— J’ai grande envie de le suivre, dit-elle.
— Voilà une envie contre laquelle il faut lutter. Outre que vous n’êtes guère en état, que deviendra la cause du prince si tous les bonapartistes de Paris se lancent sur la route de Vienne ? Rien n’est encore joué, Félicia, et, pour l’instant, c’est ici qu’il faut remporter la victoire…
Hélas, dans les jours qui suivirent, l’épaule de Félicia s’arrangea beaucoup mieux que ses aspirations politiques. Dès le 31 juillet, le duc d’Orléans recevait des députés le titre de Lieutenant Général du Royaume, et se rendait à l’Hôtel de Ville où il réussissait à se faire admettre par La Fayette qui s’y était installé quarante-huit heures plus tôt. Cependant Charles X, qui avait quitté Saint-Cloud pour Trianon, abandonnait ce dernier palais presque parisien pour le château de Rambouillet d’où il allait ratifier la nomination de son « cousin d’Orléans… ». Le lendemain lui et son héritier direct, le duc d’Angoulême, abdiquaient à une heure d’intervalle en faveur du duc de Bordeaux, l’enfant posthume du duc de Berry.
— Un marmot qui n’a que dix ans pour un pays qui ne sait pas où il va ! rageait Delacroix qui entreprenait le portrait de Félicia, portrait dont il comptait se servir pour la gigantesque toile qu’il projetait pour le Salon de 1831. Et un marmot qui demain prendra le chemin de l’exil avec sa famille !
Car, à présent, il ne faisait plus de doute pour personne que la famille royale allait devoir quitter la France, sans doute pour l’Angleterre.
— Pauvre duchesse d’Angoulême ! soupira Hortense. Être née à Versailles et passer sa vie sur les chemins de l’exil.
— Vous n’allez pas la plaindre à présent ? protesta Félicia. Elle n’a pas été tendre pour vous… pour vous dont on avait cependant tué aussi les parents.
— Sans doute, mais je ne peux m’empêcher de la plaindre. L’amour, elle ne saura jamais ce que c’est puisque son époux est impuissant. Elle n’aura jamais la joie de tenir un enfant dans ses bras…
— Elle aura au moins eu celle d’empoisonner l’existence d’une foule de pauvres gens. Elle n’a jamais eu pitié de personne : souvenez-vous du maréchal Ney, de La Bédoyère, des quatre sergents de la Rochelle dont elle fêta l’exécution par un bal. Si vous avez de la compassion de reste, Hortense, gardez-la pour qui la mérite… L’Histoire est ce qu’elle est et, en général, elle marche vite.
Elle marchait vite, en effet. Le 9 août, le duc d’Orléans devenait roi des Français sous le vocable de Louis-Philippe Ier et le lendemain Charles X et sa famille s’embarquaient à Cherbourg. Dans Paris, les barricades se démolissaient les unes après les autres et bientôt il fut possible de circuler de nouveau en voiture.
Hortense en profita pour aller voir son fils. L’enfant était superbe, rond et doré comme une pêche de vigne. Sa mère le trouva gigotant, pieds et bras nus, sur une grande couverture étalée sous le vieux pommier. Jeannette jouait avec lui.
— Nous l’avons bien soigné, n’est-ce pas, Madame ? dit la jeune nourrice. Je crois qu’il est heureux ici. Mme Morizet en raffole…
— Je ne peux pas lui donner tort, dit Hortense en riant et dévorant de baisers le bébé qui s’efforçait de lui tirer les cheveux et qui riait aussi, montrant deux quenottes minuscules et bien blanches…
Mme Morizet, qui était à vêpres, accueillit à son retour sa visiteuse avec enthousiasme.
— Nous avons été tellement en souci de vous ! dit-elle. J’espère que vous nous restez quelque temps ?
— Pas aujourd’hui, hélas ! Je ne vous fais qu’une courte visite car j’ai encore, avant de pouvoir vivre avec Étienne, une grave question à régler. Mais j’ai bon espoir à présent que nous avons changé de gouvernement. A propos, comment avez-vous passé ces journées de révolte ? J’ai été, moi aussi, en grand souci de vous car on disait que la poudrière de Vincennes pourrait sauter.
— On dit toujours des tas de sottises ! Nous avons été bien tranquilles ici. Jamais on ne s’est fait autant de visites, bien sûr, car chacun avait sa petite nouvelle à apporter… Nous sommes un village, vous savez, et la turbulence de la grande ville ne franchit guère le rideau de nos grands arbres. Eh bien, si vous ne restez pas, au moins vous allez goûter avec nous.
Une heure plus tard, lestée d’une agréable collation de framboises, de massepains et de bon lait que procurait une ferme voisine, Hortense reprenait le chemin de la rue de Babylone, le cœur allégé et plein d’un courage tout neuf. Elle avait, cette fois, laissé son adresse à Mme Morizet pour qu’elle pût la prévenir s’il se produisait le moindre incident mais c’était bien improbable : nulle part son fils ne serait mieux qu’à Saint-Mandé. Quant à l’avenir, elle l’envisageait avec un certain optimisme. On disait que le nouveau roi était un homme simple et bon, un père de famille nombreuse adorant ses enfants. On disait aussi qu’il rappelait auprès de lui les anciens soldats de l’Empire, tous ceux que la Restauration avait pourchassés, emprisonnés, réduits à la misère et qui revenaient joyeux, dépoussiérant leurs vieux uniformes pour le bonheur de servir à nouveau sous le drapeau aux trois couleurs. Ils n’allaient pas servir le roi de France mais le roi des Français et la nuance était d’importance. Il n’y avait donc aucune raison pour que celui-ci ne reçût pas favorablement la plainte de la fille d’un ancien serviteur de Napoléon. La mémoire d’Henri et de Victoire Granier de Berny allait être définitivement lavée et leur assassin paierait la dette de sang qu’il avait contractée.
Tranquille, désormais, au sujet de son fils, Hortense pensa qu’il était temps pour elle de demander une audience royale. Et ce fut la première chose qu’elle déclara quand, rentrée à la maison, elle pénétra dans le jardin où Félicia posait pour Delacroix. Jamais sans doute tableau n’aurait été fait avec plus de soin car le peintre venait tous les jours. Apparemment, c’était le superbe profil de son modèle qui lui donnait le plus de mal mais il semblait prendre à ce mal un plaisir infini.
— Ne croyez-vous pas, dit Félicia, que vous devriez attendre encore un peu. Le nouveau roi doit être assailli de toutes parts. Cela ne doit pas être facile d’obtenir une audience…
— Je pense qu’il suffit de frapper à la bonne porte… Le tout est de savoir laquelle.
— Il me semblait, dit Delacroix, que Mme la duchesse de Dino vous voulait du bien ? Eh bien, la voilà, votre porte ! Le prince de Talleyrand a pratiquement mis le duc d’Orléans sur le trône, Louis-Philippe n’a rien à lui refuser. Surtout pas cette misère que l’on appelle une audience. Voulez-vous que je demande à la duchesse de vous recevoir ? Elle sera certainement ravie de vous revoir…
— D’autant que j’ai cessé d’être compromettante. Fidèle des Bourbons, le marquis de Lauzargues a désormais perdu tout pouvoir. Pour lui, les Orléans sont des régicides, un point c’est tout… Ils n’ont aucune raison de le protéger.
Dix jours plus tard, Hortense franchissait pour la seconde fois le grand porche de l’hôtel de la rue Saint-Florentin et ne put s’empêcher de sourire en constatant que les grandes lettres dorées qui, lors de sa précédente visite, annonçaient que cette maison était l’Hôtel Talleyrand, avaient disparu. Quand on ne sait comment va tourner une révolution, mieux vaut se montrer prudent. Et prudent, le Diable boiteux l’avait toujours été à l’extrême.
Un grand laquais à perruque poudrée conduisit la visiteuse dans le petit salon bouton d’or où l’attendait la duchesse. Celle-ci l’accueillit avec chaleur et se leva pour l’embrasser.
— Eh bien, ma chère enfant ! s’écria-t-elle. Vous voilà à nouveau libre comme l’air ? Vos ennemis n’ont plus le moindre pouvoir et vous pouvez à nouveau mener une vie normale. Vous avez d’ailleurs une mine superbe.
— Si vous le permettez, Madame la Duchesse, je vous retournerai le compliment. Vous êtes éblouissante aujourd’hui…
Ce n’était pas flatterie. Vêtue d’une robe de soie bruissante couleur de soleil garnie d’admirables dentelles neigeuses, qui mettait en valeur ses beaux cheveux noirs et ses yeux immenses, Mme de Dino éclatait de fraîcheur et de joie de vivre.
— C’est le succès, ma chère ! Nous voilà redevenus soutien de l’État après tant d’années de grisaille. J’avoue que c’est un plaisir rare qu’il est doux de savourer : M. de Talleyrand pour sa part est tout à fait content. Le Roi veut l’envoyer en Angleterre comme ambassadeur extraordinaire et il feint d’en être contrarié… mais c’est coquetterie pure. Mais venez vous asseoir près de moi et causons. Le cher Delacroix m’a laissé entendre que vous souhaitiez obtenir une grâce ?
— Non, Madame. Pas une grâce. Simplement justice. Je sais que mon père n’a pas tué ma mère et ne s’est pas donné la mort. J’en suis certaine à présent parce que je sais qui les a tués…
— Et qui donc ?
— Le prince San Severo. Le valet qui l’a introduit cette nuit-là dans la maison de mes parents et qui l’en a fait sortir après le crime a fait, avant de mourir, des aveux complets. M. Delacroix en a été témoin…
— Ah !…
Il y eut un silence. La duchesse s’était levée et marchait lentement à travers son salon suivie du léger bruissement de sa robe. Elle semblait si soucieuse tout à coup qu’Hortense sentit son cœur se serrer.
— Vous me croyez au moins ? fit-elle avec inquiétude. Je peux vous montrer la confession de cet homme. Je l’ai là, sur moi…
— C’est inutile. Bien sûr, je vous crois… encore que ce soit tellement stupéfiant. Un homme de si bonne maison, si élégant et si bien élevé… Un parfait gentilhomme.
— Il a tout de même tenté de me tuer, Madame la Duchesse et, à mon sens, ceci explique fort bien cela. De toute façon, qu’importe la qualité mondaine de l’homme puisqu’il n’est, après tout, qu’un assassin. J’attends seulement du Roi qu’il me fasse rendre justice. C’est mon droit et c’est mon devoir filial.
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