il est d’une importance extrême.
La reine releva le menton avec insolence :
— Quel papier ? Je n’ai vu aucun papier. À présent, monsieur le chancelier, veuillez vous retirer.
Mais Séguier ne bougea pas d’une ligne. D’une voix que la colère enflait peu à peu, il gronda :
— Ne jouez pas ce jeu avec moi, Madame ! Le Roi m’a donné tout pouvoir pour trouver la vérité. Je dois fouiller cet appartement.
— Eh bien, fouillez ! lança dédaigneusement Anne. Vous ne trouverez rien.
— Sans doute, puisque vous vous êtes emparée de ma preuve. Un geste bien irréfléchi, Madame, qui est en lui-même une preuve… Vous allez devoir me la restituer. Sinon…
— Sinon, quoi ? Vous ne pensez pas, j’imagine, porter la main sur moi ?
— Ne m’y forcez pas, Madame ! Je vous l’ai dit : j’ai tous les pouvoirs !
De pâle, la Reine devint blême mais, d’un élan, Marie de Hautefort lui fit une barrière de son corps.
— Vous insultez votre reine ! C’est crime de lèse-majesté…
— Ôtez-vous de là si vous ne voulez pas que je vous fasse saisir par les gardes qui sont devant la porte !
— Ils ne vous obéiraient pas.
— C’est ce que nous allons voir ! Appelez, greffier !
— Non !
La Reine avait poussé ce cri. Elle repoussa doucement sa dame d’atour, ne tenant nullement à voir les gardes se mêler d’une scène si déshonorante, puis elle se tint droite en face de Séguier, le foudroyant de son regard vert :
— Je vous ai déjà ordonné de vous retirer !
— Et moi je vous ai dit de me rendre cette lettre !
Avant qu’elle ait pu faire un geste, il s’était jeté sur la Reine, arrachait le billet caché entre ses seins puis d’une main hâtive tâtait les poches dissimulées dans la robe, mais déjà Marie de Hautefort était sur lui, toutes griffes dehors, et cette fois Sylvie, d’abord pétrifiée de terreur, s’en mêla. À elles deux, elles lui arrachèrent leur maîtresse qui était en train de s’évanouir. D’un geste violent, Marie repoussa le chancelier si brutalement qu’il trébucha :
— Hors d’ici, misérable ! Vous avez fait assez de mal… mais vous en répondrez !
— Je n’ai fait que mon devoir, glapit Séguier qui avait perdu toute superbe et battait en retraite. J’ai obéi au Roi !
— Le Roi est gentilhomme et vous, vous êtes un maraud ! Dehors !
Cette fois, il disparut avec son greffier qui n’avait pas fait un mouvement tout le temps que dura la scène. Sylvie, penchée sur la Reine tombée à terre, s’efforçait de la ranimer.
— Il faudrait un médecin ! s’écria-t-elle. Une pareille injure ! Mon Dieu ! Elle peut en mourir !
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