— Il faut pourtant en trouver une plausible. Ne voyez-vous personne ?
— N’aviez-vous pas une grand-tante quelque part vers Clermont ? proposa Félicia.
— Mme de Mirefleur ? Bien sûr… seulement elle est morte voici un an environ. Son hôtel de la rue des Gras doit toujours être fermé…
— Ce n’est pas certain. Elle doit bien avoir au moins un héritier ?
— Une fille, la baronne d’Esparron, qui habite en Avignon…
— Mais qui pourrait peut-être venir de temps en temps à Clermont pour veiller aux affaires de sa mère. Je crois, conclut Mme de Dino, que la lettre pourrait être adressée à Madame de Lauzargues aux soins de la baronne d’Esparron en son hôtel de Clermont. Le marquis s’y précipiterait. A moins que la lettre ne soit directement adressée en Avignon…
— Ce serait évidemment l’idéal. Le malheur est que j’ignore l’adresse de Mme d’Esparron et que le marquis, lui, la connaît…
Dorothée de Dino fit la moue, réfléchit un instant, et les nuages qui obscurcissaient son front s’éclaircirent :
— Nous devrions pouvoir trouver cette adresse, soit par le duc de Sabran, soit par le marquis de Barbantane… Je vais essayer de voir l’un ou l’autre d’ici notre départ et je vous enverrai un mot. De toute façon, la lettre ne doit pas partir avant quelques jours. A présent, nous allons boire un peu de thé. Cela nous fera du bien car tout travail mérite récompense, conclut la duchesse en secouant un cordon de sonnette.
— Ensuite, Félicia, vous viendrez avec moi voir mon fils. C’est le plus bel enfant du monde ! dit Hortense.
— Comment donc ! Vous seriez bien la première mère à dire autrement que les autres…
Le lendemain, tôt le matin, la vaste cour de l’hôtel Talleyrand connaissait l’encombrement et l’agitation des départs. Outre la grande berline de voyage du prince et de sa nièce, trois autres voitures attendaient serviteurs privilégiés et bagages. Et quand une cinquième voiture vint se joindre aux autres, personne n’y fit attention. C’était d’ailleurs un simple cabriolet de couleur chocolat attelé d’un vigoureux cheval de même nuance. Cette voiture-là attendait Hortense, Jeannette et le petit Étienne. Un cocher dont le visage était à demi caché par le haut col de son manteau à triple pèlerine et par le bord de son chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils tenait le cheval en main…
Quand le cortège de la jeune femme apparut sur le seuil flanqué de deux domestiques portant les bagages, l’homme se découvrit juste assez pour qu’Hortense le reconnût puis se recoiffa en hâte. C’était le bizarre personnage qui les avait guidées, Félicia et elle, dans les caves du café Lamblin, celui que l’on appelait Vidocq. Mais, apparemment, il ne souhaitait pas être interpellé et Hortense fit comme s’il s’agissait d’un cocher ordinaire. Cependant, c’était agréable de partir sous la conduite d’un homme dont elle savait qu’il était du même bord que Félicia. Et, en dépit de l’accueil reçu, ce fut avec une sorte de soulagement qu’elle quitta la rue Saint-Florentin. La présence du prince qu’elle devinait, sinon hostile, du moins nettement réticente, lui était pénible. Tandis que ce matin, elle se sentait allégée, délivrée. C’était peut-être aussi le joyeux soleil qui brillait sur les toits et les feuilles des arbres. Il faisait un temps délicieux, propre à l’épanouissement d’un bonheur paisible. L’air était tiède, léger et embaumait le tilleul et la rose…
Doucement, Hortense prit la main de son fils qui dormait sur les genoux de Jeannette. Elle adorait le regarder dormir et, la nuit précédente, elle s’était non seulement couchée tard mais relevée quatre ou cinq fois pour jeter un coup d’œil sur la petite tête brune et s’assurer qu’elle n’appartenait pas au domaine du rêve.
La voiture roulait sur les Boulevards et venait de se faire dépasser par le Madeleine-Bastille, la nouvelle voiture publique inaugurée quelque temps auparavant par la duchesse de Berry et que l’on appelait l’omnibus. L’énorme caisse jaune dont l’impériale était déjà encombrée d’habits clairs et de robes fleuries, traçait son chemin dans un grand bruit de sonnailles ponctué par des sonneries de trompes annonçant les arrêts. On la redépassa d’ailleurs peu après.
— Si ce genre de véhicule se généralise, ronchonna Vidocq en lançant son cheval à vive allure, les Boulevards ne seront bientôt plus praticables. Cela va tout encombrer…
— Mais ce doit être bien agréable pour les gens qui ne possèdent pas de voiture, dit Hortense en riant. Au fait, me direz-vous où nous allons ?…
— A Saint-Mandé. C’est le village où j’habite. C’est un endroit charmant, vous verrez, et vous allez loger chez une vieille dame tout à fait accordée au paysage. Elle vous attend avec impatience…
— Mais elle ne me connaît pas ?
— Sans doute mais c’est l’idée de recevoir un bébé chez elle qui l’enchante. Mme Morizet n’a jamais eu d’enfants. Vous serez bien, vous verrez…
— Je ne pourrai jamais assez vous remercier. C’est tellement gentil à vous de m’aider…
— Non. C’est tout naturel. J’ai eu affaire à votre père autrefois et il m’a aidé quand j’ai installé ma fabrique de papiers. Je lui devais quelque chose… Au fait, il faut que je vous avertisse. Mme Morosini m’a dit que vous possédiez un passeport au nom de Mme Coudert. C’est sous ce nom que l’on vous attend à Saint-Mandé. Votre sécurité n’en sera que plus grande. Et, à ce propos, recommandez donc à votre suivante d’éviter de vous appeler Madame la Comtesse…
— Soyez tranquille, dit Jeannette de sa voix douce. Je ne me tromperai pas. Je dirai Madame simplement.
— Pour ma part je suis parfaitement d’accord, reprit Hortense mais quand on vit dans la maison de quelqu’un, il est difficile de ne jamais parler, de ne rien dire de son passé. Qui suis-je censée être ?…
— Le mieux, dans ce cas, est de s’éloigner le moins possible de la vérité. Vous venez d’Auvergne. Vous êtes une jeune veuve que son beau-père essaie de déposséder d’un petit bien et vous venez à Paris pour tenter de vous faire rendre justice. Au surplus, Mme Morizet ne vous posera pas de questions gênantes. C’est, chose rare, une femme vraiment discrète.
Tandis que l’on parlait, le cabriolet avait bien roulé. On atteignait à présent la grande place qui avait été l’emplacement de la Bastille. C’était un vaste terrain vague mal nivelé dans un coin duquel s’élevait la chose la plus inattendue : un gigantesque éléphant de bois et de plâtre portant sur son dos une sorte de tour qui déjà menaçait écroulement. Hortense n’était jamais venue dans ce quartier de Paris et elle ouvrit d’aussi grands yeux que Jeannette à la vue du monstre.
— C’est la maquette d’une fontaine dont l’Empereur avait décidé la construction pour amener les eaux de l’Ourcq sur la place. On doit toujours la construire, cette fontaine, mais je crois bien qu’on ne la construira jamais, dit le cocher. Le roi Louis XVIII s’est installé dans les meubles de Napoléon mais il ne s’est pas soucié de donner suite à ses projets. Quant à Charles X, il a d’autres chats à fouetter…
Vidocq n’en dit pas plus. La voiture s’engageait dans le faubourg Saint-Antoine, large artère bordée d’une multitude d’ateliers résonnant du bruit des rabots, des marteaux et des scies. C’était là que s’élaboraient les beaux meubles qui s’en iraient orner les maisons nobles et bourgeoises, Cela sentait le bois neuf, la cire fraîche, la colle fumante, et une intense activité semblait y régner, Ici ou là on pouvait voir stationner l’élégante voiture d’un client ou la charrette d’un marchand. Enfin, par la place du Trône où Vidocq, décidément changé en cicérone, montra à ses jeunes compagnes l’emplacement qu’avait occupé la guillotine pendant la Terreur, puis, par la grande avenue de Bel-Air et la Grande Rue, on atteignit enfin le cœur de Saint-Mandé dont l’aspect paisible et verdoyant plut immédiatement à Hortense.
La maison de Mme Morizet s’élevait, non loin de la vieille église qui avait été chapelle de prieuré, au bord du chemin qui menait à Charenton et qui portait le nom de chaussée de l’Étang. C’était une maison grise, massive en dépit de ses fenêtres cintrées, mais dont les murs étaient à demi cachés par des plantes grimpantes. Un grand jardin s’étendait au long de la chaussée jusqu’à un ruisseau qui, ayant franchi la route sous un pont, se perdait dans l’épaisseur des arbres du parc de Vincennes. Tout auprès le miroir brillant d’un étang reflétait le soleil et sertissait d’or ses nénuphars et ses bouquets de roseaux. On n’entendait d’autre bruit que le chant des oiseaux et l’appel d’une jeune voix réclamant instamment aux échos un certain « Petit-Pierre ! »…
La voiture s’arrêta devant une grille d’où, par une allée passant sous un pommier, on gagnait l’entrée de la maison. Une vieille dame en robe de soie puce, les coques de ses cheveux blancs auréolées d’un bonnet de dentelle posé un peu de travers, s’encadra au seuil quand la voix de Vidocq arrêta le cheval. Voyant l’attelage, elle empoigna ses jupes à deux mains et se précipita au-devant des arrivants en criant :
— Honorine ! Honorine ! Les voilà !…
Une femme à peu près du même âge mais deux fois plus large et deux fois plus haute surgit alors de derrière la maison, brandissant une cuillère à pot grande comme une pelle à four. Mais déjà la petite dame avait atteint la voiture et s’extasiait !
— Le bel enfant ! Le ravissant bébé !… C’est un trésor, ma chère, un vrai trésor !… Mais entrez donc ! Vous devez avoir hâte de prendre un peu de repos et de vous restaurer ! Ces voyages sont si fatigants !…
— D’autant que la diligence avait du retard ! renchérit Vidocq. Mais je crois que Mme Coudert va avoir tout le temps de se reposer chez vous, chère madame Morizet !
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