Elle se décida pourtant quand on dépassa le chemin qui menait à Lauzargues.
— Pourquoi, François, m’avez-vous dit qu’il m’adviendrait du mal si j’allais directement au château…
— Parce que le marquis n’en laisse approcher personne. Depuis qu’il est revenu avec l’enfant, il a, autant dire, mis le château de défense, comme s’il s’attendait à voir venir à lui une armée d’invasion. L’accès en est défendu par une espèce de barrière faite de rochers et de terre et la garde en est assurée, jour et nuit, par Chapioux, son fils, son valet ou même le marquis en personne…
— Est-il devenu fou ? Contre qui en a-t-il ?
— Contre vous, sans doute. Il a fait défense expresse de prononcer votre nom devant lui ou le petit comte sous peine d’encourir sa colère. Mais je crois surtout que c’est de Jean qu’il a peur…
— Est-ce que Jean a déjà fait une tentative contre lui ?…
Le visage de François se détendit d’un sourire.
— Je me demandais combien de temps vous mettriez pour prononcer son nom. Ne l’aimez-vous plus ?
— Vous dites des bêtises, François Devès ! Ce nom, je le prononce sans cesse au fond de mon cœur. J’attendais seulement l’instant de le lui donner, à lui. Car je vais le voir bientôt, n’est-ce pas ?
— Non. Justement, depuis qu’il s’est rendu au château pour réclamer l’enfant, il a disparu. Non, n’ayez pas peur, il a disparu volontairement… Quand il est arrivé à Lauzargues il n’a trouvé que des fusils braqués et l’impossibilité même de se faire entendre. Insister eût été se condamner à mort et cela n’eût servi à rien. Jean connaît la chasse. Forcer un sanglier embusqué dans sa bauge ne sert de rien sans de bonnes armes. Je pense qu’il doit songer à s’en procurer…
— Où est-il ?
— De vrai, je n’en sais rien. Jean est comme ça, vous le savez bien. Ce n’est pas la première fois qu’il disparaît. Je pense que nous le reverrons à son heure. Mais je ne vous cache pas que je suis inquiet de ma nièce. Elle est très attachée au petit monsieur mais elle n’en est pas moins prisonnière à Lauzargues avec les autres…
— Les autres ?
— Godivelle et Pierrounet, les deux petites servantes Marthon et Sidonie et puis M. Garland. Les gens habituels du château. Personne n’a le droit de sortir. Godivelle seule, et encore pas plus loin que la barricade.
— Une barricade ! Hortense venait d’en voir des centaines dans les rues de Paris et voilà qu’il s’en trouvait une ici, au cœur du pays cantalien, sous le ciel le plus libre et le plus vaste que l’on pût admirer !… Fallait-il que le marquis eût perdu l’esprit ! Pourtant il semblait si calme, si froidement déterminé l’autre nuit quand il avait abattu San Severo…
— Il faudra bien que tôt ou tard j’aille m’expliquer avec mon oncle, dit-elle seulement. Et il faudra bien qu’il m’entende…
— C’est Dieu qui fera bien de vous entendre, madame Hortense !… Mais tenez, nous arrivons…
Depuis qu’elle l’avait quitté, au matin de ses noces, Hortense n’avait pas revu Combert. Elle l’aborda avec le plaisir que l’on a à retrouver un ami après une longue absence et ne put s’empêcher de lui sourire. C’était une grande maison plus bourgeoise que châtelaine donnant d’un côté sur un ressaut rocheux. De grands toits gris, de hautes fenêtres toujours étincelantes et surtout un grand jardin toujours abondamment fleuri qui, en paliers, descendait jusqu’à la rivière, lui donnaient un charme infini…
— Votre jardin est une merveille, François ! s’écria Hortense, sincère. Et, de fait, un étonnant fouillis de fleurs s’y étalait et s’épanouissait à qui mieux mieux sous le soleil : exubérance blanche et rose des dahlias, fusées multicolores des glaïeuls repoussant vers les murs les grandes hampes chargées de fleurs des roses trémières. Sur les murs, le chèvrefeuille et les glycines d’été luttaient avec les clématites violettes et, dans les petits parterres, d’énormes touffes de myosotis s’efforçaient d’envahir les vigoureux plants de pensées couleur d’or. Enfin des roses grimpantes s’attachaient à faire écrouler plus vite un vieux muret de pierres mais s’épanouissaient à l’aise, roses et innombrables, comme de joyeux pompons autour de la terrasse couverte de fin gravier.
— Vous savez combien Mlle Dauphine l’aime, dit François avec un sourire plein de tendresse. Alors, je m’efforce de le faire aussi beau que possible tant qu’elle peut l’admirer…
— C’est… à ce point ?
— Le Dr Brémont n’est guère rassurant… Voulez-vous attendre un instant ? Je vais la prévenir…
Le cri de joie qui vint du salon quelques secondes plus tard fut pour Hortense la meilleure des bienvenues. Ainsi, il était donc vrai que, dans cette maison au moins, on l’aimait, on était sincèrement heureux de la voir ? Une émotion l’étreignit et lui mit une larme au bord des yeux.
— Vous n’allez pas pleurer au moins ? s’inquiéta François en revenant la chercher. Vous lui feriez beaucoup de mal, vous savez. Elle est toujours la même…
La même ? Peut-être pour quelqu’un qui la voyait chaque jour et qui, de ce fait, appréciait mal les progrès de la maladie ?
Pour Hortense qui ne l’avait pas vue depuis plus de six mois Dauphine de Combert avait beaucoup changé. Étendue dans son salon sur la chaise longue où Hortense avait jadis soigné son pied blessé, vêtue de la robe d’intérieur en velours vert qu’elle affectionnait et coiffée d’un grand bonnet de dentelles garni de rubans couleur de jeunes feuilles, elle offrait une image familière sans doute car les nombreux coussins et oreillers qui la soutenaient la gardaient droite. Ses beaux cheveux bruns étaient toujours parfaitement coiffés, et ses yeux noirs gardaient encore, moins vive pourtant, l’étincelle moqueuse qui les faisait si bien pétiller naguère mais le visage s’était amenuisé, de larges cernes bleus creusaient sous les paupières et la peau trop fine, couleur d’ivoire jauni, avait perdu les couleurs de la santé.
Elle tendit vers Hortense une main demeurée belle en dépit de sa maigreur.
— Vous voilà enfin, petite ? Je vous ai tant attendue… Pourquoi ne m’avez-vous jamais écrit ?
— Je ne savais pas… si cela vous ferait plaisir. Mon départ de Lauzargues…
— Dites votre fuite éperdue. Et en vérité vous n’aviez rien de mieux à faire. Mais pourquoi n’être pas venue ici ?… Je vous aurais protégée, défendue…
— Contre votre cousin ? Je n’en étais pas certaine… Vous l’aimiez, je crois…
— Et je l’aime encore… C’est une de ces maladies de jeunesse que l’on porte en soi durant toute une vie et dont on finit, un jour, par mourir sans même s’en rendre compte… Mais peut-être désirez-vous prendre un peu de repos. Clémence va vous préparer votre ancienne chambre…
— Je viens seulement de Saint-Flour où je suis arrivée hier. La fatigue n’est pas grande et Clémence a tout son temps. Je préfère rester un peu avec vous, si vous le permettez.
— Quelle question ! Je vous ai dit que vous m’aviez manqué.
Par l’une des portes-fenêtres donnant sur le jardin Madame Soyeuse fit son entrée avec la majesté qui lui était habituelle puis d’un élan souple sauta sur les genoux de sa maîtresse qui enfouit ses mains dans l’épaisse fourrure d’un si joli gris de perle !
— Elle est toujours aussi belle, dit Hortense en tendant la main pour gratter doucement le crâne de la chatte.
— Oui. Mais je crains qu’elle ne s’ennuie. Ce n’est pas agréable, une malade… Nous ne faisons plus ensemble de ces promenades au jardin dont nous étions coutumières tôt le matin… A ce propos… je voudrais vous demander de veiller sur elle quand… je n’habiterai plus cette maison. Elle aura besoin de vous.
— Mais vous habiterez toujours cette maison, Dauphine. Vous en êtes l’âme et, sans vous…
— Peut-être en effet mon âme aura-t-elle un peu de peine à s’en détacher mais il faudra bien que Combert s’habitue à sa nouvelle maîtresse : je vous l’ai légué par testament, Hortense… Chut ! Chut !… ne protestez pas. Ce n’est que justice de vous donner un toit que vous puissiez aimer… vous à qui l’on a tout pris…
Une quinte de toux suivie d’étouffement lui coupa la parole et Hortense, affolée, se pendit au cordon de sonnette. Clémence accourut.
— Doux Jésus ! Encore une de ces vilaines crises…
Elle alla prendre sur un plateau une fiole et une cuillère qui attendaient de servir et revint faire avaler, avec mille précautions, quelques gouttes de liquide ambré à sa malade qu’Hortense soutenait car la quinte l’avait fait glisser de ses oreillers.
— Comme elle est légère et paraît fragile, s’émut la jeune femme. De quel mal souffre-t-elle ?
— Le Dr Brémont vous dirait ça mieux que moi, demoiselle… je veux dire Madame la Comtesse. Mais je ne suis pas fort certaine qu’il soit très au fait. Bien sûr, il y a eu ce maudit jour où elle est allée pour la dernière fois à Lauzargues et où, en rentrant, elle a dû se coucher. Mais il y a eu pire !… Je vous dirai ça plus tard, chuchota-t-elle en voyant que Dauphine revenait à elle.
Doucement Hortense reposa le corps si faible et arrangea les oreillers.
— Je vais la laisser se reposer un peu et défaire mes bagages, dit-elle à mi-voix.
Dauphine tourna vers elle un visage qui s’efforçait de sourire et battit deux fois des paupières pour approuver. Hortense sortit du salon, gagna l’escalier qu’elle monta lentement. Dans le salon, le parfum de roses qui était celui de Mlle de Combert s’était effacé, chassé par celui, si pénible, de la maladie et des médicaments mais, au long de la haute volée de marches en châtaignier sculpté, on le retrouvait plus présent, si vivant même qu’incapable d’aller plus loin Hortense s’assit sur la dernière marche du palier et se mit à pleurer. Ce fut là que Clémence la trouva quand elle monta, quelques instants plus tard, et tout de suite s’inquiéta.
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