- Cela conviendrait à un bourreau.
- Mais à un bourreau lettré, et je ne crois pas qu'il en existe.
- Un juge, alors ? Beaucoup sont cultivés.
- Sans doute. Pour ce que j'en sais, ce ne sont pas gens à se salir les mains et, d'après le récit de la petite servante, il les a noyées dans le sang, ses mains. Je gage qu'il ne sera pas facile à trouver et, dans l'état actuel des choses, je ne saurais vous engager à chercher plus loin.
- Pourtant, j'ai juré de venger Mme de Valaines et ses enfants. Il est vrai que ma seule piste, à présent, est ce garde nommé La Ferrière. Celui-là ne sera pas bien difficile à débusquer et je...
Se penchant brusquement, Bassompierre posa sa main sur celle du blessé.
- Je ne vous le conseille pas, et même, si vous voulez m'en croire, vous cesserez à l'avenir toute recherche. À moins que vous ne souhaitiez aggraver les malheurs de la maison de Vendôme... et peut-être mettre en danger la petite fille qui a échappé au carnage.
- Moi ? À Dieu ne plaise ! Cependant, je ne vois pas en quoi...
- Les deux affaires se touchent. Comme par hasard l'attaque du château a eu lieu dès que le Cardinal se fût assuré de la personne des princes, car, ne vous y trompez pas, c'est lui qui les a fait saisir : il lui a suffi pour cela de lâcher le mot " complot ". Vous êtes pieds et poings liés, mon ami !
- Ne puis-je rien faire ? gémit Raguenel au bord des larmes.
- Si : attendre !
- Attendre quoi ? La mort du Cardinal ?
- Elle viendra bien un jour. Sa santé n'est pas florissante, tant s'en faut et, depuis qu'il détient le pouvoir, il s'aiguise plus de poignards, en France, qu'au temps de la reine Catherine et des guerres protestantes. L'attente ne sera peut-être pas longue ?
- La chance le protège. Et puis, le croyez-vous capable d'avoir ordonné un tel massacre dirigé contre une femme et des enfants ? Il faudrait qu'il soit un monstre...
- Je ne le connais pas assez pour en juger. Je ne l'aime pas et j'y suis même opposé de toutes mes forces, mais ma tête m'est chère et j'aimerais en jouir encore quelque temps.
- Vous êtes un ami du Roi, un maréchal de France. Il n'oserait.
- Il a bien osé jeter en prison les frères du Roi ! Et aussi le prince de Chalais qui accuse tout le monde pour qu'on lui fasse grâce. On dit qu'il a avoué avoir voulu tuer Richelieu. Il sera sûrement jugé en premier et nous verrons ce qu'il adviendra de lui. Quel âge a la petite fille que le jeune Martigues a sauvée ?
- Pas tout à fait quatre ans.
- Pauvre enfant ! Quoi qu'il en soit, elle a le droit de vivre...
- J'ai juré à la mémoire de sa mère de la protéger. Et la meilleure façon de le faire, c'est encore d'abattre ses ennemis...
Bassompierre hocha la tête d'un air découragé :
- Vous êtes breton n'est-ce pas ?
- En effet et j'en suis fier. Pourquoi ?
- Tête dure ! Je me tue à vous expliquer qu'il faut vous tenir en repos. Que Richelieu ait ordonné lui-même le massacre - ce qu'à Dieu ne plaise et que je refuse de croire - ou que l'homme chargé de récupérer les lettres de cette reine stupide en ait profité pour régler ses propres comptes, de toute façon la simarre pourpre se profile derrière cette horrible histoire. Et maintenant, acceptez un conseil : pour commencer, vous allez achever votre guérison ici. Je vais, moi, rejoindre le Roi à Nantes, mais j'essaierai de savoir ce qu'il est advenu de la duchesse Françoise et en quoi je peux la servir. En partant, je passerai par Vendôme où je préviendrai de ce qui vous est arrivé. Je vous enverrai même votre valet afin que vous ne soyez pas seul quand vous reprendrez les grands chemins. Cela vous va-t-il ?
- Grande est ma gratitude, monsieur le maréchal ! Je ne sais si...
- N'essayez pas de vous expliquer plus avant. Contentez-vous de me donner votre parole d'agir suivant mon conseil et ne rien faire qui puisse porter atteinte au salut de la maison de Vendôme ! Puis-je y compter ?
- J'espère, monsieur le maréchal, que vous n'en doutez pas ? murmura Raguenel vaincu. Vous avez ma parole : je saurai attendre... aussi longtemps qu'il faudra.
Bassompierre lui offrit un grand sourire satisfait et, faute de pouvoir lui taper dans le dos, tapota sa tête d'une main prudente.
- Voilà qui est bien ! De mon côté, je fréquente assez le bel air et les gens de plume pour arriver peut-être à savoir qui est le personnage qui ose se prendre pour l'Ange exterminateur et sème des oméga sur ses cachets. À vous revoir, mon garçon !
Et, ramassant le feutre emplumé de bleu qu'il avait jeté négligemment sur un coffre en entrant, le maréchal opéra l'une de ces sorties tumultueuses qu'il affectionnait, laissant son hôte forcé prendre enfin la sage résolution de se rétablir aussi vite que possible afin de pouvoir rejoindre son poste dès que Corentin pointerait sa figure de renard rusé sous les lambris dorés de sa chambre.
À Vendôme, cependant, la petite Sylvie commençait à oublier ce qui, pour elle, ressemblait davantage à un cauchemar qu'à une réalité. L'ange était arrivé pour l'emmener dans un endroit magnifique plein de belles dames et de beaux messieurs. Depuis, elle avait appris certaines choses bien agréables. Par exemple, qu'il n'y avait aucune crainte à garder au sujet du séjour terrestre de monsieur Ange : il s'appelait François et il était adorable avec elle ; il l'installait sur son cheval pour l'emmener promener le long de la rivière sans s'occuper des récriminations de son frère aîné, il courait avec elle dans les prés, il lui racontait des histoires et puis, en lui disant bonsoir, il plaquait de gros baisers sur ses joues en disant qu'elle sentait la pomme et l'herbe fraîche. Deux choses qu'ils appréciaient autant l'un que l'autre. Vraiment, elle l'aimait beaucoup, et tous les jours un peu plus car auprès de lui elle se sentait protégée.
Sylvie aimait bien aussi Elisabeth qui jouait avec elle comme avec une poupée en se donnant des airs de petite maman. Elle lui apprenait à manger sans se salir, elle lui essayait des robes de son invention qu'une femme de chambre ne cessait de coudre aux dimensions du petit corps potelé et passait de longs moments, armée d'une brosse, à tenter de lisser les boucles brunes, drues et facilement rebelles. À d'autres moments, elle lui apprenait à lire dans un grand livre avec de belles images en couleurs qui fascinaient la petite et puis, bien sûr, elle l'emmenait deux fois par jour à la chapelle afin d'y prier pour tous les absents, surtout pour deux personnages mystérieux portant des noms trop compliqués pour la mémoire de Sylvie. On priait encore pour sa mère dont on lui avait dit qu'elle était partie pour un long voyage. Il y avait aussi de la belle musique et cela compensait un peu la longueur des stations qu'il fallait faire à genoux sur les dalles, les mains jointes... Enfin, un beau soir, Jeannette était arrivée au château et Sylvie en avait éprouvé un vif plaisir parce que c'était la fille de Nounou et qu'elle jouait souvent avec elle quand son service - assez léger il faut le dire ! - lui en laissait le temps.
Cette nouvelle arrivée mit un comble aux angoisses de Mme de Bure qui faisait un peu office de maîtresse de maison en l'absence de Mme de Vendôme. Est-ce que celle-ci, dont ladite absence se prolongeait de façon inquiétante, approuverait que l'on recueille ainsi tous les échappés de La Perrière ? Il est vrai que sa charité était inépuisable et qu'il ne s'agissait, après tout, que d'une petite servante que l'on trouverait toujours à employer au service d'Elisabeth.
De leur côté, François et sa sour s'attachaient à leur protégée. Son babil et ses réflexions enfantines, l'affection qu'elle leur montrait les distrayaient un peu de l'anxiété où les plongeait, chaque jour davantage, l'absence de nouvelles. Même leur mère ne donnait aucun signe de vie et, comble de bizarrerie, le chevalier de Raguenel semblait s'être dissous dans la nature. Tout ce qu'avait pu dire son valet en ramenant Jeannette, c'était qu'il était parti en direction de Paris sans préciser où il allait, se contentant d'indiquer qu'il rejoindrait à Vendôme. Or on l'attendait toujours...
L'inquiétude commune rapprochait les deux cadets de leur frère aîné dont ils savaient qu'en cas de malheur il deviendrait le chef de famille. Une lourde charge lorsque l'on n'a que quatorze ans ! Louis n'envisageait pas sans frémir de recevoir sur les épaules un aussi lourd héritage. Qu'il faudrait peut-être défendre, de surcroît, et contre qui ? S'il s'agissait du Roi et de son redoutable ministre la partie était perdue d'avance, se disait l'adolescent avec désespoir, même si la ville de Vendôme se massait tout entière derrière son duc. Ce qu'il fallait espérer car, sans cela, le jeune Mercour s'imaginait mal retranché dans l'immense château demeuré résolument féodal en dépit du logis, à peine plus aimable, construit au siècle précédent par son aïeule paternelle Jeanne d'Albret, et de celui, nettement plus riant, que le duc César faisait bâtir mais qui sortait seulement de terre. Évidemment, il était possible d'y tenir longtemps car la prévoyance du duc César avait rempli les magasins de victuailles, d'armes, de munitions, et les souterrains donnaient accès à une source abondante située au niveau de la vallée. Mais s'il voulait frapper son demi-frère au cour plus sûrement encore qu'en lui enlevant la Bretagne, le Roi ne manquerait pas de s'en prendre à Vendôme, symbole du titre ducal et plus chère à César que tout le reste. Il aimait sa ville, et Dieu sait pourtant que s'y faire admettre n'avait pas été facile !
Même trente-sept ans après, Vendôme n'oubliait pas le traitement que lui avait fait subir, en novembre 1589, l'héritier choisi du roi Henri III mort assassiné le 1er août précédent. Henri IV, encore protestant à cette époque, s'était emparé de la ville qui lui appartenait par droit d'héritage mais qu'avaient prise les ligueurs du duc de Mayenne. Et Vendôme s'était battue pour l'usurpateur, grave faute dont le Roi l'avait punie en la livrant au pillage, y compris les églises et les couvents. Le gouverneur Maillé de Benehart fut décapité et, Dieu sait pourquoi, le portier du couvent des Cordeliers pendu.
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