- Où étiez-vous donc passé, mon cher duc ? dit la Reine en lui offrant sa main. Voilà des jours que l'on ne vous a vu.
- J'étais à Chenonceau, Madame, auprès de mon père dont la santé n'est pas des meilleures.
- Malade, le duc César ? C'est difficile à croire. On l'imagine mal dans cette situation.
- L'ennui le ronge, Madame. Au point que je me demande parfois s'il n'en pourrait pas mourir.
- On ne meurt pas à Chenonceau, ce serait extravagant ! Je connais peu de demeures aussi aimables. Sans compter que le temps y est plus doux qu'ici.
- Et pourtant, il préférerait cent fois Paris, ses boues, ses neiges, ses puanteurs et ses incommodités, puisqu'il pourrait s'y mettre au service de Votre Majesté !
- Ne soyez pas trop courtisan, mon ami : cela ne vous va pas. Puis, changeant de ton pour s'adresser à la jeune femme : " Et vous, duchesse, nous donnerez-vous des nouvelles de monsieur le gouverneur de Paris ? "
- Il a la goutte, Madame ! Une excellente occupation que je pourrais recommander à M. de Vendôme contre les idées noires. Mon époux sacre, jure, explose à longueur de journée, bat ses domestiques mais ne s'ennuie pas un instant.
Le ton désinvolte indiquait assez que la belle dame ne se préoccupait guère de son époux. Mariée à dix-huit ans à Hercule de Rohan-Montbazon qui en comptait soixante et était pourvu de deux enfants, Marie d'Avaugour de Bretagne se souciait peu d'une fidélité qu'elle jugeait d'autant plus hors de saison qu'aucune des femmes de la famille ne la respectait. En effet, l'un des deux enfants d'Hercule n'était autre que la remuante duchesse de Chevreuse, qui se trouvait être plus âgée que sa belle-mère et qui continuait de collectionner les amants, l'autre étant le prince de Guéménée, l'un des esprits les plus vifs de son temps mais dont la femme, présente ce jour-là chez la Reine, en faisait tout autant. Certains esprits malins se demandaient si, entre ces trois femmes d'une même famille, il n'existait pas une compétition. En tout cas, on rapprochait, depuis quelque temps, les noms de Marie de Montbazon et de François de Beaufort sans que ni l'un ni l'autre fît rien pour démentir. Cela, Sylvie l'ignorait. Elle remarqua seulement que la Reine n'avait pas l'air d'aimer beaucoup la belle duchesse qu'elle laissa rejoindre sa belle-sour Guéménée. Mais elle retint le jeune homme :
- Nous recueillons d'étranges bruits à votre sujet, François, dit-elle entre haut et bas. Vous songeriez à demander la main de la fille de Monsieur le Prince [xvi].
- Il faudra bien que je me marie un jour, Madame. Pourquoi pas elle ? Cette jeune fille a au moins l'avantage d'être belle, répondit le jeune homme avec un sourire que Sylvie, figée sur son coussin, jugea d'une odieuse fatuité.
- Monsieur le Prince ne voudra jamais de vous. Lui et votre père se détestent. Et puis, que dirait Mme de Montbazon ? ajouta la Reine avec une pointe d'aigreur qui fit pétiller les yeux de Beaufort.
- Il ne faut pas prêter l'oreille à tous les potins, Madame. La duchesse de Montbazon n'a d'autres droits sur moi que ceux de toute jolie femme sur un homme de goût...
- On dit pourtant que vous l'aimez ? François se pencha et, cette fois, sa voix descendit au murmure.
- Mon cour n'est à personne, Madame, sinon à vous. Comment regarder seulement une autre femme lorsque la Reine est là ? Si je suis arrivé avec Mme de Montbazon, c'est simplement parce que je l'ai rencontrée au bas du Grand-Degré...
Il se pencha davantage et, cette fois, Sylvie n'entendit plus rien en dépit de son oreille fine. Elle en avait assez entendu. Au bord des larmes, elle posa sa guitare puis, glissant de son coussin, réussit à se relever sans que les deux interlocuteurs s'aperçussent de son départ. D'ailleurs - et c'était cela qui la
[xvi] On appelait ainsi le prince de Condé.
peinait, François n'avait même paru remarquer sa présence. Un meuble ! Voilà ce qu'elle était devenue pour lui, sans doute.
Décidée à regagner sa chambre, elle se dirigeait vers la porte quand elle se heurta à Mlle de Chémerault :
- Eh bien, fit celle-ci sèchement, où donc pensez-vous aller ?
- Chez moi, mademoiselle. La tête me tourne un peu : ce bruit, ce monde, ces parfums.
- Vous voilà bien délicate ! Croirait-on pas que vous êtes née dans quelque palais pour faire ainsi la difficile ? Retenez ceci : les filles d'honneur ne peuvent s'éloigner de la Reine que si elle le permet. Alors, retournez d'où vous venez et n'en bougez plus !
- Certainement pas ! protesta Sylvie. Sa Majesté s'entretient en aparté avec M. le duc de Beaufort. Mon devoir envers elle ne m'oblige pas à me montrer indiscrète. En outre, je n'ai pas d'ordres à recevoir de vous ! Laissez-moi passer !
- Mais voyez-moi l'insolente ! Ma petite, vous apprendrez qu'ici les fortes têtes n'ont pas leur place ! Obstinez-vous et j'informerai qui de droit de votre conduite. Vous pourriez bien ne pas faire long feu ici...
- Pensez-vous que cela m'importe ? Je n'ai qu'une envie, c'est de m'en aller... Ôtez-vous de là !
N'écoutant plus que sa colère et son chagrin, Sylvie allait foncer droit devant elle quand une main vigoureuse s'empara de son bras et la fit pivoter sur ses talons. Elle se retrouva alors nez à nez avec François qui riait de bon cour :
- Eh bien ! On dirait que nous avons conservé nos bonnes manières d'entrer en fureur dès que l'on s'avise de nous contrarier ? Serviteur, mademoiselle de Chémerault ! Confiez-moi cette jeune rebelle ! Je la connais depuis longtemps et saurai bien la ramener à la raison.
- Je crains qu'il n'y ait fort à faire. A-t-on idée aussi d'introduire au Louvre une fille à demi sauvage ?
François offrit à la demoiselle un sourire narquois :
- À demi sauvage ? Mais soyez sûre qu'elle l'est tout à fait, mademoiselle. Comme d'ailleurs le plus grand nombre de ceux qui vivent ici où la civilisation se fait rare si j'en juge par ceux, ou celles, qui ne rêvent que de tordre le cou à leurs semblables.
Puis, sans attendre une quelconque réaction, il entraîna Sylvie dans l'embrasure d'une fenêtre et là redevint sérieux.
- Êtes-vous devenue folle, Sylvie ? Vous n'avez plus quatre ans, que je sache, et je croyais que l'on vous avait appris à vous conduire dans le monde ?
- Oh ! je sais me conduire ! Je n'en dirais pas autant de vous, monsieur le duc. Tout à l'heure j'étais assise aux pieds de la Reine et vous ne m'avez pas accordé plus d'attention que si j'étais un... un chat comme vous dites !
Devant la colère de la petite, François retrouva son sourire.
- Allons, chaton, ne miaulez pas si fort ! Savez-vous que la Reine vous appelle déjà " le petit chat " ?
- Elle vous a parlé de moi ?
- Eh oui, mais moi c'est d'elle que je veux vous parler. Vous l'ignorez sans doute, Sylvie, mais elle est en danger. Le Cardinal la hait et veut sa perte. Il l'entoure d'espions...
- Je sais. Mlle de Hautefort qui est si belle m'a déjà parlé.
- Oh ! celle-là, c'est la fidélité même ! Le Roi a été très épris d'elle sans jamais oser la moindre privauté. Je dois dire qu'elle menait un jeu cruel, ne cessant de se moquer de lui. Un jour où, ayant reçu un billet que le Roi voulait lire à tout prix, elle l'a glissé bien en évidence dans son décolleté en le mettant au défi de venir l'y prendre...
- Et il l'a pris ?
- Oui. Avec les pincettes de la cheminée ! La belle Marie ne lui a jamais pardonné. Et puis Mlle de La Fayette est arrivée et il n'a plus vu qu'elle. Au point que je soupçonne la Reine d'en être jalouse. Pourtant, elle sait bien que la pauvre fille n'acceptera jamais de servir le Cardinal à ses dépens. Comme elle aime sincèrement le Roi, on dit qu'elle songe au couvent pour n'être plus tentée de céder à l'un ou à l'autre. Ah ! voilà mon ami Fiesque ! Un charmant garçon ! Il faudra que je vous le présente-Les coq-à-1'âne de Beaufort commençaient à être célèbres mais Sylvie, qui savait depuis longtemps à quoi s'en tenir, le ramena à la réalité :
- Vous étiez là, il me semble, pour me parler de la Reine. Pas de M. de Fiesque. Alors que vouliez-vous me dire ?
Le ton était sec. Le duc prit un air contrit.
- Pardonnez-moi ! Je voulais vous demander d'ouvrir bien grands vos jolis yeux et de me faire tenir un message par votre Jeannette chaque fois qu'il se passera quelque chose de bizarre. Qu'elle retourne de temps en temps à l'hôtel de Vendôme n'étonnera personne et, là-bas, il y aura toujours de garde l'un de mes deux écuyers, Brillet ou Ganseville. Eux sauront où me trouver.
Dans leur encoignure de fenêtre, François et Sylvie étaient tellement occupés qu'ils ne s'aperçurent même pas de l'entrée du Roi. À demi cachés qu'ils étaient par les rideaux, personne ne vit qu'ils avaient oublié de saluer. Ce fut seulement quand la voix de Louis XIII se haussa pour couvrir tout l'espace du grand salon qu'ils s'y intéressèrent.
- Mesdames, disait le Roi, nous partons demain pour Fontainebleau. Nous ferons étape à Villeroy !
- Miséricorde ! gémit François. Voilà tout mon plan par terre ! Fontainebleau ! En plein mois de janvier et par ce froid ! C'est à n'y pas croire !
- Vous ne venez pas !
- Eh non ! Seules partiront les maisons du Roi et de la Reine. Autrement, il faut être invité. Et je ne le serai pas...
- Pourquoi, selon vous, devons-nous aller là-bas ?
- Je n'en ai pas la moindre idée. Peut-être le Roi veut-il s'isoler davantage avec Mlle de La Fayette et, par la même occasion, couper la Reine de ses amis parisiens. Oh ! je n'aime pas ça ! Je n'aime pas ça du tout !
Il semblait à ce point désolé que Sylvie eut pitié de lui.
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