- Il n'y a pas de médecin dans la rue de l'Arbre-Sec. Pour en trouver un, il faut aller rue de la Ferronnerie...
- Ah!
Sylvie n'était pas autrement surprise. La tournure du médecin de cette nuit sentait son gentilhomme d'une lieue en dépit des sévères habits convenant à sa profession supposée. Et un gentilhomme qu'elle croyait bien avoir reconnu... Elle acheva sa prière puis s'en alla acheter des gants comme elle l'avait annoncé. Non qu'elle en eût un grand besoin, mais elle n'aimait pas mentir.
Cet après-midi-là, au cercle de la Reine, il y avait assez peu de monde. Un bruit sorti on ne savait d'où mais que les bavardes de la place Royale se faisaient une joie de colporter chuchotait que le Roi, sur les conseils du Cardinal, songeait à répudier une femme dont il ne parvenait pas à obtenir d'enfant et, sur les conseils de son propre cour, à offrir la place à Mlle de La Fayette. Il n'en fallait pas plus pour que dames et seigneurs se fissent moins assidus. En revanche, Mme de Vendôme fut annoncée. On ne l'avait guère vue ces temps derniers, occupée qu'elle était à soulager les misères qui passaient à portée de son escarcelle. Toujours affairée mais toujours souriante, de nouvelles traces de boue au bas de ses vêtements et même un peu essoufflée d'avoir monté trop vite les escaliers, elle entra comme un boulet de canon et piqua droit sur la Reine.
- Eh bien, duchesse, d'où nous arrivez-vous ainsi ? demanda celle-ci.
- Du bourdeau, Madame [xviii] ! répondit la visiteuse en plongeant dans sa révérence et sans se laisser troubler par l'éclat de rire général qui saluait ses paroles.
- Mesdames, mesdames ! intervint la Reine qui n'avait pu s'empêcher de rire. Vous savez quelle charité profonde pratique Mme de Vendôme en accord, d'ailleurs, avec M. de Paul qui se penche, lui, sur les enfants abandonnés de ces malheureuses. Certaines sont poussées par le vice mais d'autres subissent un odieux esclavage auquel la duchesse essaie de les arracher pour les rendre à la vie honnête.
- Ce n'est pas un mince ouvrage ! grogna Mme de Guéménée. Il faut du courage pour oser descendre dans ces bas-fonds...
- Ou pouvoir se couvrir de l'égide d'une inattaquable vertu, ce qui n'est pas le cas de tout le monde, lança Mme de Senecey en offrant un sourire goguenard à la princesse dont les aventures amoureuses n'étaient un secret pour personne.
[xviii] Nous dirions : du bordel.
Celle-ci devint rouge vif. Ce que voyant, la Reine se hâta de détourner la conversation en revenant à Mme de Vendôme.
- Vous vous faites rare, ma sour ! Et plus encore votre fille qui ne vient jamais. Même vos fils nous délaissent un peu...
- Ne croyez pas cela ! La pauvre Elisabeth est au lit avec la fièvre et un flux de poitrine. Mercour est allé bouder auprès de mon époux à Chenonceau. Il ne se remet pas de la rupture de son mariage avec Mlle de Retz, car il ne comprend pas en quoi il a déplu au Roi...
- Il est bien difficile de savoir ce qui plaît ou ne plaît pas au Roi. Parfois, il faut prendre patience : il lui arrive detre changeant. Et... M. de Beaufort ?
- Parti ce matin pour la Touraine... mais je croyais, ma sour, que vous le saviez ?
- Je ne vois pas comment j'aurais pu le savoir ? fit sèchement Anne d'Autriche en agitant avec nervosité le petit écran de soie servant à préserver son visage des ardeurs du feu.
À son rang parmi les filles d'honneur, Sylvie perdit le fil de la conversation. D'autant que les deux dames baissaient le ton, mais elle en connaissait assez. Son instinct ne l'avait pas trompée : le prétendu médecin n'était autre que François, engagé, pour le service de la Reine, dans une aventure qui pouvait se révéler dangereuse dès l'instant où il s'agissait d'une correspondance secrète entre la Reine et son beau-frère. Si jamais le Cardinal apprenait cela...
Dans les jours qui suivirent, elle revit Richelieu à deux reprises. Mme de Combalet vint elle-même la chercher et la reconduire. Les visites se déroulèrent en tout point comme la première : Sylvie chanta tandis que le ministre caressait l'un ou l'autre de ses chats ; il lui posa une ou deux questions d'apparence banale sur son enfance chez les Vendôme, puis but avec elle un verre de vin d'Espagne ou de malvoisie, avant de la remettre à son guide. À leur dernier revoir, il lui offrit quelques pièces d'or qu'elle voulut refuser, tant il lui semblait pénible de recevoir un salaire. Le Cardinal faillit se fâcher :
- Une jolie fille a toujours besoin de colifichets pour paraître à la Cour. En outre, je ne goûterai pas vos chansons avant quelque temps. La Cour va s'installer à Saint-Germain où le Roi aime à faire ses pâques et je gagne moi-même, dès demain, mon château de Rueil.
Cette nouvelle soulagea Sylvie. En réalité, elle n'aimait guère ces soirées au Palais-Cardinal. Lorsqu'il ne fermait pas les yeux, Richelieu la fixait avec une insistance qu'elle jugeait gênante. En outre, elle s'était trouvée une fois en présence du baron de La Perrière et, en dépit des assurances données par son maître, elle n'avait pas aimé du tout sa façon de se pourlécher en la regardant sans rien dire, à la manière d'un matou qui s'apprête à croquer une souris.
Ce fut d'un cour allégé qu'elle et Jeannette firent leurs préparatifs pour suivre la Reine à Saint-Germain. La jeune camériste, pour sa part, montrait une véritable joie qui intrigua sa maîtresse :
- Pourquoi es-tu si contente ? Tu ignores comme moi si nous nous plairons à Saint-Germain.
- Sans doute, mais j'espère que là-bas au moins on cessera de nous suivre.
- Nous suivre ? Comment l'entends-tu ?
- Comme je le dis : chaque fois que nous sortons pour faire des emplettes ou aller visiter M. de Raguenel, quelqu'un nous suit : un homme qui a l'air d'un valet de bonne maison, de figure avenante, et qui d'ailleurs ne se cache pas. Dès que nous mettons le pied dehors il est là, et quand nous prenons une chaise, il en prend une aussi.
- Et tu n'as pas réussi à savoir qui c'est ?
- C'est difficile. Il ne fait rien de mal, après tout. Il vous suit même quand vous allez, de nuit, au Palais-Cardinal. Je le sais parce que je me suis lancée, moi aussi, à votre suite.
Sylvie se mit à rire.
- Eh bien, nous devions faire un joli cortège ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
- Pour ne pas vous troubler. Après tout, c'est peut-être simplement un amoureux ?
- Nous verrons bien. Désormais, j'ouvrirai l'oil moi aussi.
- Ne vous tourmentez pas, quand nous rentrerons à Paris, c'est Corentin qui s'en chargera. Je lui en ai déjà touché un mot ! N'empêche que je suis très contente d'aller à la campagne. Je m'y sens mieux que partout ailleurs.
Et Jeannette s'en alla plier les jupons de Sylvie pour les ranger dans une malle.
CHAPITRE 7
LA NUIT DU VAL-DE-GRÂCE
- Il y en a encore eu une cette nuit, annonça Théophraste Renaudot en rejoignant Perceval de Raguenel sous la voûte du Grand Châtelet par laquelle on gagnait le Pont-au-Change en venant de la rue Saint-Denis. C'est la troisième depuis deux mois.
- Et qui était-ce ?
Le gazetier haussa les épaules :
- Une fille follieuse comme les autres fois, une de celles qui prétendent rester libres et ne comprendront jamais qu'elles sont ainsi plus exposées.
- On peut la voir ?
- On peut. Venez !
Ils pénétrèrent dans la partie droite de la vieille forteresse où la morgue se trouvait au bas des escaliers menant aux salles de justice. C'était, fermée par une porte à guichet permettant de voir à l'intérieur, une salle basse, étroite et malodorante, où l'on exposait les corps des noyés retirés de la Seine et ceux découverts au hasard des rues. Ils restaient là dans leur nudité tragique jusqu'au passage des religieuses hospitalières du proche couvent Sainte-Catherine qui les couvriraient d'un suaire avant de les emporter pour les enfouir au cimetière des Saints-Innocents.
Ce jour-là, il y avait deux corps : celui d'un vieillard qu'un pêcheur avait ramené dans ses filets et celui d'une jeune femme dont l'aspect fit frémir Perceval. Mince, exsangue, c'était le cadavre d'une fille aux longs cheveux noirs qui lui rappela vaguement Chiara.
- Comme les autres, elle a été égorgée, commenta Renaudot. Et comme les autres, il y a cette chose.
Il désignait le cachet de cire rouge apposé au front de la malheureuse.
- La lettre oméga ! murmura Perceval.
- Eh oui ! C'est une bien étrange histoire. Mais venez ! Ne restons pas là. Bien que j'en aie l'habitude, ce lieu me donne toujours la chair de poule.
Ils retrouvèrent l'air libre avec un certain soulagement, encore que les abords de la Grande Boucherie répandissent eux aussi un parfum peu agréable, mais la Seine, grosse et blonde, charriait, en ce mois de mai, des senteurs d'herbe fraîche et de marée.
- Vous alliez chez moi ? demanda Renaudot.
- C'est lundi, répondit Raguenel en se forçant à sourire. Et vous savez l'intérêt que je prends à vos colloques...
Ils s'engagèrent entre la double rangée de hautes maisons abritant orfèvres et changeurs qui bordaient le Pont-au-Change afin de rejoindre, sur l'île de la Cité, le Marché-Neuf et la rue de la Calandre. Théophraste Renaudot résidait là, à l'enseigne du Grand-Coq, dans une grande maison où il trouvait le moyen d'entasser sa famille, les bureaux de la Gazette, un accueil pour les miséreux - il n'en manquait jamais aux abords de Notre-Dame et de l'Hôtel-Dieu - et une grande salle où, depuis le 22 août 1633, se tenait chaque lundi ce qu'il appelait " la Conférence ". C'était une idée tout à fait neuve que cette réunion où, sans distinction d'âge ni de condition, chacun pouvait venir exposer son sentiment et ses idées sur un sujet choisi à l'avance. Et Renaudot, après quatre années de cet exercice, était parvenu à attirer chez lui nombre d'habitués - des bourgeois pour la plupart - qui pensaient plus loin que le fond de leur bourse et qui s'efforçaient, ensemble, de donner des réponses aux questions touchant le bien ou le mal se posant à leurs consciences d'hommes. En fait, Renaudot apportait une contrepartie plébéienne à ces " cabinets de recherche et de curiosités " qui se tenaient chez de grands personnages - principalement les parlementaires comme le président de Mesme et M. de Thou - dont la fortune permettait recherches et achats d'ouvrages scientifiques. Les femmes n'étaient point admises, mais elles avaient leurs propres cénacles où se réunissaient précieuses et beaux esprits.
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