— Sans doute mais, je vous l’avoue, je ne souhaite pas tellement le voir affronté à son père. Ils ont en eux la même violence et si l’un d’eux succombait de la main de l’autre, le crime serait le plus grand peut-être qu’un homme puisse commettre.
— Vous êtes bien une femme ! ronchonna François. Vous ne rêvez que dispenser la paix alors que vous êtes le brandon de discorde. Oubliez-vous que ces hommes vous aiment tous les deux ?
— C’est déshonorer l’amour que donner son nom aux sentiments que le marquis nourrissait pour moi. D’autant qu’il y entrait sans doute plus de haine que de tendresse.
— Vous voyez bien ? Et cependant vous êtes toujours décidée à entrer dans cette maison ?
Les tours de Lauzargues venaient d’apparaître au détour du chemin – comme le marquis lors de sa visite au cimetière, les deux cavaliers avaient choisi le chemin du bord de l’eau, nettement plus court que la route.
— Plus que jamais ! Je vous l’ai dit, François, j’ai une arme secrète…
Et, du bout de sa cravache, Hortense frappa doucement la croupe de sa monture pour l’inciter à aller plus vite. L’approche de la bataille qu’elle pressentait faisait courir son sang plus vite et lui mettait une flamme dans les yeux. En quelques minutes les deux cavaliers eurent atteint l’espèce de retranchement que le marquis avait fait élever entre le chemin et la rivière pour mieux protéger les abords de son château. Une ouverture permettait le passage des chevaux et même d’une voiture mais Robert, le fils du fermier Chapioux, y était en faction. Et comme les passants étaient plutôt rares, le garçon, visiblement, s’ennuyait à périr. L’apparition des cavaliers le tira de sa torpeur et il se leva. Dirigeant son fusil vers les nouveaux venus, il ordonna :
— Retenez vos chevaux ! Que voulez-vous ?
Ce fut François qui se chargea de la réponse :
— En voilà un accueil ! Sommes-nous en guerre ? En tout cas, quels que soient les ordres que tu as, Robert, ils ne t’ont certainement pas interdit la politesse et j’attends que tu salues madame la comtesse de Lauzargues.
En même temps, un pistolet était apparu dans la main du fermier qui ajouta, pour renforcer l’effet de son discours :
— Au cas où tu hésiterais, je te rappelle que je tire mieux et plus vite que toi…
— Oh ! ça va !
Ôtant de mauvaise grâce son bonnet, le garçon marmonna :
— Bien le bonjour, Madame la Comtesse. Peut-on savoir ce qu’il y a pour votre service ?
— Je désire voir le marquis. Allez lui dire que je suis là !
— Je vous demande pardon mais je ne peux pas. Si j’y vais, j’abandonne mon poste et…
— Et nous risquons d’investir un château pour lequel, jusqu’à présent, il fallait un bon millier d’hommes ? Tout cela est d’un ridicule ! Eh bien, appelez, au moins !
— J’oserai jamais.
— On va le faire pour toi, dit François qui décidément avait tout prévu. Et, tirant de ses fontes une corne de berger, il souffla dedans par trois fois sous l’œil éberlué du garçon. Hortense pour sa part ne put s’empêcher de rire.
— Nous voilà en plein Moyen Âge, fit-elle. De quoi avons-nous l’air ?…
— Le ridicule n’est pas pour nous, Madame la Comtesse. Attendons l’effet.
— Nous allons voir surgir Godivelle. Le seuil de la porte est son poste privilégié…
— Mais ce fut le marquis dont la silhouette s’encadra sous l’écu de pierre où se gravaient ses armes. Reconnaissant sa nièce dans cette longue amazone noire, il n’avança pas et se contenta de crier :
— Que voulez-vous ?
— Un entretien avec vous, marquis, si ce n’est pas trop vous demander. Nous avons des paroles à échanger et je pense qu’il ne convient ni à vous ni à moi qu’elles s’envolent avec le vent ?…
Ce fut pourtant le vent qui, un instant, resta maître du terrain, ce vent qui faisait voltiger les cheveux blancs du marquis comme au soir de l’arrivée d’Hortense. Enfin, celui-ci parla :
— La maison vous est ouverte, comme elle l’a toujours été, madame de Lauzargues. Dès l’instant où vous y entrez seule…
Vivement, la main de François se posa sur le bras d’Hortense :
— N’y allez pas, je vous en supplie ! Cela cache un piège…
— C’est possible, François, mais je ne le crains pas. Encore une fois, j’ai pris mes précautions…
Cependant, du seuil, le marquis ajoutait…
— … et dès l’instant où vous cesserez de mêler les domestiques aux affaires des maîtres.
— François Devès n’est pas un domestique et vous le savez.
— En dépit des efforts qu’il fit jadis dans ce sens, vous ne m’obligerez jamais à voir en lui un égal. Entrez si vous le voulez, mais entrez seule !
Sous couleur d’arranger le voile blanc qui, attaché à son haut chapeau, entourait son visage et semblait la gêner, Hortense se tourna vers François et lui glissa un billet qu’elle prit dans le crispin de son gant.
— En cas de piège, François, portez ce billet à Me Merlin, notaire à Saint-Flour. Cela si, dans trois jours, je n’étais par revenue à Combert.
— Vous pensez qu’il va vouloir vous garder ?
— C’est possible mais ce n’est pas sûr. Il faut cependant tout prévoir…
— Alors pourquoi trois jours ?
— Parce que je le veux, François, dit-elle doucement. Souvenez-vous que, quand nous nous sommes rencontrés, je venais ici…
— Eh bien ? cria le marquis. Vous décidez-vous ? Êtes-vous en train de dicter un testament ?…
Le mot fit tressaillir François qui, de nouveau, voulut retenir Hortense.
— N’y allez pas, par pitié !
— Il le faut. Il est des abcès qu’il faut crever… Sans cela, toute vie est impossible.
Calmement, Hortense descendit de cheval, drapa sur son bras la traîne de son amazone et gravit le sentier rocheux qui menait au château. A son approche, le sourire triomphant de Foulques de Lauzargues se fit sardonique.
— Vos valets me prennent pour le diable, dirait-on, ma belle nièce ? C’est le « testament » qui effarouche Devès ?
— Admettez que c’est d’un goût douteux… Entrons-nous ? J’ai hâte d’embrasser mon fils.
Au temps d’été, il était habituel de laisser ouverte la porte du château mais, cette fois, le marquis la referma soigneusement dès qu’Hortense fut entrée. Celle-ci n’eut pas le temps de s’en inquiéter. Godivelle accourait déjà vers elle au long du vestibule pavé de gros galets de la rivière. Sans souci de ce que penserait le marquis, Hortense lui ouvrit les bras et les deux femmes s’embrassèrent avec une vraie chaleur…
— Vous m’avez beaucoup manqué, Godivelle, fit la jeune femme.
— Si je vous ai manqué, Madame Hortense, c’est bien sans le savoir et plus encore sans le vouloir. Vous le savez, n’est-ce pas ?
— Bien sûr ! Menez-moi à mon fils à présent ! J’ai hâte de le voir.
— Le cher petit ange ! Il a apporté la joie et le bonheur dans cette maison…
Considérant le vestibule sévère que la porte close faisait obscur, Hortense pensa qu’en vérité cette maison ne respirait guère la joie de vivre et moins encore le bonheur. Mais elle suivit Godivelle avec empressement jusqu’à la cuisine…
— On allait le faire téter, dit Godivelle. Vous arrivez juste au bon moment.
En effet, au moment où Hortense entrait dans la cuisine, Jeannette venait d’ouvrir son corsage et offrait un sein à la petite bouche avide qui s’en empara goulûment tandis que les doigts roses s’épanouissaient sur la peau blanche de la nourrice. A l’arrivée d’Hortense, le visage de celle-ci s’éclaira…
— Madame la Comtesse ! Enfin ! Quelle joie, mon Dieu, quelle joie !
— Bonjour, Jeannette ! Moi aussi je suis contente de vous revoir. Mais vous me semblez bien pâle. Êtes-vous malade ?…
— Cette sotte ne cesse de pleurer, ronchonna Godivelle ! Du coup, son lait est en train de tarir. Elle n’en a plus beaucoup et…
— Plus beaucoup ? gronda le marquis entré lui aussi dans la cuisine à la suite des femmes. Pourquoi ne me le dit-on pas ? Croit-on que je vais laisser mon petit-fils mourir de faim ? Si elle n’a plus de lait qu’on la renvoie !…
Du coup, les larmes, qui ne devaient jamais être bien loin, jaillirent des yeux de Jeannette qui, d’un geste instinctif, serra un peu plus fort contre elle le petit corps vigoureux du bébé.
— Oh non, je vous en prie, Monsieur le Marquis ! Mon lait baisse un peu mais il va revenir, sûrement… et je serais trop malheureuse si j’étais séparée de lui…
— Dites Monsieur le Comte, malapprise, quand vous parlez de mon petit-fils ! Quant à vos sentiments, nous n’en avons que faire ici. Justement votre oncle est là, en bas. Repartez avec lui si vous n’êtes plus bonne à rien…
La colère s’empara d’Hortense :
— Depuis quand les hommes se mêlent-ils de la nourriture des bébés ? s’écria-t-elle. Ne pleurez pas, Jeannette ! Jamais mon fils n’a été mieux soigné que par vous et j’entends que vous lui restiez attachée, même si vous n’avez plus de lait. Il faut bien, un jour ou l’autre, sevrer un enfant. Vous devez savoir cela, Godivelle ?
— Bien sûr, Madame Hortense, bien sûr ! On fera ce qu’il faut. Mais si Jeannette ne sert plus à rien ici, il vaudrait mieux qu’elle rentre chez elle…
La voix était toujours aussi unie ; Hortense n’en perçut pas moins la note d’animosité. Godivelle devait être jalouse de la nourrice et, souhaitant avoir Étienne pour elle seule, faisait tous ses efforts pour l’éloigner…
— Oubliez-vous, Godivelle, qu’à présent Combert m’appartient ? La place de Jeannette l’y attend en effet… avec mon fils. Il est temps, je crois, d’en venir au but de ma visite, marquis. Je suis venue chercher Étienne…
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