- Nullement, Sire. Je suis venue lui donner une nouvelle fille d'honneur. Approchez, Sylvie, et venez saluer votre roi : il le permet. J'ai l'honneur, Sire, de vous présenter Mlle de L'Isle. Elle est fort jeune, ainsi que Votre Majesté peut s'en rendre compte, mais elle a été élevée chez moi. C'est assez dire qu'elle est sage et pieuse..
- À merveille, à merveille ! Vous êtes charmante, mademoiselle.
- Le Roi est trop bon, balbutia Sylvie le nez à la hauteur des genoux du monarque, mais il s'éloignait déjà et, non sans surprise, la jeune fille le vit s'approcher de Mlle de La Fayette et l'entraîner dans l'embrasure d'une fenêtre pour lui parler de fort près. Le regard qu'elle leva sur Mme de Vendôme posait une question que ses lèvres n'osèrent formuler. La duchesse fronça le sourcil :
- Ici, mon enfant, vous ne devez rien voir, rien entendre, rien rapporter. Et surtout ne jamais formuler de questions ! murmura-t-elle.
- Dans ce cas, madame la duchesse, il aurait mieux valu la mettre au couvent. Je reconnais que la Cour n'est pas fort gaie ces jours-ci, mais il est possible d'y passer le temps assez agréablement.
Une jeune fille d'une vingtaine d'années, grande, très belle, avec de superbes cheveux blonds, de magnifiques yeux bleus et un teint éclatant, venait de se mêler à la conversation. Mme de Vendôme lui sourit :
- Vous êtes plus âgée que Sylvie, mademoiselle de Hautefort, plus avertie aussi des choses de la vie et de la Cour où vous évoluez comme un poisson dans l'eau. Celle-ci n'a pas encore quinze ans... Tout ce qu'elle souhaite, c'est servir la Reine de son mieux.
- En ce cas nous serons amies. Je la prends sous ma protection et lui apprendrai tout ce qu'il faut connaître. Vous savez mon dévouement à Sa Majesté, ajouta plus gravement Marie de Hautefort. Puis, baissant la voix jusqu'au murmure : " Venant de chez vous, il m'étonnerait fort qu'elle ait appris son catéchisme chez M. le Cardinal. Et la Reine a besoin de serviteurs sûrs. Quand le Roi se sera retiré, je la conduirai dans l'appartement des filles. Vous savez que nous n'avons pas de surintendante depuis que Mme de Montmorency s'est retirée au couvent et je veille sur ce bataillon turbulent. Cette jeune fille est tout juste celle... "
Sylvie n'entendit pas la fin de la phrase. En effet, la dame d'atour avait tiré la duchesse un peu à l'écart. Elle n'essaya pas de les suivre et en profita pour observer le Roi.
Louis XIII n'était pas beau mais il possédait cet air de majesté naturelle que donne le port de la couronne. Grand et mince, de tournure élégante en dépit du fait qu'il appréciait surtout les habits de chasse et les tenues militaires, il avait un long visage maigre encadré de cheveux noirs descendant jusqu'aux épaules et partagés en deux sur le milieu d'un front intelligent. La bouche charnue s'ornait d'une belle moustache et d'une " royale ", cependant que les yeux noirs, le grand nez bour-bon composaient une physionomie que le Greco eût aimé peindre. Sa santé était mauvaise, en dépit du fait qu'il passait à cheval une bonne partie de son temps, car il souffrait d'entérite chronique. Timide avec les femmes, il n'en possédait pas moins un caractère indépendant, ne tolérant aucun empiétement sur ses prérogatives royales et, s'il accordait à présent pleine confiance au cardinal de Richelieu, c'est uniquement parce qu'il avait reconnu en lui un homme de gouvernement exceptionnel. Et, comme son ministre, Louis XIII savait se montrer impitoyable...
Cependant, en le regardant se pencher sur Louise de La Fayette pour lui murmurer des mots qui, visiblement, enchantaient la jeune fille, Sylvie pressentit le charme que pouvait dégager cet homme un peu terne au milieu de son entourage de magnifiques seigneurs. Quant à Louise, elle était fine, jolie sans doute, mais rien de comparable avec l'éclat d'une Chémerault - Sylvie devait apprendre bientôt qu'on l'appelait " la Belle Gueuse ", ce qui était tout un programme, tandis que l'on surnommait Mlle de Hautefort " l'Aurore ", ce qui était amplement mérité...
Tandis que cette dernière la conduisait vers l'appartement des filles d'honneur situé au rez-de-chaussée du palais, Sylvie, avec la franchise ingénue qui la caractérisait et sans plus se soucier des recommandations de Mme de Vendôme, osa remarquer :
- Comment se fait-il que le Roi soit occupé de Mlle de La Fayette alors qu'il y a tant de belles dames autour de lui ?
- C'est tout simple, ma chère : il l'aime et, surtout, elle l'aime. C'est une aventure qu'il n'a pas connue souvent...
- Mais enfin, la Reine ?
- Ils se sont aimés un temps, quand leur mariage est devenu réel, il y a une vingtaine d'années. Depuis, ils ont aimé ailleurs, l'un et l'autre, mais, ne vous y trompez pas, Louise de La Fayette n'est pas la maîtresse du Roi. Pas plus que je ne 1> . *. s ai été...
- Il vous a aimée, vous aussi ? Voilà qui est moins étonnant. Vous êtes si belle !
Un compliment sincère fait toujours plaisir. Marie de Hautefort paya celui-là d'un éclatant sourire et, glissant son bras sous celui de la nouvelle venue :
- Oui, mais moi je l'ai mené à la baguette et je ne suis pas certaine qu'il n'en vienne pas à me détester. Sans doute parce que j'aime trop la Reine ! C'est une femme merveilleuse.
- Et Mlle de La Fayette l'aime, elle aussi ?
- Moins que le Roi, mais c'est une âme pure, fière et désintéressée, fort attirée par Dieu. Elle a beau aimer le Roi - de tout son cour, j'en suis certaine -, elle n'acceptera jamais le rôle de favorite royale qui lui fait horreur. On dit qu'elle pourrait bientôt nous quitter pour le couvent. Le Cardinal l'y pousse d'ailleurs par le truchement de son confesseur...
- Le Cardinal ? En quoi est-ce que cela le regarde ?
- Oh ! en beaucoup de choses ! C'est du moins ce qu'il estime. Louise appartient à une grande famille d'Auvergne où l'on n'apprécie guère Son Éminence. Cependant, celle-ci ne désespérait pas de faire de Louise sa créature. Comme elle ne s'y est pas prêtée, Richelieu la fait pousser vers le couvent parce qu'il craint trop son emprise sur le Roi. Elle pourrait combattre la sienne.
Sylvie sentit une petite inquiétude lui coincer la gorge :
- Est-ce que Son Éminence a essayé aussi avec vous ?
- Au temps où le Roi me distinguait ? Bien sûr, mais je ne suis pas de celles qui se laissent mener par le bout du nez et je le lui ai bien fait comprendre. Si un jour le Roi s'occupe de vous, cela vous arrivera aussi, ajouta-t-elle en tirant l'une des boucles de la jeune fille.
- Dieu m'en préserve ! s'écria celle-ci d'un air si horrifié que sa compagne éclata de rire. Mais je suis tranquille, je ne suis pas assez belle...
- Vous êtes un charmant fruit vert pour l'instant. Mûrissez et nous verrons ce qu'il en sera. Vous voici chez vous, ajouta-t-elle en ouvrant la porte d'une petite chambre dans laquelle Jeannette, arrivée avec les bagages, s'occupait déjà à défaire les coffres. Pour ce premier soir installez-vous et, avant tout, débarrassez-vous de cette boue ! Vous souperez chez vous mais tenez-vous prête : je viendrai vous chercher pour le coucher de la Reine.
" L'Aurore " allait s'éloigner et Sylvie eut tout à coup l'impression qu'elle emportait avec elle toute la lumière de ce jour si triste et si froid. Elle eut un geste vers elle :
- Je voudrais vous dire merci. C'est si bon à vous de vous soucier de la petite provinciale que je suis !
- Provinciale ? Alors que vous avez été élevée chez les Vendôme ? Dites un peu au duc de Beaufort qu'il est un provincial ? J'aimerais être là pour voir sa réaction...
Le nom de François prononcé sans que rien l'y eût préparée fit virer Sylvie au rouge brique. Elle perdit contenance et cela n'échappa pas à l'oil vif de sa compagne dont les beaux sourcils se relevèrent, tandis qu'elle éclatait de rire. Mais elle prit entre ses doigts fins le menton de Sylvie afin de scruter un regard soudain éperdu :
- Ma parole, vous aimez le beau François, petite personne ? Il n'y a là rien d'étrange puisque vous avez dû grandir dans ses entours et qu'il a tout ce qu'il faut pour séduire. Vous a-t-il déjà fait la cour ?
- Oh ! non, madame ! Je ne suis qu'une petite fille pour lui et, depuis son retour des Pays-Bas avec son frère et M. le duc, je ne l'ai guère vu : avec les voyages, les campagnes, la vie d'un jeune prince est fort éloignée de celle d'une orpheline élevée par charité. J'avais quatre ans quand Mme de Vendôme m'a recueillie après la mort de mes parents et l'incendie de notre château. Elle m'a gardée chez elle. Une autre m'aurait mise au couvent... et j'aurais été très malheureuse.
- On peut aimer Dieu et ne pas souhaiter grossir la troupe de ses épouses. Je suis, pour ma part, de ce sentiment-là. Mais revenons-en à M. de Beaufort : vous aurez ici le loisir de le rencontrer tout à votre aise.
Les beaux yeux noisette s'illuminèrent :
- Il vient souvent ?
- Très. Autant que vous l'appreniez maintenant, il est la coqueluche des dames et la Reine elle-même le voit avec un vif plaisir. Alors, gare à votre petit cour ! Vous devriez lui choisir un héros moins sollicité.
- Heureuse êtes-vous s'il vous est possible d'ordonner à votre cour, moi je ne puis. Mais, par grâce, madame, gardez-moi le secret...
- Il vous a échappé et je n'ai fait que l'attraper, je vous le rends. C'est à vous de le mieux garder. Voyez-vous, je puis être odieuse à qui me déplaît mais ce n'est pas votre cas. Je vous offre une amitié, Sylvie de L'Isle : ne la trahissez pas !
- C'est un mot que je ne connais pas. Je serai heureuse et fière d'être votre amie !
- Voilà qui est bien ! J'avais besoin de quelqu'un comme vous : nous ne serons pas trop de deux pour servir la Reine et l'aider dans les instants difficiles qu'elle passe en ce moment.
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