– Elle ignore votre nom.
– Elle aura tôt fait de me décrire et les indésirables reconnaîtront mon signalement. Emmenez-moi à Candie.
Le duc de Vivonne se sentit la gorge sèche. Les yeux d'Angélique lui donnaient le vertige. Sa vue se brouillait légèrement. Il alla à son secrétaire pour se verser un second verre.
– Jamais ! fit-il enfin répondant à sa dernière supplique. Je suis un homme sensé, prudent... En me faisant le complice de votre fuite – ce qui se saura tôt ou tard – j'encourrais la colère du Roi.
– Et la reconnaissance de votre sœur ?
– Ma disgrâce est certaine.
– Vous mésestimez le pouvoir d'Athénaïs, mon cher. Pourtant vous la connaissez mieux que moi. Elle demeure seule en face du Roi qui a pour elle... un goût très prononcé. Elle a su le séduire par mille habitudes dont il ne s'est point encore départi. Ne la croyez-vous pas assez forte et assez habile pour reprendre l'avantage et réparer hardiment ce que j'ai pu quelque peu détruire ces temps derniers, je le reconnais ?
Vivonne les sourcils froncés, essayait de réfléchir.
– Ouais ! fit-il.
Et il dut voir passer la vision de l'éblouissante Mortemart, entendre l'écho de son rire mordant et de sa voix inimitable, car il se rasséréna.
– Ouais, répéta-t-il. On peut compter sur elle.
Il hocha la tête à plusieurs reprises.
– Mais vous, fit-il. Vous, madame...
Il la surveillait à la dérobée. À chacun des regards anxieux qu'il lui jetait elle le voyait prendre conscience de sa présence, chez lui, à cette heure, d'une femme qui avait été l'une des parures de Versailles, convoitée par le Roi. Il en détaillait la perfection avec une sorte d'étonnement comme s'il la voyait pour la première fois. C'était exact. Elle avait une peau unique, plus dorée que la plupart des blondes, ses prunelles étaient vertes et d'un vert clair près du noir intense de la pupille. À Versailles, il l'avait vue comme une idole dans ses robes de Cour, qui faisait blêmir de rage la Montespan.
Dans ce déshabillé aux plis souples, elle était terriblement femme et vivante. Pour la première fois de sa vie il pensa au Roi en se disant : « Pauvre homme ! S'il est vrai qu'elle s'est refusée à lui... »
Angélique laissait le silence s'appesantir entre eux. C'était assez amusant de tenir un Mortemart en suspens. Une aubaine dont bien peu auraient pu se vanter. La verve et le caractère explosif de la famille n'avaient jamais semblé en défaut. On était obligé de les haïr... ou de les adorer, et jusqu'à l'aînée, abbesse de Fontevrault, d'une beauté de madone entre ses guimpes et ses sombres voiles, qui fascinait le Roi et ravissait les courtisans, sans qu'elle n'en cessât pour autant d'être une âme de feu, lisant en latin tous les Pères de l'Église et menant son couvent et ses nonnes subjuguées sur les chemins de la vertu la plus haute. Vivonne était, à l'image de ses sœurs riches des qualités les meilleures et des pires défauts, fantasque et désinvolte, frisant tantôt la muflerie, tantôt l'extrême gentillesse, tantôt la folie, tantôt le génie... Il finissait par en imposer et de même qu'une espèce d'amitié – celle de la foudre et de l'aimant – avait attiré Angélique vers Athénaïs, de même elle avait toujours accordé au duc de Vivonne une préférence amusée. Parmi les autres gentilshommes attachés aux pas du maître et vivant de ses subsides, il lui paraissait d'un métal plus noble. Elle le regarda en souriant toujours de son sourire secret qui le désarçonnait et se dit qu'au fond elle aimait ces Mortemart terriblement avides et fous et beaux. Elle leva lentement un bras pour y poser sa tête rejetée en arrière et laissa glisser vers le jeune homme un regard moqueur.
– Et moi ? répéta-t-elle.
– Oui, vous, madame ! Vous êtes une femme étrange ! N'avez-vous pas reconnu que vous aviez lutté pour évincer ma sœur ?... Et voici que vous vous effacez, que vous souhaitez même lui redonner la partie belle... Quel but poursuivez-vous ? Quel avantage pouvez-vous retirer de cette comédie ?
– Aucun. Plutôt des ennuis.
– Alors ?
– N'ai-je pas le droit comme toute femme d'avoir mes caprices ?
– Certes !... Mais, choisissez vos victimes. Avec le Roi cela peut vous mener loin.
Angélique fit la moue.
– Que voulez-vous ? Est-ce ma faute si je n'ai point de goût pour ces hommes trop fermés, d'humeur susceptible, qui savent peu rire et qui apportent dans l'intimité un manque de raffinement proche de la grossièreté ?
– De qui parlez-vous ?
– Du Roi.
– Eh bien ! vous vous permettez de le juger d'une façon qui...
Vivonne était très offusqué.
– Mon cher, lorsqu'il s'agit d'alcôve, accordez-nous le droit de juger en femme et non en sujette.
– Toutes ces dames ne raisonnent pas – heureusement – comme vous.
– Libre à elles de subir et de s'ennuyer. En la matière je pardonne tout sauf cela. Titres, faveurs, honneurs ne m'ont pas paru d'un poids assez lourd pour compenser ce genre de servitude et de contrainte. Je laisse bien volontiers les uns et les autres à Athénaïs.
– Vous êtes... terrible !
– Que voulez-vous, ce n'est pas ma faute si j'ai toujours préféré les garçons rieurs, pleins d'entrain... comme vous par exemple. De ces galants gentilshommes qui ont le temps de s'occuper des femmes. Foin de ces gens pressés qui foncent en aveugles vers le but. J'aime ceux qui savent marauder les fleurs du chemin.
Le duc de Vivonne détourna les yeux et bougonna.
– Je vois ce que c'est. Vous avez un amant qui vous attend à Candie, un petit enseigne à la belle moustache qui ne sait rien faire d'autre que peloter les filles.
– Grande est votre erreur. Je n'ai jamais été à Candie et personne ne m'y attend.
– Alors pourquoi voulez-vous partir vers cette île de pirates ?
– Je vous l'ai déjà dit. J'y ai des affaires. Et l'idée m'a paru excellente pour me faire oublier du Roi.
– Il ne vous oubliera pas ! Croyez-vous que vous êtes de ces femmes qu'on oublie facilement ? demanda Vivonne dont la gorge parut se serrer étrangement.
– Il m'oubliera, vous dis-je. Loin des yeux, loin du cœur. N'êtes-vous pas ainsi, vous les hommes ? Il retrouvera avec plaisir sa Montespan, son solide et inépuisable festin, et se félicitera de trouver avec elle toujours... table mise. Ce n'est pas un homme compliqué, ni sentimental.
Le duc de Vivonne ne put s'empêcher de pouffer.
– Que vous êtes mauvaises entre vous, les femmes !
– Croyez-moi, le Roi vous saura gré, s'il connaît votre rôle, de l'avoir aidé à se déprendre d'une passion sans issue. Il n'aura pas non plus à se conduire en tyran en me faisant jeter au fond d'un cachot. Quand je reviendrai le temps aura passé. Il rira lui-même de sa colère et Athénaïs saura mettre en valeur le service rendu par vous en escamotant l'indésirable.
– Et si le Roi ne vous oublie pas ?
– Eh bien ! il sera temps d'aviser. J'aurai peut-être réfléchi, reconnu mon erreur. La constance du Roi me touchera. Je tomberai dans ses bras, je deviendrai sa favorite, et... je ne vous oublierai pas non plus. Vous voyez qu'en m'accordant votre aide vous ménagez l'avenir et risquez de gagner sur les deux tableaux, monsieur le courtisan.
Elle avait mis dans ces derniers mots une intonation un peu méprisante qui cingla le gentilhomme ; il devint rouge jusqu'à la racine des cheveux et protesta avec hauteur.
– Croyez-vous que je sois un lâche, un valet ?
– Je ne l'ai jamais cru.
– La question n'est pas là, reprit le jeune amiral d'un ton sévère. Vous oubliez un peu trop facilement, madame, que je suis chef d'escadre, et que la mission pour laquelle la flotte royale prend la mer demain est une mission militaire, c'est-à-dire dangereuse. Je suis chargé de maintenir la police au nom du roi de France, dans cette pétaudière de la Méditerranée. Mes consignes sont intransigeantes : Pas de passagers, encore moins de passagères.
– Monsieur de Vivonne...
– NON ! tonna-t-il, apprenez que je suis maître à bord et que je sais ce que j'ai à faire. Une croisière en Méditerranée n'est pas une promenade sur le grand canal. Je sais l'importance du rôle dont je suis chargé et je reste convaincu qu'à ma place le Roi lui-même parlerait et agirait comme je le fais.
– Croyez-vous ?... Je suis persuadée, au contraire, que le Roi ne ferait pas fi de ce que je vous offre.
Elle avait parlé avec gravité. Vivonne changea à nouveau de couleur, et ses tempes battirent violemment. Il la fixa d'un air hagard, interrogateur. Pendant une minute interminable il lui sembla que toute la vie s'était réfugiée en la lente et douce palpitation de ces seins de femme au bord du décolleté de dentelle.
La surprise le figeait. Mme du Plessis passait pour hautaine, difficile à émouvoir et elle-même se reconnaissait capricieuse. Courtisan dans l'âme, il ne lui était pas venu à l'esprit qu'on pût lui offrir ce qu'on refusait au Roi.
Il se sentit les lèvres soudain sèches, avala d'un trait son verre et le reposa avec précaution sur la tablette du secrétaire, comme s'il eût craint de le laisser échapper.
– Entendons-nous bien... dit-il.
– Mais... je crois que nous nous entendons très bien, murmura Angélique.
Elle le regardait dans les yeux, avec une moue légère.
Fasciné, il fit quelques pas et tomba à genoux près du divan. Ses bras se jetèrent autour de la taille fine. Avec un geste d'hommage et de passion, il inclina la tête et colla ses lèvres à la chair satinée du décolleté, à la naissance des seins et demeura là, penché sur ce mystère d'ombre d'où s'exhalait un parfum capiteux, le parfum d'Angélique.
Elle n'avait marqué aucun recul, à peine un imperceptible mouvement du buste, tandis que ses belles paupières voilaient un instant l'éclat de son regard. Puis il sentit qu'elle se cambrait, s'offrant à la caresse. Une folie le prit, une faim de cette chair ambrée, drue, résistante, et cependant d'un grain serré de porcelaine fragile. Ses lèvres la parcouraient avidement. Il se haussa, l'étreignant, cherchant la rondeur lisse de l'épaule, le creux du cou dont la tiédeur le fit défaillir. Le bras d'Angélique revint vers lui, emprisonnant la tête masculine contre elle, tandis qu'elle posait doucement sa main sur sa joue et le forçait à la regarder. Les prunelles d'émeraude, assombries d'un reflet glauque se heurtèrent aux prunelles bleues et dures des Mortemart pour une fois vaincues. Dans un éclair, Vivonne eut encore le temps de penser qu'il n'avait jamais vu une créature pareille, éprouvé un si foudroyant plaisir.
"Indomptable Angélique Part 1" отзывы
Отзывы читателей о книге "Indomptable Angélique Part 1". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Indomptable Angélique Part 1" друзьям в соцсетях.