— C’est compris !
Cette fois, le couple disparut salué par un dédaigneux haussement d’épaules de la prisonnière. Demain, si Dieu était avec elle, Marianne serait loin... Néanmoins, elle eut la sagesse de ne pas bouger avant d’avoir entendu le bruit de chaîne qui annonçait que l’on détachait la barque. Pilar s’éloignait. Elle partait pour Paris, pour la vengeance, et Sanchez ne reviendrait pas avant... eh mais ! pas avant deux ou trois jours puisque Pilar avait décidé que Marianne aurait faim !
Quand elle fut certaine d’être bien seule, la jeune femme sortit sa pointe de fourche et attaqua son cadenas, en espérant qu’il serait possible de faire jouer le déclic, sinon il lui faudrait s’en prendre à la poutre dans laquelle la chaîne était attachée par un anneau, afin d’arracher celui-ci. Patiemment, lentement, en s’efforçant au calme pour empêcher ses mains de trembler, Marianne fouilla de sa pointe de fer la serrure du cadenas. Ce n’était pas facile et, durant un long moment, elle crut qu’elle n’y parviendrait pas car si la chaîne était neuve, le cadenas ne l’était pas. Pendant des minutes qui lui parurent interminables, elle s’escrima... Enfin, le bienheureux déclic se fit entendre, salué par une exclamation de joie. Le cadenas s’ouvrait...
Le dégager des mâchoires du bracelet, enlever celui-ci, ce fut l’affaire d’un instant et Marianne, massant son poignet enflé et douloureux, se retrouva libre. Elle en éprouva une telle joie que, comme une gamine, elle se mit à se rouler dans le foin avec ravissement, heureuse de détendre enfin ses muscles et ses nerfs maintenus depuis tant de jours dans une inaction forcée. Quand elle se releva, elle avait chaud mais son sang coulait vif et plein d’énergie dans ses veines. Il fallait maintenant ouvrir la trappe et voir comment il allait être possible de sortir de cette grange tant qu’il y avait encore un peu de lumière car le jour, avec l’automne tout proche, baissait plus vite chaque soir.
Rapidement, elle se mit à dégager la trappe qui apparut bientôt, large et solide. Elle devait être lourde, mais un gros anneau de corde, passé dans deux trous, servait à la soulever. Marianne le saisit, rassembla toutes ses forces et tira... La trappe résista, mais, possédée d’une force nerveuse décuplée par l’aiguillon de la liberté, la prisonnière banda ses muscles, serra les mâchoires et maintint son effort sans souci des morsures du chanvre rugueux dans la paume fragile de ses mains. Lentement, lentement, la trappe se leva jusqu’à la verticale puis retomba dans le foin avec un bruit sourd, découvrant un trou béant au bord duquel Marianne s’agenouilla...
Au-dessous d’elle s’étendait une vaste grange, si haute qu’un léger vertige passa devant ses yeux. Elle avait espéré qu’une échelle serait accrochée sous la trappe et qu’ainsi la descente serait facile. Mais il n’y avait rien... et il ne fallait pas songer sauter sans risque de se rompre les os.
Le cœur battant la charge, Marianne s’assit sur ses talons, cherchant fébrilement une corde... quelque chose qui lui permît de descendre. Hélas, la chaîne qui l’avait retenue si longtemps était bien trop courte et les liens d’osier qui liaient les balles de foin beaucoup trop fragiles pour supporter le poids de son corps ! Mais la captive voulait passionnément sortir de sa prison et l’idée libératrice arriva : ce foin que l’on avait monté ici, elle allait le jeter en bas jusqu’à ce qu’il formât un matelas assez épais pour qu’elle pût se laisser tomber dessus...
Hâtivement, car le jour baissait de plus en plus, elle se mit à faire glisser le foin dans l’ouverture béante, cassant, au moyen de sa pointe de fourche, les brins d’osier afin de libérer les grosses balles. En un instant, le grenier fut transformé en une véritable tempête de brindilles et de poussière, le déplacement de certaines balles en faisant rouler d’autres. Dix fois, Marianne faillit être précipitée dans le trou, mais, peu à peu, sur le sol de la grange, un gros tas de foin s’élevait...
Quand elle le jugea suffisant, Marianne, la gorge en feu, vida le peu d’eau qui restait dans sa cruche, mangea sa dernière pomme. Puis elle alla s’asseoir au bord de la trappe et se laissa glisser...
En arrivant en bas, elle rebondit comme une balle mais sans se faire aucun mal et, aussitôt, roula jusqu’au pied du tas. Cette fois, elle était à terre. Restait à savoir si cette porte de grange s’ouvrirait facilement ou s’il lui faudrait encore avoir recours à sa pointe que, pour plus de sécurité, elle avait jetée à terre avant de s’élancer. Mais, soit confiance dans la prison qu’ils avaient préparée pour elle, soil prudence envers les paysans du domaine qui pouvaient s’étonner de trouver si bien fermée une grange à peu près vide, au cas où ils auraient voulu y entrer, les ravisseurs de Marianne n’avaient pas fermé la porte avec autre chose qu’un loquet.
Avec précaution, Marianne entrouvrit le vantail qui ne grinça qu’à peine et jeta au-dehors un coup d’œil circonspect. Autant qu’elle pouvait en juger, dans la nuit presque totale, il n’y avait pas une âme au-dehors mais, là-bas, au-delà de l’eau qui s’étendait devant elle et enfoui parmi les arbres, le grand château devait briller de toutes ses lumières si l’on en jugeait par les points lumineux qui ponctuaient l’obscurité dense de la végétation. En même temps, elle s’aperçut qu’il pleuvait, chose dont elle ne s’était pas encore avisée avec tout ce qui avait retenu son attention depuis le matin.
Il faisait aussi infiniment plus froid qu’au grenier. Octobre était venu et le beau soleil qui avait brillé durant tout le mois de septembre venait de céder le pas à un temps avant-coureur de l’hiver. Dans sa robe de percale, Marianne eut un frisson, mais il lui fallait quitter cet endroit au plus vite et, courageusement, elle s’élança au-dehors pour faire le tour de la grange. Ainsi qu’elle l’avait pensé, cette remise s’élevait bien dans une île, assez vaste d’ailleurs, et la fugitive se mit à suivre le bord, à la recherche d’une barque. Hélas, à part la grange, des arbres et des fourrés, il n’y avait absolument rien et surtout aucune barque.
« Il va falloir nager, pensa Marianne avec un frisson. Le tout est de trouver l’endroit le plus étroit, en espérant qu’il sera aussi le plus éloigné du château. »
Elle avait bien songé un moment à s’y rendre audacieusement, dans ce château, à se nommer et à demander hautement la protection de la reine Julie quitte à ce que la police la réclamât aussitôt comme son bien. Pilar était partie pour Paris. Une attitude semblable pouvait donner de bons résultats.
Mais Marianne réfléchit aussi que la plupart de ses ravisseurs devaient appartenir à l’entourage royal et que, sous couleur de la défendre, rien ne leur serait plus facile que s’assurer de nouveau de sa personne, cette fois sans espoir d’évasion. De toute façon, avec une robe sale et déchirée et dans l’état où elle se trouvait, elle serait très certainement prise pour une folle et les valets l’éconduiraient sans même lui laisser entrevoir la reine. Le mieux était donc de s’éloigner discrètement et de regagner Paris par ses propres moyens, même s’ils étaient misérables, en évitant les gendarmes et tous ceux dont la méfiance pouvait être éveillée à la vue d’une femme aux allures de vagabonde.
Bien persuadée maintenant qu’il lui faudrait se mettre à l’eau pour quitter son île, Marianne choisit un endroit qui lui parut assez facile à traverser puis, sans hésiter, elle se déshabilla, ôtant tous ses vêtements dont elle fit un paquet. Au moyen de sa ceinture, elle l’attacha sur sa tête.
La pluie avait déjà mouillé sa robe, mais elle serait tout de même plus sèche ainsi qu’après un séjour dans l’eau. De plus, elle savait combien les vêtements pouvaient entraver la nage. Enfin, cet endroit semblait si désert et la nuit si noire qu’elle ne risquait pas beaucoup d’être vue dans un aussi simple appareil. D’ailleurs, à peine dévêtue, elle descendit dans les roseaux qui ceinturaient l’île, écartant avec ses mains les épaisses feuilles charnues des nénuphars. Ses pieds s’enfoncèrent dans une vase gluante qui la fit frissonner mais le sol présentait une déclivité rapide et, tout de suite, il se déroba sous elle. La fugitive, alors, s’étendit sur l’eau et se mit à nager doucement, évitant de faire le moindre bruit. L’eau était froide, mais moins qu’elle ne l’avait cru quand elle y était entrée et elle éprouva un plaisir inattendu à la sentir glisser sur son corps nu après tous ces jours de poussière.
Il y avait longtemps que Marianne n’avait nagé, mais ses bras et ses jambes retrouvèrent d’instinct les mouvements souples et aisés que lui avait enseignés le vieux Dobs. La seule chose vraiment désagréable, dans cet exercice imprévu, était l’odeur de vase que dégageait cet étang. Il y avait aussi le contact furtif des couleuvres d’eau qui frôlaient sa peau nue et qui la révulsaient. Mais la traversée fut courte et, bientôt, les pieds de la jeune femme touchèrent un fond de sable, dur et résistant. La berge était assez haute à cet endroit, et se couvrait de grands arbres, mais, en s’accrochant aux feuilles épaisses des lys d’eau, puis aux branches basses d’un saule, Marianne parvint à la gravir, non sans secouer sur elle une pluie de gouttelettes. Parvenue en haut de la pente, elle remit en frissonnant ses vêtements humides, se rechaussa et partit à l’aventure, dans la profondeur du bois.
La nuit était trop obscure pour qu’elle pût espérer s’orienter, mais ce qu’elle cherchait surtout c’était s’éloigner le plus possible du château. L’immensité du domaine et la sauvagerie de ce bois plein de fourrés et de ronces où elle se déchirait à l’aveuglette lui faisaient espérer qu’il n’y aurait pas, du moins, de mur de clôture à escalader.
Marchant droit devant elle, passant tour à tour d’un spongieux tapis de feuilles à des ornières boueuses, Marianne finit par trouver un sentier. Ses yeux étaient maintenant habitués à l’obscurité et lui permettaient d’avancer en évitant les obstacles les plus pénibles. La pluie ne cessait pas, mais, dans ce bois touffu, elle tombait moins dru que sur les terres à découvert. Longtemps, la fugitive marcha, sans trop savoir où elle allait, cherchant avant tout quelque hutte de charbonnier où s’abriter et se reposer un peu... Elle était transie de froid et tombait de sommeil. Tout ce qu’elle trouva, ce fut un gros rocher en surplomb dont la base offrait un trou peu profond que l’on ne pouvait guère décorer du nom de grotte. Si précaire que fût cet abri, Marianne s’y glissa, se pelotonna comme un chat dans les feuilles sèches et s’endormit comme une masse.
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