- Une escalade à présent ? bougonna Rague-nel. Vous ne doutez de rien, décidément ! Je vais vous aider à grimper sur ce mur, mais écoutezmoi bien ! Quand vous rentrerez au Louvre, vous demanderez un congé de quelques jours pour vous occuper de votre vieux parrain qui a besoin de votre guitare pour apaiser ses crises de goutte et vous viendrez les passer chez moi. Avec Jeannette, bien sûr ! Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire...
Elle approuva d'un vigoureux hochement de tête, puis se haussa sur la pointe des pieds pour embrasser Perceval.
- Je ne sais pas du tout comment j'aurais fait sans vous, mon parrain. J'étais si malheureuse !... Peut-être que je me serais noyée ?
À sa façon brutale de la saisir aux épaules, Sylvie comprit qu'il avait peur :
- Je vous interdis jusqu'à la pensée d'une telle abomination ! Personne, vous m'entendez bien, personne ne vaut que l'on meure pour lui...
Un moment plus tard, Sylvie regagnait sa chambre et se déshabillait en hâte pour retrouver son lit. Ce fut alors qu'elle s'aperçut que sa robe était tachée de sang.
Le lendemain matin, elle était si fatiguée que c'est tout juste si elle arrivait à ouvrir les yeux. Pourtant, personne ne s'en aperçut, et pas davantage des quelques bévues dont elle se rendit coupable dans son service. Marie ne cessait de chuchoter avec la Reine et toutes deux semblaient au comble de l'excitation. En outre, Anne d'Autriche, que l'on n'avait pas vue d'aussi bonne humeur depuis longtemps, rayonnait. Ses joues étaient rosés, ses yeux verts scintillaient. Elle avait tellement l'air d'une femme heureuse que Sylvie s'interrogea sur les sentiments qu'elle lui inspirait. Jusqu'à cette nuit, elle l'aimait et la plaignait, mais ce matin, elle se demanda si elle n'était pas en train de se mettre à la détester pour toutes sortes de raisons : cette reine trahissait le pays dont elle occupait le trône, cette femme lui prenait l'être qu'elle aimait le plus au monde...
Cependant, la belle humeur d'Anne d'Autriche ne résista pas à son retour au Louvre. Ce soir-là, le Roi entra chez elle, la mine triomphante, agitant négligemment un papier au bout de ses longs doigts.
- Grande nouvelle, Madame ! s'écria-t-il. J'ai reçu avis de la victoire de nos troupes au Cateau-Cambrésis ! Celles de monsieur votre frère en ont été chassées pour toujours, je l'espère et, pour ce qui est de Landrecies, cela ne saurait tarder !
Les dames présentes applaudirent, cependant que la Reine pâlissait et ne trouvait rien à répondre.
- Eh bien ? reprit Louis XIII. Est-ce là tout ce que vous avez à dire ?
- Vous êtes content, Sire, cela suffit pour que je le sois aussi. Votre santé d'ailleurs semble meilleure ?
En effet, après le départ de Louise de La Fayette, le Roi était resté quelques jours à Versailles, accablé sous le poids d'une douleur si cruelle qu'un accès de fièvre s'en était suivi. Son visage en portait encore les traces.
- Ne vous souciez pas de ma santé, Madame, ricana-t-il en agitant le message sous le nez de sa femme. Ceci m'a fait le plus grand bien. Rien de tel, voyez-vous, qu'une victoire sur l'Espagne pour me rendre des forces et je suis heureux que vous partagiez ma joie. Nous fêterons cela ces jours prochains... tenez ! au château de Madrid [xxi] ! Cela me paraît tout à fait de circonstance.
Ayant dit, il tourna le dos, enflamma le papier à un candélabre et jeta le tout dans la cheminée. Après quoi, il alla prendre Mlle de Hautefort par la main et l'entraîna dans l'embrasure d'une fenêtre comme il faisait naguère avec sa chère Louise.
Le lendemain, tout Paris commentait le retour en faveur de l'Aurore et Sylvie obtenait un congé de quelques jours pour aller soigner son parrain.
- Croyez-vous que ce soit bien le moment d'abandonner votre poste ? gronda Marie qui, adossée à une commode dans la chambre de Sylvie, la regardait se préparer au départ.
- Je n'abandonne pas mon poste : je vais aider quelqu'un que j'aime beaucoup.
- Allons donc ! Pas à moi, ma petite ! Je croirais plutôt que c'est vous qui avez besoin de vous remettre. Les douleurs du parrain sont venues bien à propos après notre séjour au Val-de-Grâce dont vous ne gardez peut-être pas le meilleur souvenir ? J'ai raison ?
[xxi]. Le château de Madrid, dans le bois de Boulogne, a été construit par François Ier en souvenir de sa captivité espagnole.
Quittant sa commode, Marie vint prendre son amie aux épaules pour l'obliger à lui faire face.
- Regardez-moi, Sylvie ! Quand vous vous essayez à mentir cela se lit comme dans un livre sur votre figure. J'ai raison, n'est-ce pas ?
- Oui... Oh ! Marie, essayez de me comprendre ! J'ai vécu une nuit horrible. Je sais, vous allez me répéter que j'étais prévenue et que mon cour était par trop aventuré...
- Non. Ce n'est pas ce que j'allais vous dire. Ce que vous avez souffert, je l'endure moi aussi : je sais ce qu'il en coûte d'ouvrir devant celui qu'on aime la porte d'une chambre qui n'est pas la vôtre.
Brusquement sèches, les yeux de Sylvie s'ouvrirent démesurément.
- J'ai mal entendu ? Vous n'êtes pas en train de me dire que... vous l'aimez, vous aussi ?
- Mais si ! C'est tout à fait cela et je ne suis pas la seule. J'ajoute qu'il n'en saura jamais rien et que, dans le cas contraire, cela ne lui ferait ni chaud ni froid : il n'a d'yeux que pour la Reine et nous ne sommes pour lui que de charmantes amies qui viennent au secours de ses amours.
- C'est insensé ! Pourquoi faites-vous cela ?
- Ce serait trop long à vous expliquer. Je peux seulement vous dire ceci : mon amour n'ayant aucun avenir, je le soumets à celui que je porte à ma souveraine. Je ne veux pas qu'une infante d'Espagne, une reine de France soit chassée, répudiée sur les conseils d'un Richelieu qui la hait d'autant plus qu'il n'a jamais réussi à se faire aimer d'elle.
- Il me semble qu'au contraire vous faites tout pour cela. Que croyez-vous qu'il se passerait si l'on apprenait qui la Reine reçoit dans sa chambre en secret ?
- Mais on ne le saura pas. Nous sommes trois à être dans le secret : vous, moi et La Porte. Celui-ci est plus dévoué qu'un chien, quant à nous deux, nous aimons trop M. de Beaufort pour vouloir autre chose que son bien. Et son bien fait partie du plan que j'ai conçu !
- Un plan ? Mais pourquoi ?
- Parce qu'il plaît à la Reine et qu'il est le seul petit-fils d'Henri IV qu'elle regarde avec des yeux de femme éprise. Vous partez toujours ?
- Oui. Accordez-moi ces quelques jours ! Je suis moins forte que vous et j'ai besoin de me reprendre. D'ailleurs, il me semble que vous pouvez suffire seule à la défense de notre maîtresse, puisque vous êtes en train de reprendre toute votre influence sur l'esprit du Roi.
Hautefort haussa les épaules :
- Toute mon influence, c'est beaucoup dire ! Disons que c'est une chance sur la durée de laquelle il ne faut pas garder trop d'illusions. Le Cardinal souhaitait que le Roi tourne ses regards vers Mlle de Chémerault pour remplacer La Fayette, mais il se trouve qu'elle ne lui plaît pas. Le Roi aurait répondu que " son visage ne lui revenait pas " et qu'à tout prendre, il aimait mieux se " raccommoder " avec moi. Cette reprise-là pourrait bien n'être pas très solide.
- Est-ce que cela ne dépend pas beaucoup de vous ? Vous preniez plaisir, me disiez-vous, à malmener votre amoureux autrefois, d'où sa préférence pour Mlle de La Fayette. Soyez plus douce !
Marie éclata de rire.
- Voyez-moi la jolie prêcheuse ! Il faut me prendre telle que je suis, petit chat, ou me laisser. D'ailleurs, si je changeais, le Roi trouverait cela bizarre. Il est habitué à mes manières.
Sylvie n'insista pas mais en s'éloignant, une heure plus tard, en compagnie d'une Jeannette enchantée, elle éprouva un sentiment de soulagement et de libération. Le vieux Louvre bourré d'intrigues, où ne cessaient de se croiser haines, amours et intérêts de toutes sortes avait quelque chose d'oppressant. Chez Perceval, elle espérait retrouver un peu de la joyeuse insouciance de l'enfance. Un peu seulement, car elle avait pris soin d'emporter la fiole de poison dont le seul contact suffisait à gâcher toute joie mais qu'il lui était impossible de laisser derrière elle. De son côté, Jeannette était au moins aussi contente qu'elle, le contact quotidien avec la domesticité du palais et surtout les servantes des filles d'honneur ne constituant pas une réelle source de félicité.
La chambre tendue de brocatelle jaune où Nicole Hardouin introduisit Sylvie à son arrivée rue des Tournelles plut à la jeune fille au premier regard : elle donnait sur le jardin et n'avait jamais été occupée depuis que Raguenel avait acheté la maison. Il l'avait alors fait repeindre et retapisser dans l'espoir qu'un jour, peut-être, sa fille adoptive pourrait l'habiter. Le soin apporté dans les plus petits détails, comme le miroir de Venise et les jolis objets de toilette en argent, toucha Sylvie : c'était la preuve d'une vraie tendresse et elle en remercia son parrain quand, après le souper, ils se retrouvèrent tête à tête dans le cabinet de Perceval. Mais il refusa les remerciements.
- C'est à moi que j'ai fait plaisir. J'étais heureux d'imaginer qu'un jour vous prendriez possession de cette chambre. J'ai donc tout fait pour vous convaincre qu'ici vous seriez chez vous.
- Vous avez réussi. Je me sens tellement bien ! soupira-t-elle en caressant les bras du fauteuil où elle était assise.
- Mieux qu'au Louvre ?
- Oh ! le Louvre...
Elle eut un geste évasif qui en disait long.
- Vous n'y êtes pas heureuse et c'est ce que je craignais. Je n'étais pas d'accord pour que vous deveniez fille d'honneur si jeune, mais quel moyen avais-je de l'empêcher ? La Reine vous demandait, le duc César y tenait pour je ne sais quelle obscure raison...
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