Encadrée de ses deux dragons, Hortense gravit un grand escalier de pierre blanche au pied duquel rêvaient les statues du Silence et de la Méditation. Il montait, cet escalier, vers un large palier soutenu de colonnes ioniques. En face, une double porte donnait accès à la chapelle…
En dépit des belles dimensions que lui avaient données les décorateurs de l’Empire, Percier et Fontaine, cette chapelle était toujours trop petite pour contenir la Cour, aussi y avait-il beaucoup de monde sur ce palier. Mais, sur le côté, les portes d’un salon s’ouvrirent devant Hortense et ses marraines. Un salon qui n’était pas vide lui non plus…
Combien de temps fallut-il rester là, debout, immobile et rigide, plantée face à cette porte qui tout à l’heure s’ouvrirait ? Parfois les clameurs des grandes orgues arrivaient en bouffées étouffées. Elles résonnaient dans le cœur oppressé d’Hortense qui, sans trop savoir pourquoi, se sentait étrangement lasse et mal à l’aise. Autour d’elle on chuchotait, avec ce ton feutré que l’étiquette exige… C’étaient là, sans doute, conversations particulières qui ne la concernaient en rien. Pourtant elle avait la sensation pénible que des centaines d’yeux étaient fixés sur elle, irritants comme des piqûres d’insectes…
L’orgue, à présent, jouait une marche triomphale dont les échos allaient grandissant. Cela signifiait que la messe était dite et que le Roi allait sortir. Quelques instants encore et les portes s’ouvrirent toutes grandes. Précédé par les gardes de la Manche[6], le roi Charles X venait de faire son entrée. Derrière lui entraient un petit bonhomme sans aspect qui était le roi de Naples et une grosse dame empanachée de rose qui était sa reine. Ensuite encore la famille royale qui s’immobilisa un instant comme si elle posait pour la postérité : Madame la Dauphine d’abord, toujours aussi peu féminine et dont l’air revêche semblait n’avoir subi aucune modification heureuse, le Dauphin auprès d’elle, le dos rond, l’air de ne pas être là. Enfin, tenant par la main une petite fille et un petit garçon, une jeune femme mince, casquée de superbes cheveux blonds et au visage un peu irrégulier qui respirait la bonne humeur : Mme la duchesse de Berry… Tout ce monde formait un kaléidoscope de couleurs sur lesquelles scintillait l’éclat des pierreries et qui brouilla les yeux d’Hortense.
— Allons ! dit l’un de ses mentors.
Elles se mirent en marche, toutes trois de front vers la haute silhouette élégante de Charles X, sanglé dans un uniforme violet brodé d’or. Mais, avant qu’elles n’eussent atteint le groupe royal, une voix se faisait entendre :
— Daigne le Roi permettre que je lui présente la comtesse Hortense de Lauzargues, ma belle-fille et sa très humble servante.
La voix avait sonné aux oreilles d’Hortense comme les trompettes de l’Apocalypse. C’était celle du marquis, son beau-père. Ses yeux se troublèrent et elle crut défaillir. Mais déjà une main dont elle reconnaissait la fermeté avait saisi la sienne et la conduisait à peu de distance du Roi où elle plongea dans sa première révérence… Là on la lâcha… Comment réussit-elle les deux autres saluts protocolaires, elle ne le sut jamais. Cela tenait apparemment du miracle…
En réponse, le Roi hocha la tête et émit un vague grognement. Alors la main impitoyable reprit la sienne et l’amena devant la Dauphine qu’il fallut saluer elle aussi et qui lâcha :
— Apprenez à vous tenir tranquille ! Il est temps que l’on cesse de courir après vous ! Puis passa.
Seule, la duchesse de Berry eut, pour la jeune femme au bord de l’évanouissement, un gentil sourire :
— Revenez me voir, dit-elle. Pourquoi ne seriez-vous pas de mes dames, comtesse ?
L’ombre noir et or qui semblait s’être donné à tâche de doubler Hortense répondit pour elle :
— Votre Altesse Royale est infiniment bonne. Mais Mme de Lauzargues n’est pas faite pour la vie de cour et nous repartons sous peu pour nos terres d’Auvergne…
— Vraiment ? C’est dommage. En ce cas, adieu comtesse…
C’était fini. La famille royale s’éloignait et derrière elle les « marraines » postiches et toute la cour. Le salon se vida. Alors seulement Hortense trouva assez de courage pour regarder Foulques de Lauzargues.
Il était bien là, toujours le même : arrogant et cynique sous l’auréole majestueuse de ses cheveux blancs. Suprêmement élégant aussi. L’habit de cour de satin noir brodé d’or lui seyait superbement et les blancheurs de son linge avaient l’éclat de la neige. Il souriait avec une satisfaction trop visible pour ne pas être insultante mais le sourire n’atteignait pas ses yeux d’azur pâle. Curieusement, ce fut cet air triomphant qui rendit à Hortense un courage qui venait de subir une déroute presque totale. Dégageant sa main si brusquement qu’il ne réussit pas à la retenir, elle s’écarta de lui :
— Si je ne me trompe, c’est à vous que je dois la grotesque comédie à laquelle je viens d’être contrainte ?
Le marquis se mit à rire, chiquenaudant son gilet de brocart de ce geste familier qu’il avait pour se débarrasser de menus brins de tabac.
— Quelle phrase discourtoise pour des retrouvailles entre gens qui ne se sont pas vus depuis si longtemps !
— Si longtemps ! Quelques semaines. Mais le temps ne fait rien à la chose. Des années de séparation n’eussent rien changé à notre revoir, marquis. Et si j’eusse pu supposer un seul instant que je vous trouverais ici…
— On ne décline pas une invitation royale, ma chère Hortense. Je croyais vous avoir au moins appris cela.
— Trêve de persiflage. Ce que vous m’avez appris de plus clair, c’est à quelle sorte d’homme vous appartenez. C’est aussi à vous haïr.
La colère faisait monter le sang aux joues de la jeune femme et s’enfla encore à constater que son ennemi se contentait de sourire.
— Je vous dis que je vous hais et cela vous amuse ? s’écria-t-elle.
— Oui, parce que c’est sans importance. Ce qui compte c’est que la colère vous va toujours aussi bien. Vous êtes infiniment belle aujourd’hui, madame, et j’en suis infiniment heureux. Cela me montre combien j’avais tort, naguère, de me laisser aller à… certaines humeurs excessives…
— Humeurs excessives ! Votre intention de me supprimer ?
— Plus bas, je vous prie ! fit le marquis en désignant les gardes, dressés comme des cariatides bleu et or de chaque côté de la porte. N’oubliez pas où vous êtes !
— Vous l’avez oublié avant moi en m’attirant dans ce piège… déshonorant.
— En vérité, vous perdez l’esprit ! Que voyez-vous de déshonorant dans le fait que j’aie demandé votre présentation à la Cour ? Sans vos folies, la chose se fût faite avec infiniment plus d’éclat et tout naturellement.
— Oserai-je vous rappeler qu’en fait de cérémonie, c’était plutôt celle de mes funérailles que vous prépariez ?
— Ne revenons pas là-dessus ! Je vous ai laissé entendre que je regrettais cette poussée de fièvre. D’honneur, ma chère Hortense, je ne souhaite rien d’autre que vous ramener avec moi à Lauzargues pour y vivre à mes côtés selon les règles normales d’une famille…
— Je sais ! Vous l’avez même annoncé à Son Altesse Madame la Duchesse de Berry, sans même songer à me demander ce que j’en pensais. Or, il se trouve que je n’ai aucune envie de retourner en Auvergne.
— Vraiment ? N’avez-vous pas envie de revoir votre fils ?
Sous le choc du mot, sous la douleur de l’image instantanément évoquée, Hortense ferma les yeux. Ce misérable employait pour la ramener le plus odieux des chantages… Bien sûr, elle mourait d’envie de retrouver son enfant mais, si elle acceptait de suivre le marquis, vers quoi la ramènerait-il ? Vers quel esclavage ignoble ? A quoi devrait-elle se soumettre une fois revenue derrière les murailles de Lauzargues ?… Néanmoins sa tendresse fut la plus forte et elle ne put s’empêcher de demander, d’une voix que l’émotion fragilisait :
— Comment va-t-il ?
— A merveille ! Nous avons dû lui trouver une nouvelle nourrice tant il est vorace. C’est un superbe enfant… un vrai Lauzargues !
Le sourire attendri qui s’épanouissait au cœur d’Hortense monta, sans qu’elle en eût conscience, jusqu’à son visage.
— J’en suis heureuse ! Mon petit Étienne…
La voix froide du marquis trancha net cette minute de douceur.
— Je ne connais pas d’Étienne. Mon petit-fils s’appelle Foulques, comme moi !… Allons, ma chère, je crois que nous nous sommes suffisamment attardés ici, avec, je dois le dire, la bienveillante permission du Roi. Sa Majesté a volontiers admis qu’avant de quitter le palais nous aurions quelques phrases à échanger. A présent, il est temps de rentrer…
— Je partage votre avis. Aussi vais-je rentrer. Je suppose que les aimables dames qui m’ont amenée vont me reconduire ?
— Il n’en est pas question, dès l’instant où je me trouve à point nommé pour remplir cet office. Accepterez-vous mon bras ?
Après une toute légère hésitation, la jeune femme posa sa main sur la manche brodée. Mieux valait peut-être ne pas créer d’esclandre dans ce palais où elle devinait que tout lui était hostile… Silencieusement, ils quittèrent le salon, descendirent le grand escalier où Hortense prit conscience, cette fois, des regards qui s’attachaient à elle, curieux ou admiratifs. Elle songeait que dans son émoi de tout à l’heure, elle n’avait même pas cherché à voir si Mme de Dino était mêlée à la suite royale… Mais, au fond, c’était sans importance. La nièce de Talleyrand eût été impuissante à la protéger. De quoi d’ailleurs ? D’un oncle à l’allure superbe, au sourire plein de charme ? La duchesse qu’une si longue passion liait à son propre oncle qui, lui, était un vieillard devait à cette heure la prendre pour une folle…
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