Une forme blanche venait à la rencontre d'Angélique. Un bras entoura ses épaules.
– Où étais-tu ? Je t'ai cherchée partout. Oh ! que tu m'as fait peur. Viens te recoucher !
Ne reste pas ici, la lune te fera du mal. Viens, mon amie. Viens, ma sœur !...
*****
Le navire était maintenant à l'ancre. Angélique le sentit à son balancement léger et saccadé. Elle se redressa, appuya son dos las contre la boiserie. Le soleil entrait comme un boulet par l'ouverture. C'était sa chaleur presque incandescente qui avait réveillé la jeune femme. Elle se déplaça pour retrouver de l'ombre. Des bruits violents et confus avaient remplacé le silence de la nuit. Des galopades de pieds nus s'entendaient au-dessus d'elle. Des cris, des coups de sifflet dominant une rumeur de fourmilière bousculée.
– Où suis-je ?
Elle passait ses deux mains sur son visage pour essayer d'effacer le voile qui brouillait sa pensée. Ses doigts lui parurent diaphanes, transparents. Elle ne les reconnaissait pas. Ses cheveux, sur ses épaules étaient fluides, soyeux, et même imprégnés d'un léger parfum. On aurait dit que des mains soigneuses les avaient longuement brossés. Elle chercha des yeux ses vêtements, les vit, bien plies et propres sur le coffre.
– C'est Ellis qui a fait cela. Ellis, cette gentille esclave qui m'appelle : ma sœur.
Elle commença à se vêtir, surprise de sentir le justaucorps flotter autour de sa taille. Ne trouvant pas ses bottes, elle enfila des babouches. Puis elle chercha longuement sa ceinture.
– Oh ! c'est vrai. C'est le pirate qui l'a prise.
La mémoire lui revenait peu à peu. Elle se leva. Ses jambes restaient incertaines. Cependant, en s'appuyant aux cloisons elle réussit à sortir. Le pont où elle déboucha était désert. Le bruit venait de l'avant. Elle s'approcha encore de quelques pas. L'air frais la fit vaciller et elle faillit tomber. Alors elle eut un faible cri d'extase. Une île était là, projetant sur un ciel d'or le profil blanc et pur d'un petit temple antique. Le monument se dressait solitaire au sommet d'une courte montagne mi-verte mi-grise, à la fois rocheuse et luxuriante, qui le portait, comme un diadème couronné d'une perle. Sa blancheur tremblait dans l'air limpide, saturé de lumière. Il semblait un vaisseau irréel prêt à s'élancer vers la sérénité des champs élyséens. Tout alentour de multiples colonnes, dressées comme autant de lis parmi les herbes folles dessinaient le souvenir d'autres temples, d'autres autels disparus. Des ruines !... Le regard d'Angélique descendit le long de la montagne, et trouva sur la rive un village de grossières maisons carrées groupées autour d'un clocher de style oriental. Des hommes et des femmes vêtus de noir, massés sur la plage, regardaient dans la direction du brigantin mouillé en rade. C'était là qu'avait lieu le spectacle. Une porte claqua tout près d'Angélique et un homme sortit brusquement. Il passa près d'elle sans la voir. Elle reconnut sa redingote rouge, un peu déteinte, aux broderies éraillées, et surtout son visage hâlé, marqué de petites rides et qui accusait pour l'instant une expression de colère folle « Le marquis d'Escrainville ». Elle l'avait vu, penché sur elle alors qu'elle se débattait contre une terrible sensation d'étouffement. Ce visage grimaçant lui rappelait des heures de lutte harassante. Elle se recula en se dissimulant de son mieux. Une exclamation près d'elle la fit sursauter.
– Oh ! c'est donc vrai que tu es guérie, s'écriait Ellis... Voilà pourquoi tu t'es levée cette nuit... Te sens-tu mieux ?
– À peu près bien, oui. Mais quel est ce remue-ménage ?
La jeune Grecque s'assombrit.
– Un esclave s'est évadé cette nuit, ce petit vieillard qui était ton ami.
– Savary ! s'écria Angélique tandis qu'une sensation de vide se creusait en elle.
– Oui. Et le maître est furieux parce qu'il tenait beaucoup à lui, à cause de sa science.
Angélique voulut se précipiter vers l'avant, d'où venait la rumeur. Ellis la retint.
– Ne te montre pas... Le maître est fou !
– Il faut pourtant que je sache.
Ellis, résignée la laissa faire. Elles s'approchèrent le plus possible et observèrent la scène en se dissimulant derrière des rouleaux de cordages.
*****
Tout l'équipage du navire était réuni à l'avant, au pied de la dunette, ainsi qu'une foule de gens disparates qui devaient être les esclaves entrevus au fond de la cale. Il y avait des femmes et des enfants, des hommes dans la force de l'âge, des jeunes gens et même des vieillards, toute une humanité blanche, basanée, brune ou noire, vêtue des costumes les plus variés, depuis des solides vestes brodées de couleurs éclatantes des paysans riverains de l'Adriatique jusqu'aux burnous arabes et aux voiles sombres des femmes grecques. D'Escrainville promena sur eux un regard halluciné puis apostropha Coriano, qui montait l'escalier de la dunette de son pas pesant et philosophe.
– Voilà bien où conduit la faiblesse ! hurla-t-il. Je me suis laissé flatter par ce damné vieux corbeau d'apothicaire. Sais-tu ce qu'il a fait ? Il s'est EVADE. Le deuxième esclave qui s'échappe de mon bord en moins d'un mois. Auparavant cela ne m'était jamais arrivé, à moi. Moi qui suis la Terreur de la Méditerranée !
« Ce n'est pas pour rien que j'ai reçu ce surnom. Et il faut que je me fasse rouler par un misérable cloporte dont je n'ai même pas pu tirer cinquante piastres à Livourne et qui m'a embobiné par ses discours jusqu'à me faire traîner dans ces îles de malheur sous prétexte que j'y trouverai la fortune par je ne sais plus quel produit miraculeux qui s'y ramasse à la pelle. Et dire que je l'ai cru, âne bâté que je suis ! J'aurais dû me souvenir que je l'avais recueilli avec ce damné Provençal qui a trouvé le moyen de filer avec son voilier. Une coque de noix que j'avais pris soin de faire radouber pour en tirer bon prix. Jamais on ne s'est moqué de moi de cette façon. Et aujourd'hui l'apothicaire !
– Il a eu des complicités, c'est certain. Soit parmi les sentinelles, soit parmi l'équipage ou les esclaves.
– C'est ce que je vais établir. Coriano, tout le monde est là ?
– Oui, Monsieur.
– Alors, nous allons rire un peu. Ha ! Ha ! On ne se gausse pas longtemps du marquis d'Escrainville. Et si je retrouve un jour ce damné apothicaire je l'écraserai comme une punaise. J'aurais pourtant dû me souvenir que c'était encore ce vieux démon qui nous avait déjà envoyé un caïque par le fond. Allez. Venez tous !
Tout le monde étant là, personne ne bougea. Tous se taisaient, regardant avec inquiétude vers la dunette.
– Cette nuit, un caïque du bord a été détaché et a fui, emportant à son bord un esclave. Quelles étaient les sentinelles qui ont pris la relève durant la nuit ? Il y en a eu six. Que ces six se présentent. Dénoncez-vous. Vous aurez la vie sauve. Le ou les coupables, s'ils se dénoncent n'auront d'autres sanctions que d'être bannis de mes équipages et débarqués dans cette île. Dénoncez-vous avant que j'aie terminé de traduire en italien, en grec et en turc.
Il répéta son discours dans les trois langues. Le capitaine Matthieu se chargea de l'arabe.
Un silence complet tomba sur cette déclaration, coupée par quelques babils de bébés vite rappelés à l'ordre par les mères apeurées. Un des gardes-chiourme se dressa enfin et cria quelque chose.
D'Escrainville et Coriano se consultèrent du regard.
– Ils ne savent rien. C'est classique. Eh bien ! messeigneurs, puisque vous faites les mauvaises têtes vous connaîtrez la punition habituelle. Les sentinelles vont tirer au sort. Celui que le sort désignera comme coupable sera pendu. Pour commencer. Toi là-bas et toi, avancez !
Les deux hommes désignés quittèrent leurs places et montèrent sur la dunette. L'un était un beau Noir, l'autre un type méditerranéen, un Corse ou un Sarde peut-être, aux cheveux clairs près de la peau hâlée.
Aucun ne tremblait. C'était souvent l'usage chez les flibustiers de laisser le sort désigner celui qui devait payer pour la collectivité. Personne ne se dérobait.
– Voici un coquillage du jugement de Dieu, dit d'Escrainville. Face, c'est le dos en l'air. Pile, c'est l'ouverture cannelle en l'air. Face c'est la mort. À toi, Mustapha. Commence.
Les lèvres du Noir bougèrent.
– Inch Allah !
Il prit la coquille et la lança en l'air.
– Pile.
– À toi, Santario.
Le Sarde se signa et lança la coquille.
– Face !
Une indicible expression de soulagement parut sur le visage du nègre. Le Sarde baissa la tête. Escrainville ricana.
– Le sort t'a désigné, Santario. Et pourtant tu n'es peut-être pas coupable ? Si tu avais parlé, tu aurais été épargné. Trop tard, maintenant ! Aux vergues !
Deux marins s'avancèrent et se saisirent de l'homme.
– Attendez, dit le pirate, on ne va pas le laisser partir là-haut tout seul. Aux esclaves, maintenant. Ils n'ont rien vu de l'évasion, rien entendu et naturellement pas un ne parlera. Mais ils paieront aussi et le sort désignera l'un d'eux pour cela. Comme le précédent jugement s'est prononcé contre un chrétien, nous ne tirerons cette fois que parmi les seuls Musulmans.
À peine avait-il achevé la traduction qu'un tollé s'éleva des rangs des captifs maures et turcs. Un homme âgé à la face fine d'Arabe, à barbe roussie par le henné, protesta violemment. Coriano traduisit :
– Il dit que la justice de Dieu doit choisir elle-même entre fidèles et infidèles.
D'Escrainville ricana.
– Bien, bien, mes enfants, la captivité n'éteint pas vos querelles de croyants. Eh bien ! Que ce vieux muezzin lance la coquille. Si c'est face c'est lui-même qui désignera la victime parmi ses coreligionnaires.
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