- ... Qui ne m'aimez pas davantage. Pourtant, monseigneur, vous m'avez montré une grande générosité en me donnant un nom, des biens, une position enfin...
- C'est à la duchesse que vous devez tout cela. Elle est la femme la plus entêtée qui respire encore sur cette terre à présent que sa mère n'y est plus. Mais enfin, je suis satisfait de vous trouver reconnaissante et j'espère que vous saurez me le prouver. Mais... vous n'avez pas répondu à ma question, jeune fille ! Aimez-vous Beaufort comme chacun en est persuadé chez nous ? Ce que j'appelle aimer. C'est oui ou c'est non ?
Sylvie redressa la tête et planta son regard droit dans celui qui la scrutait :
- Oui.
Sans plus, mais avec tant de fermeté que le doute n'était pas possible. Puis, comme César ne disait rien et continuait à la regarder, elle serra très fort ses mains l'une contre l'autre et ajouta :
- Je crois que je l'ai toujours aimé depuis qu'il m'a trouvée dans la forêt et je suis certaine de n'aimer jamais quelqu'un d'autre.
Ce fut dit simplement : une paisible constatation qui n'en possédait que plus de force. Pas un instant Vendôme ne mit en doute sa parole. Il voulut cependant en savoir plus.
- Vous ne supposez tout de même pas que vous pourriez un jour devenir sa femme ? Puisqu'il ne sera pas de Malte, Beaufort ne peut s'unir qu'à une princesse.
- Je sais tout cela, mais point n'est besoin du mariage pour aimer. Point n'est besoin non plus d'être toujours ensemble. Le véritable amour supporte tout : l'éloignement, les séparations, la solitude et même la mort.
- Qui diable a pu vous apprendre tout ça ? s'exclama César surpris par la philosophie de cette jeune fille. Ce bon Raguenel qui fut votre maître ?
- Personne. Je crois, monseigneur, que je l'ai toujours su.
- Eh bien, c'est magnifique, mais il faut voir ce que cela donne dans la pratique et, si je vous ai fait venir, c'est pour juger de la solidité de votre amour. Si Beaufort était en danger, que feriez-vous ?
Le cour de Sylvie manqua un battement, mais elle n'en laissa rien paraître :
- Ce qu'il serait en mon pouvoir pour l'aider.
- C'est ce que nous allons voir ! Il est en danger, fit le duc en appuyant bien sur les syllabes.
- De quoi ?
- De mort si on lui met la main dessus. Ce qui n'est pas encore fait, fort heureusement.
- Mon Dieu ! Mais qu'est-il arrivé ?
- Il s'est battu en duel à Chenonceau et il a tué son adversaire.
Terrifiée, Sylvie ferma les yeux un instant. Elle savait à quel point étaient intraitables sur le sujet les édits de Richelieu. Un duel avait conduit Montmorency-Bouteville jusqu'à l'échafaud. Le terrible Cardinal n'hésiterait pas un instant à y envoyer un petit-fils d'Henri IV. Qui sait même s'il n'y prendrait pas plaisir ?
- À quel propos, ce duel ?
Vendôme hésitait à répondre mais Sylvie, levant sur lui son regard limpide, ajoutait :
- Une... femme ?
- Oui. Mme de Montbazon dont vous ignorez peut-être qu'elle est sa maîtresse, lança-t-il avec brutalité. M. de Thouars en a médit devant mon fils qui ne l'a pas supporté, faisant en cela son devoir de gentilhomme et d'amant. Marie de Montbazon est folle de lui...
- Mais lui en aime une autre, compléta Sylvie. Ce qui est assez dans la nature des choses...
- Une autre ? Et qui donc ?
- Si vous ne le savez, vous devez vous en douter. J'en suis venue à penser que la belle duchesse de Montbazon n'était qu'un magnifique paravent. Et c'est justement cette autre qui aggraverait son cas si d'aventure les hommes du Cardinal mettaient la main sur lui. Où est-il ?
- Je ne vous le dirai pas et, pour l'instant, le duel est encore secret. Cependant, un courant d'air est toujours possible. Si Richelieu l'apprend, il enverra l'un de ses tourmenteurs, Laffemas ou Laubardemont, extorquer la vérité aux témoins ou aux serviteurs. Et ces misérables feraient avouer à saint Pierre qu'il a voulu violer la Sainte Vierge tant leurs méthodes sont abominables. Si Beaufort est pris, rien ne pourra le sauver... sauf peut-être vous ?
- Moi ? Mais que pourrais-je faire ?
Le duc César prit un temps, quitta sa position nonchalante et alla ouvrir une armoire où il saisit quelque chose.
- Vous êtes au mieux, m'a-t-on affirmé, avec le Cardinal ?
- C'est beaucoup dire. J'ai eu l'honneur d'aller chanter pour lui, à trois reprises, dans son palais. Je reconnais qu'il m'a traitée avec une certaine bonté...
- Donc il ne se méfie pas de vous ! C'est excellent !
- Je ne vois pas pourquoi ? demanda Sylvie en qui pointait une inquiétude. Elle n'aimait pas le sourire cruel avec lequel Vendôme considérait ce qu'il tenait au creux de sa main.
- Eh bien, je vais vous ouvrir les yeux et juger, par la même occasion, de la solidité de ce grand amour que vous dites éprouver : si François est arrêté, rien ne pourra le sauver sauf...
- Sauf?
- La mort de Richelieu. Si le danger devient extrême, vous vous arrangerez pour que la Robe rouge vous demande de venir endormir ses douleurs avec votre musique... et vous l'endormirez définitivement.
Cette fois, la gorge de Sylvie se sécha d'un seul coup.
- Quoi ? Vous voulez que je...
- Que vous l'empoisonniez... avec ça ! fit-il en mettant sous le nez de la jeune fille une petite fiole de verre très foncé, soigneusement fermée d'un bouchon à l'émeri. Cela ne devrait pas vous être difficile : j'ai appris qu'à chacune de vos visites, vous buviez un peu de vin d'Espagne et que vous en prépariez un verre pour votre hôte.
Décidément, il savait beaucoup de choses mais Sylvie, emportée par l'indignation, remit à plus tard de s'interroger sur celui, celle ou ceux qui le renseignaient.
- Moi ? Faire une chose pareille ? Verser la mort avec discrétion puis la tendre - avec un sourire, j'imagine ? - à qui me reçoit en confiance ? Pourquoi ne vous adressez-vous pas à un quelconque valet stipendié ? Il y en a une armée au Palais-Cardinal.
- Pour une raison bien simple : Richelieu fait goûter tout ce qu'il mange ou boit. D'ailleurs, c'est un office que vous remplissez sans même vous en rendre compte car vous devez boire avant lui, j'imagine.
- Oui, c'est vrai. Il ne boit jamais le premier. Est-il donc si méfiant ?
- Plus encore. Qu'il aime les chats est certain, mais s'il y en a une telle quantité dans ses demeures, ce n'est pas non plus sans raison. Prenez ce flacon !
- Non. Jamais je ne me prêterai à un acte aussi vil, aussi lâche. Si vous voulez la mort de Richelieu, attaquez-le vous-même, de face et a visage découvert. Vendôme poussa un énorme soupir et haussa les épaules :
_ Je me demande si Raguenel ne vous a pas fait lire un peu trop de romans de chevalerie. De nos jours, il faut tuer ou être tué... A présent, si vous préférez que Beaufort monte sur lechafaud pour y laisser sa tête...
- Non ! Oh ! Dieu, non !
Elle avait crié parce que le temps d'un éclair son imagination lui avait montré l'image affreuse que le duc évoquait.
- Alors, ma chère, il vous faudra choisir entre ce précoce vieillard déjà rongé par la maladie et celui que vous prétendez aimer, mais si Beaufort est arrêté, il vous faudra choisir très vite.
Épouvantée par l'horrible marché, elle tenta de discuter :
- Il ne l'est pas encore ?
- J'en conviens, mais cela peut être dun moment à l'autre et soyez sûre que je vous le ferai savoir.
- Rien n'assure que le Cardinal me rappellera. Il ne l'a pas fait depuis qu'il est au château de Rueil.
- Cela ne veut rien dire. Le Louvre est plus près de chez lui que Saint-Germain de son domaine d'été où il a d'ailleurs d'autres distractions, mais il en reviendra. Si mon fils est pris, on l'enfermera à la Bastille sans doute et ce maudit homme rouge, trop content de le tenir enfin, voudra s'en rapprocher pour jouir plus commodément de ses tourments.
- Dans ce cas, il ne me demanderait sûrement pas de venir chanter. Il aurait, comme vous dites, d'autres distractions...
- Allons donc ! Il voudra jouir de votre angoisse. Vous êtes un ravissant bibelot : ça doit être amusant de voir souffrir un bibelot ?
- Vous êtes à même de vous en rendre compte, monseigneur, fit amèrement la jeune fille, et je n'ai pas conscience que cela vous amuse. Pourquoi Mgr François ne s'enfuit-il pas, s'il craint les gens du Cardinal ?
- Parce qu'il est fou et qu'il prend plaisir à jouer au chat et à la souris, même si c'est lui la souris. Enfin, je crois qu'aucune force au monde ne pourrait le convaincre de quitter la France où son cour a tant d'intérêts. Prenez ça ! Et agissez comme je vous l'ai ordonné en sachant bien ceci : que Beaufort pose sa tête sur le billot et vous ne vivrez pas assez pour le pleurer : je vous étranglerai avec ces deux mains.
- Vous n'auriez pas cette peine, monseigneur, riposta Sylvie. Qu'il meure et je mourrai aussi, sans avoir besoin du secours de vos mains. Vous obéir, c'est signer ma condamnation. Croyez-vous que le Roi me laissera vivre si je tue son ministre ?
- Si vous êtes assez habile, personne ne vous soupçonnera. N'aurez-vous pas bu avant lui ? C'est dans son verre, en versant le vin, qu'il faut jeter ceci. C'est, m'a-t-on assuré, un poison rapide, quelque chose comme l'aqua Tofana chère aux Vénitiens... Et puis, ajouta-t-il avec cynisme, si l'on vous arrête vous aurez au moins la satisfaction de savoir que vous aurez sauvé celui que vous aimez...
Décidément, Sylvie n'avait pas grand-chose à espérer de Vendôme. Elle tendit la main :
- Donnez ! fit-elle seulement.
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