— Oui... j’étais dehors... j’avais besoin...
Il bredouillait mais déjà elle s’activait à arracher le linge trempé, caressant plus qu’essuyant les muscles durs avant de se couler à nouveau contre lui non sans s’être, d’un rapide mouvement, débarrassée de ses dentelles humides. Dans un geste dérisoire pour la repousser, Guillaume sentit contre sa paume la rondeur soyeuse d’une épaule, contre sa peau celles, affolantes, de deux seins arrogants. Le corps de Lorna semblait fait de satin tiède. Il était la source offerte aux lèvres desséchées d’un homme mourant de soif et, quand la jeune femme colla sa bouche à la sienne, elle aspira le peu qui lui restait de volonté. Sans rompre le baiser, il la poussa sur le lit, acheva fébrilement de se dévêtir et s’abattit sur elle. Incapable de se contenir plus longtemps, il s’empara d’elle avec une violence qui arracha à la jeune femme un cri de douleur vite changé en un ronronnement heureux...
Ils firent l’amour pendant des heures sans un mot, chacun d’eux attentif à découvrir les secrets du corps de l’autre et à en tirer un plaisir toujours plus aigu. C’était comme s’ils ne pouvaient se rassasier. Les forces de l’homme semblaient inépuisables, réveillées d’ailleurs par la femme qui, avec une science subtile, leur redonnait vie lorsqu’elles semblaient faiblir... Pourtant il finit par s’endormir.
Peu de temps avant l’aube, Lorna réveilla Guillaume.
— Il faut que tu redescendes, mon amour !... Ton gardien ne doit rien soupçonner.
— Tu... tu as raison...
Titubant de fatigue, il ramassa ses vêtements à l’aveuglette et regagna la salle. Le feu s’était éteint. Il y faisait froid. Frissonnant, il s’enfouit sous les couvertures et s’anéantit à nouveau dans un sommeil profond. De son côté, Lorna remettait quelques bûches dans sa cheminée, s’étirait voluptueusement puis retournait s’étendre dans son lit... Elle souriait. Quelle nuit !... et quel amant ! Elle avait toujours été certaine que ce serait une expérience inoubliable pour l’un comme pour l’autre. Elle l’était plus encore à présent : sans doute ne serait-il plus besoin de recourir à la petite fiole contenant un liquide à base de cantharide pulvérisée dont elle avait réussi à faire glisser quelques gouttes dans le vin de Guillaume tandis qu’à sa demande il allait tisonner le feu et remettre un peu de bois. Le résultat s’était révélé miraculeux, cependant Lorna considérerait comme une injure à son charme s’il lui fallait s’en servir encore. L’homme qu’elle avait voulu si ardemment ne pourrait plus jamais lui échapper...
Sur cette grisante certitude, elle s’endormit à son tour.
Lorsqu’elle descendit vers le milieu de la matinée, fraîche et rayonnante, elle vit tout de suite que Guillaume l’était beaucoup moins. Il se tenait debout, jambes écartées, mains nouées dans le dos, devant l’une des petites fenêtres et ne se retourna pas au bruit allègre de talons hauts sur les marches de l’escalier. Tout dans son attitude criait la mauvaise humeur.
— Eh bien ? fit-elle gaiement, espérant vaguement qu’il allait venir à elle les bras tendus. Est-ce là votre façon de me dire bonjour ?
— Bonjour ! murmura-t-il et, comme il virait lentement sur lui-même, elle eut un peu peur devant ses traits tirés et ses yeux injectés de sang qui l’enveloppaient d’un regard lourd de rancune : celui d’un loup malade et d’autant plus hargneux. Il désigna la table sur laquelle se trouvaient du pain, du beurre, du miel et des tasses dont l’une avait servi.
— Installez-vous et mangez ! Je vais vous chercher du café. Ensuite nous partirons...
Sans même attendre sa réponse, il gagna la cuisine mais, quand il revint armé d’une cafetière, elle était toujours à la même place, debout sur la dernière marche de l’escalier, une main sur la rampe.
— Vous n’êtes pas encore assise ? aboya-t-il. Qu’attendez vous ?
— Que vous me parliez sur un autre ton !
Vibrante d’une colère chargée de déception, la réplique partit comme une flèche et atteignit son but. D’un geste las, Guillaume déposa le récipient d’argent puis alla reprendre son poste devant la fenêtre. Tout de suite, alors, elle fut près de lui ce qui le fit frissonner, fermer les yeux et cependant dilater les narines : elle sentait la jeunesse, les fleurs... l’amour, subtil mélange où, la veille, sa raison s’était enlisée. Pourtant, quand elle parla, ce fut avec beaucoup de gentillesse :
— Que vous ai-je fait, Guillaume ? Dois-je demander pardon pour ce qui s’est passé ? Je ne me souviens pourtant pas de vous avoir violé ?
— Non. Ce serait plutôt moi et je devrais vous offrir des excuses mais je ne sais lesquelles sinon que j’ai dû devenir fou à un moment ou à un autre. Cela tient à ce que j’avais envie de vous à un point inimaginable...
— Je peux très bien imaginer, au contraire : j’avais la même...
— C’est impossible ! Comprenez donc ! Lorsque je vous ai entendue crier, je me suis senti heureux, délivré puisque je pouvais courir vers vous. Le diable m’envoyait le prétexte dont j’avais besoin.
— Laissez le diable où il est c’est-à-dire bien loin de nous. N’avez-vous pas été heureux ?
— Si... divinement !
— Et ce matin vous ne l’êtes plus ?
— Non... Je me dégoûte. Quel homme suis-je donc pour avoir osé cette infamie : posséder la fille de mon frère.
— Oh, ne recommencez pas avec cette sottise ! Elle est indigne de nous. Sachez-le, Guillaume, vous n’avez fait que prendre ce qui vous appartenait déjà. Depuis le premier regard, j’ai été à vous... Et regardez-moi, s’il vous plaît ! Osez me regarder en face ! ajouta-t-elle en le prenant aux épaules.
— Voilà !... Je vous regarde.
— Que voyez-vous ?
— La pire tentation que j’aie jamais subie. Une femme...
— Qui t’aime avec passion ! Une femme qui a tout quitté pour toi, qui t’a voulu de tout son être et qui tremble de joie depuis qu’elle est tienne. Si tu savais comme je t’aime, Guillaume !...
Les larmes emplissaient ses yeux. Cependant elle souriait et ce sourire mouillé n’en était que plus rayonnant. Elle ajouta alors, presque bas :
— Est-ce que je ne devrais pas être déjà dans tes bras ?... Ou bien n’as-tu plus du tout envie de me donner le baiser que j’attends ?
Jamais elle n’avait été plus sincère qu’à cet instant : de toutes les fibres de son corps, elle appelait cet homme conquis de haute lutte et qu’elle voulait garder. Cette vérité triompha : incapable de résister plus longtemps à l’enchantement, il l’attira contre lui et prit sa bouche longuement, retrouvant avec une sombre délectation les divines sensations de la nuit.
Le bruit des pas de Perrier qui approchait et nettoyait ses semelles au racloir de la porte les sépara. Quand il entra, Lorna, assise à table, versait du café dans une tasse qu’elle offrit à Guillaume avant de se servir elle-même. Elle lui sourit en répondant à son bonjour puis elle demanda :
— On dirait que la tempête est finie. J’ai regardé le ciel de ma fenêtre : les nuages vont vite mais ne semblent guère menaçants.
— Le vent a tourné. Peut-être aurons-nous un peu de soleil dans la journée... Est-ce que vous nous restez un peu, Monsieur Guillaume, ou bien dois-je préparer votre voiture avant d’aller ramasser toutes les branches mortes qui jonchent le jardin ?
— Préparez la voiture ! Nous partirons d’ici une heure...
— Non, fit Lorna en se beurrant tranquillement une tartine. Partez si vous voulez. Moi je reste...
Tremaine changea de couleur. Ses sourcils froncés indiquèrent à Gilles Perrier qu’il serait plus discret de s’écarter. Celui-ci sortit donc en marmottant quelque chose de parfaitement indistinct. Aucun des deux n’y prêta grande attention. Cependant, connaissant l’avantage que donne l’attaque, Lorna s’expliquait : elle savait bien qu’à l’origine ils ne devaient faire qu’un aller et retour mais sa décision à elle se trouvait singulièrement modifiée depuis qu’elle avait découvert la maison.
— J’ai envie d’y passer quelques jours, dit-elle. Rentrer aujourd’hui, c’était bon quand je pensais que nous allions dormir dans quelque auberge de campagne, mais à présent je me sens chez moi : il est normal que je désire en profiter un peu.
— Ne jouez pas à ce jeu-là avec moi, Lorna ! On nous attend aux Treize Vents ! Si nous ne rentrons pas, ils vont s’inquiéter.
— Si « vous » ne rentrez pas ! Quant à moi, j’en sais qui seront plutôt contents d’une absence inespérée... Cela dit, je ne joue pas et je vous invite fermement à repartir...
— C’est ridicule ! Vous n’avez pas assez de bagages, pas de femme de chambre...
— Et alors ? Je peux très bien m’en passer et c’est même ce que je souhaite. En outre, sous la garde de M. Perrier et de son chien, je n’ai sûrement pas grand-chose à craindre...
— Ce n’est pas ça qui me tourmente. Vous seriez ici en parfaite sécurité mais...
— Pas de mais ! Enfin, je ne serai pas mécontente de connaître cette Jeannette qui fait des miracles. Je suis certaine de très bien m’entendre avec elle.
Puis, allongeant le bras à travers la table pour saisir la main de Guillaume :
— Passez-moi ce caprice, mon amour... et revenez me chercher disons... dans une semaine ?
— Je ne reviendrai certainement pas ! J’enverrai Daguet...
— Alors c’est moi qui ne reviendrai pas ! Et ce n’est pas une parole en l’air... Ou vous viendrez me chercher seul, comme vous m’avez amenée ou bien... je ne sais pas ! Peut-être prendrai-je racine ici en attendant que quelqu’un veuille bien s’occuper de moi ? acheva-t-elle sur un ton léger accompagné d’un sourire à belle dents qui acheva de désorienter Guillaume...
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