Cette disparition faisait qu’elle se sentait plus déracinée que jamais et elle ne comprenait pas pourquoi le duc tenait tant à la garder auprès de lui. Ne l’avait-il dit que pour se débarrasser de Campobasso ou bien cette histoire d’otage était-elle sérieuse ? Du fond de ce lit étranger, dans cette maison étrangère au cœur d’une ville et d’un pays étrangers, la jeune femme ne souhaitait plus que de retourner à Paris pour y rejoindre sa chère Léonarde dont l’absence lui était de plus en plus pénible. Noël approchait et elle appréhendait à présent cette douce fête où se réunissent ceux qui s’aiment. Pour elle ce serait le Noël de la solitude, le premier qu’elle allait vivre sans son père et sans Léonarde. Même Philippe, cette ombre d’époux, était au loin, perdu à jamais pour elle... A dix-huit ans, le cœur n’a pas encore oublié les tendres joies de l’enfance ni la douceur du foyer paternel et Fiora, durant la nuit entière, pleura, elle dont l’orgueil détestait les larmes, sur les cendres, encore chaudes, de son palais incendié et de son bonheur détruit.
– Moi aussi je suis séparé des miens, lui confia au matin Battista en remarquant ses yeux rougis, et si vous ne souhaitez pas vous mêler à vos hôtes pour la fête, je pourrais m’en venir et vous chanter de jolies chansons de chez nous...
Ce qui eut pour conséquence immédiate de la faire pleurer de plus belle à sa grande confusion. En vérité, elle devenait d’une affligeante sensibilité ! Elle embrassa l’enfant sur les deux joues pour le remercier de son amitié.
Or, à la veille de la Nativité, trois cavaliers qui ne ressemblaient en rien aux rois mages, surgirent des chemins enneigés et franchirent la porte de la Craffe : un homme, une femme et un jeune garçon. C’étaient, dans l’ordre : Douglas Mortimer superbe sous son harnois de la Garde Ecossaise mais de fort méchante humeur de se présenter en pareille compagnie, Léonarde, juchée sur une mule et emmitouflée de lainages et de fourrures, aussi sereine que son compagnon était grognon, enfin le jeune Florent, l’apprenti banquier gagné par le démon de l’aventure, qui s’était pendu aux basques de la vieille demoiselle en refusant farouchement de s’en séparer avec, bien sûr, au fond de son cœur innocent, l’espoir de revoir la belle dame de ses pensées...
Tout ce monde se retrouva bientôt devant Olivier de La Marche un peu déconcerté par cette arrivée pittoresque :
– Je dois remettre à Monseigneur le duc une lettre du roi de France et en attendre réponse, dit Mortimer du ton rogue qui lui était habituel.
– Vous serez conduit à lui dans un instant... mais quelles sont ces personnes ? Vous voyagez en famille ?
Avant que l’Écossais qui avait viré au rouge brique ait libéré les mots que la colère coinçait dans sa gorge, Léonarde s’était chargée de la réponse.
– Moi, de la famille de cet ours mal léché ? Sachez, sire capitaine, qu’il a seulement été chargé par Sa Majesté le roi de nous protéger, moi et ce jeune homme, au long du voyage depuis Paris. Sachez aussi que je désire voir votre maître. Je suis la gouvernante de donna Fiora Beltrami qu’il retient prisonnière et je suis venue la chercher car il ne convient pas qu’une jeune dame de sa qualité se trouve seule en compagnie de soudards !
– Je vois, dit La Marche. Et celui-là ? ajouta-t-il en désignant Florent.
– Mon jeune valet, ou mon page comme il vous plaira. Je suis dame Léonarde Mercet, déclara-t-elle du ton altier qu’elle eût employé pour dire : je suis la reine d’Espagne.
– Vous m’en direz tant ! fit le capitaine, mi-figue, mi-raisin. Votre nom, messire ?
– Douglas Mortimer, des Mortimer de Glen Livet, officier de la Garde Ecossaise du roi Très-Chrétien, Louis, onzième du nom, lança celui-ci en homme qui sait ce qu’il représente... La Marche d’ailleurs s’inclina : -Veuillez me suivre !
Quelques instants plus tard, l’Ecossais et la vieille fille pliaient le genou devant le Téméraire qui, superbe à son habitude, donnait ses audiences du mardi dans la salle des états de Lorraine. Si Léonarde fut impressionnée par le faste qui l’entourait, elle n’en montra rien et ce fut un regard fort paisible qu’elle posa sur l’homme dont on disait qu’il faisait trembler la moitié de l’Europe.
Avec tout le cérémonial requis par le protocole, Mortimer, familier des usages de cour, remit au duc de Bourgogne une lettre aux termes de laquelle Louis XI, après l’avoir félicité de sa victoire sur Nancy et l’assurant de sa fraternelle affection, demandait que soit remise à son envoyé « très noble et très gracieuse dame Fiora Beltrami dont nous tenions le défunt père en très particulière estime et amitié et dont nous avons appris avec inquiétude qu’elle s’était aventurée jusqu’en Lorraine pour y retrouver un sien cousin. Cette jeune dame étant chère à notre cœur paternel, nous déplorerions qu’il lui fût advenu dommage ou peine et nous considérerions comme une particulière marque d’amitié qu’elle soit confiée à notre messager et à la dame qui l’accompagne afin d’être ramenée au-delà de la ville frontière de Neufchâteau où le seigneur comte de Roussillon pourra s’en charger et la faire conduire en sûreté jusqu’à nous... ». Suivaient les effusions rituelles mais le Téméraire n’en parcourut pas moins la royale épître avec un air manifestement renfrogné. Neuf-château, qui d’ailleurs s’était rendu à lui, ne se trouvait qu’à quinze lieues de Nancy et le comte de Roussillon, l’un des meilleurs capitaines du roi, n’avait pas coutume de ne commander qu’une poignée d’hommes.
Charles laissa la lettre s’enrouler sur elle-même avant de la tendre à son secrétaire puis considéra un instant les deux personnages qui attendaient son bon plaisir :
– Nous sommes heureux d’apprendre, dit-il enfin, que les frontières de France sont si bien gardées et, en vérité, nous n’en avons jamais douté. Quant à donna Fiora, nous concevons parfaitement qu’elle soit chère au cœur de notre cousin le roi Louis. Malheureusement, nous ne la détenons pas par-devers nous...
Il prit un temps sans paraître s’apercevoir de la pâleur soudaine de Léonarde et de l’angoisse qui montait dans ses yeux, ni d’ailleurs des sourcils froncés de Mortimer.
– Et puis, reprit-il, nous ne la connaissons pas en tant que telle. Nous n’avons ici que la comtesse de Selongey, épouse de l’un de nos meilleurs capitaines et nous sommes étonné que le roi ignore ce détail. Mais il est bien certain que nous ne saurions remettre au roi de France une grande dame de Bourgogne. Nous en écrirons dans ce sens à notre cher et aimé cousin. En attendant, sire Mortimer, vous êtes notre hôte jusqu’après les fêtes de Noël qu’il ne conviendrait pas de vous faire passer dans la froidure des grands chemins. Quant à vous, madame, vous allez être conduite sur l’heure auprès de votre élève tenue de garder la chambre à la suite d’un... léger accident.
Quand, un moment plus tard, Nicole Marqueiz introduisit Léonarde auprès d’elle, Fiora, incrédule, ferma les yeux en les serrant très fort comme il arrive lorsque l’on se trouve en présence d’une lumière trop violente, mais déjà celle-ci s’était élancée vers elle et l’avait prise dans ses bras :
– Mon agneau ! Enfin je vous retrouve !
Les quatre mois de séparation qu’elles venaient de subir leur paraissaient à présent quatre siècles et pendant un long moment ce fut un festival de questions à bâtons rompus et d’embrassades. Chacune avait tellement à raconter que l’on ne savait plus par quel bout commencer...
– Nous n’y arriverons jamais, dit Fiora, si nous ne mettons un peu d’ordre dans nos propos. Comment avez-vous pu savoir que j’étais ici ?
– La réponse tient en un seul nom : Esteban. Léonarde expliqua comment, chassés par Campobasso, le Castillan et l’Écossais avaient résolu de se séparer : l’un pour retourner rendre compte au roi de l’issue de sa mission, l’autre pour rester aux alentours de Thionville ou même dans la ville afin de surveiller ce qui se passait au château. Quand Fiora était partie pour Pierrefort, il avait suivi, de loin, l’escorte de la jeune femme et grâce à un peu d’argent il avait trouvé asile chez l’un des paysans qui ravitaillaient le château en bois ou en fourrage. L’entrée en scène d’Olivier de La Marche ne lui avait pas échappé et, comme à l’aller, il avait suivi Fiora jusqu’au camp bourguignon où il s’était engagé dans une compagnie franche afin de pouvoir circuler dans le camp.
L’arrivée de la jeune femme avait suscité au moins la curiosité et Esteban situa très vite l’endroit où elle était enfermée. Cela lui permit de la sauver du poignard de Virginio mais, après la prise de Nancy et comprenant qu’il ne pouvait rien faire avec ses seules forces, il s’enfuit en pleine nuit, brûlant les étapes, et rentra à Paris d’où Agnolo Nardi l’avait emmené chez le roi au château de Plessis-lez-Tours... avec Léonarde qui avait fermement insisté pour les accompagner.
– Étant désormais en paix avec la Bourgogne, poursuivit Léonarde, notre sire a pensé que rien ne s’opposait à ce qu’il vous réclame. Je crois que le roi a beaucoup d’estime pour vous et nous étions tous fort affligés de votre sort.
– Vous n’aviez pas tout à fait tort de l’être. Mais vous ne me parlez point de Démétrios ? Est-il toujours auprès du roi Louis ?
– Non. Il est au château de Joinville, pas bien loin d’ici avec le duc René II de Lorraine. Le roi l’a « prêté » au jeune duc pour qu’il prodigue ses soins à la vieille princesse de Vaudémont, sa grand-mère, qui est fort malade.
En outre Démétrios a tiré l’horoscope de ce prince et ce qu’il y a lu l’a si fort attaché à lui qu’il ne veut plus le quitter. Le roi y a consenti. Quant à Esteban, il est allé rejoindre son maître et nous avons fait route ensemble jusqu’à Saint-Dizier...
– Ainsi Démétrios m’abandonne ? dit Fiora avec un peu de tristesse. Je croyais que nous avions conclu un pacte ? Mais apparemment mon sort l’intéresse moins que celui de « l’Enfant »...
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