– Et si je refuse ? grogna le Castillan qui sentait monter sa colère.

– C’est tout simple : avant une heure tu seras pendu.

– Je n’ai pas envie, moi non plus de repartir, articula Mortimer. Où alors, allez chercher donna Fiora. D’elle j’accepterai un ordre...

Il avait tourné les yeux vers Esteban et celui-ci lut sans peine que la Bourrasque était sur le point de se déchaîner. Entre eux deux, le condottiere désarmé ne pèserait pas lourd... Mais Campobasso soupirait d’un air excédé :

– Dieu que vous êtes fatigants !

Il frappa dans ses mains et, aussitôt, une vingtaine d’hommes armés pénétrèrent dans la salle :

– Vous n’aurez pas le dernier mot avec moi. Partez tranquillement et séparons-nous bons amis. Mes hommes vous donneront quelques vivres pour la route... et vous pourrez vous partager ceci.

Il détacha la bourse attachée à sa ceinture et la lança vers les deux hommes mais aucune main ne se tendit pour la saisir et son contenu se déversa sur les dalles. A nouveau l’Ecossais consulta son compagnon du regard puis, haussant les épaules, déclara :

– Partons ! Je ferai vos commissions à mon supérieur... toutes vos commissions !

– Parfait ! On va donc vous accompagner hors des portes de la ville.

Mortimer et Esteban partirent sans se retourner, suivis par les soldats. Salvestro fermait la marche. Quand ils eurent disparu, Campobasso se mit en devoir de récupérer les pièces d’or qui avaient roulé à terre, les remit dans la bourse qu’il fit sauter dans sa main avec satisfaction tout en se dirigeant vers la chambre.

Fiora dormait toujours dans la masse brillante de ses cheveux en désordre qui sertissaient son corps charmant.

Le comte la contempla un instant puis, ôtant ses vêtements, il se glissa auprès d’elle et, appuyé sur un coude, il se mit doucement à la caresser. Elle gémit, sans ouvrir les yeux, s’étira pour mieux s’offrir à la main qui glissait sur elle, dispensatrice d’un plaisir dont elle sentait déjà la chaleur monter au creux de ses reins. Quand elle commença à se tordre avec une plainte heureuse, il entra en elle pour la rejoindre dans le spasme suprême…

CHAPITRE IX

L’ARRESTATION

Durant trois jours et trois nuits, Campobasso et Fiora demeurèrent enfermés dans le double isolement de leur chambre et des rideaux du lit. Seul Salvestro franchissait, deux fois le jour, la porte de celle-ci pour apporter des repas mais sans jamais rien voir de ce qui se passait derrière ceux-là. Galeotto avait été chargé d’assurer le commandement et de veiller à l’ordre dans Thionville. Il s’en acquittait avec hargne, serrant les poings quand il lui arrivait de tourner les yeux vers certaine fenêtre close où il imaginait bien qu’on ne faisait point pénitence.

Ces heures ardentes, Fiora les vécut entièrement dans les bras de son amant. Il la gardait contre lui pour dormir, pour la faire manger et boire et quand, au bout de vingt-quatre heures, elle réclama un bain, la porta lui-même dans le bassin que le vieil écuyer avait rempli d’eau fraîche, la lava, la sécha sans cesser de lui prodiguer caresses et baisers. Quand il ne lui faisait pas l’amour, il la regardait avec émerveillement, touchait ses paupières, ses lèvres, son cou, ses seins, ses pieds et ses mains, et lui murmurait des mots d’amour qu’elle ne comprenait pas toujours.

Jamais la jeune femme n’avait imaginé qu’elle allait allumer pareille passion. Cet homme n’était jamais comblé, jamais rassasié et la possession, au lieu d’apaiser ses sens, semblait les exaspérer et décupler son désir au point, parfois, d’effrayer Fiora. Il dormait peu et ne la laissait lui échapper dans le sommeil que durant de courts laps de temps : une heure ou deux après quoi elle le retrouvait plus affamé d’elle que jamais :

– Tu es à moi pour toujours, lui dit-il un soir en la serrant à l’étouffer. Je ferai de toi ma femme...

Prise de court par cette déclaration inattendue, elle choisit le parti de rire.

– Tu veux m’épouser ? ... et je ne sais même pas ton prénom...

– Cola... ici, on dit Nicolas comme le jeune duc que j’ai perdu et que j’aimais servir. Mais je ne veux de toi d’autres mots que d’amour.

– Je ne crois pas avoir dit que je t’aimais ? Seulement que tu me plaisais...

– Qu’importe si ta bouche ne le dit pas ! Ton corps, lui, le crie sans cesse, ton corps qui m’appelle, ton corps que je fais chanter, vibrer, crier même. Cela vaut toutes les fadaises des poètes. Et d’ailleurs tu m’aimes déjà sans même t’en rendre compte...

– Peut-être, mais tant que je ne m’en rendrai pas compte, je ne t’épouserai pas...

Nouant ses poings dans ses cheveux il lui tira cruellement la tête en arrière :

– Tu en aimes un autre ? Dis-moi ! Est-ce que tu aimes un autre homme ? Allons, réponds !

Emporté par une fureur subite, il planta ses dents à la naissance de son cou. Les yeux soudain pleins de larmes, Fiora poussa un cri de douleur...

– Pourquoi serais-je ici... si c’était le cas ?

Il la lâcha, vit que des larmes coulaient et que sa peau portait une marque rouge...

– Pardon ! pardon mon amour ! ... Je deviens fou... Tu brûles mon sang et tu me donnes des joies que je n’ai jamais connues avec aucune femme. Et toi, dis-moi... un autre homme t’a-t-il jamais donné autant de plaisir ? Dis-moi ! Je veux savoir...

– Non, murmura Fiora en pensant qu’elle ne mentait qu’à peine car sa nuit de noces avait été brève auprès de ce déchaînement de passion, de cette orgie d’amour qu’elle vivait et qui l’épuisait mais qui, curieusement, lui rendait toute sa présence d’esprit.

Elle avait pleinement conscience de la dualité existant entre sa tête et un corps dont elle ne pouvait contrôler les réactions. Et sa tête lui disait qu’elle n’aurait plus jamais besoin d’utiliser le parfum de Démétrios dont la senteur avait disparu depuis des heures et que Campobasso était bel et bien son prisonnier. Entre elle et un duc dont d’ailleurs le service lui plaisait moins qu’il ne l’avait cru, le condottiere n’hésiterait pas... mais tandis qu’il léchait la petite blessure de son épaule, Fiora pensa, repue d’amour, qu’elle aimerait voir s’achever cette claustration à deux que rien ne semblait susceptible de faire cesser.

Pourtant, au matin du quatrième jour, le vantail de la porte retentit des coups que lui portait un gantelet de fer. En même temps, la voix rude de Galeotto braillait :

– Sors d’ici... Cola ! Il faut que je te parle et c’est urgent !

Campobasso s’arracha du lit nu, traversa la chambre et courut ouvrir. Il reçut en plein visage le regard furieux de son ami.

– Que se passe-t-il ?

– Le page a disparu !

– C’est cela ta nouvelle ? Qu’il aille au diable et que...

– Non. Ce n’est pas seulement cela : le duc Charles est à son château de Soleuvre, à douze lieues d’ici. Que crois-tu qu’il va se passer si ce damné Virginio est allé lui raconter que tu délaisses ton commandement parce que tu ne peux plus t’arrêter de baiser une espionne du roi de France ?

La main de Campobasso fila comme un serpent jusqu’à la gorge de son compagnon qu’elle serra furieusement :

– Je t’interdis de parler ainsi, tu m’entends ? Elle sera ma femme !

– Alors, si tu veux qu’elle vive assez longtemps pour ça, tu ferais bien de la renvoyer d’où elle vient ! rugit Galeotto en s’arrachant à la poigne de son ami.

– Jamais je ne la renverrai !

– Alors mets-la à l’abri mais fais quelque chose. Le gamin a dû partir dans la journée d’hier...

Le comte réfléchit un instant puis grogna :

– Tu as peut-être raison. Envoie-moi Salvestro et donne l’ordre qu’on cherche une litière et que l’on prépare une escorte : dix hommes !

– A quoi penses-tu ?

– Je vais la faire conduire à Pierrefort !

– En plein pays lorrain donc en pays ennemi ? Tu es fou ?

– Justement. Le Téméraire n’ira pas la chercher là si ce sale petit bougre est allé me dénoncer. Pierrefort m’appartient toujours comme nous appartiennent toujours les villes que ce jeune imbécile de René II nous a laissé occuper.

L’heure qui suivit fut difficile pour Fiora. Non que les projets de son amant lui déplussent particulièrement – car elle était prête à n’importe quoi pour dormir une grande nuit tranquille – mais les choses se gâtèrent quand il lui avoua qu’il avait renvoyé ses compagnons de route. Il dut faire face à une fureur tout italienne qui le stupéfia quelques instants.

– De quel droit t’es-tu permis de renvoyer mes serviteurs ? criait-elle. Parce que tu as couché avec moi, tu t’imagines que tu peux tout faire, tout détruire de ce qui est ma vie ? Esteban m’est attaché depuis longtemps et tu l’as renvoyé comme un valet indélicat ! Je ne te pardonnerai jamais et je refuse de rester ici plus longtemps !

– Calme-toi, je t’en supplie. Tu vas partir, je viens de te le dire...

– Sans doute, mais pas comme tu l’entends ! Si tu crois que je vais me laisser enfermer dans ton château, tu te trompes lourdement. Fais-moi seller un cheval et adieu !

– Tu es folle ! Où iras-tu...

– A présent que je n’ai plus de guide ? Je vais te surprendre : j’irai rejoindre le duc de Bourgogne !

– Il te fera pendre !

– Crois-tu ? M’as-tu fait pendre, toi, quand je suis arrivée, parfaite inconnue et même un peu suspecte ? Non. Tu m’as mise dans ton lit et j’ai accepté car je te croyais un homme. Mais tu es là à trembler comme un gamin parce que, peut-être, ton page est allé te dénoncer. Le Téméraire me paraît d’une autre envergure... et ce pourrait être amusant d’essayer de le séduire.