Touchée par cette marque d’amitié, elle caressa la tête soyeuse cependant que des larmes montaient à ses yeux. Ce beau chien était donc son dernier, son seul ami dans cette assemblée ? Commynes lui-même regardait avec obstination le bout de ses souliers...
– Venez çà, Cher Ami ! ordonna Louis XI mais, au lieu d’obéir, le grand lévrier, comme s’il entendait se faire l’avocat de la jeune femme, s’assit tranquillement à côté d’elle.
Le roi ne réitéra pas son commandement. Du geste, il fit signe à Fiora de se relever, puis toussota pour s’éclaircir la voix et enfin :
– Messeigneurs, nous vous avons réunis ici, en cette noble assemblée, pour être les témoins du grand souci que nous avons de notre justice. La dame comtesse de Selongey, née Fiora Beltrami, ici présente a été accusée de trahison envers notre couronne et d’intention de meurtre envers notre personne. Une lettre est le principal chef d’accusation et, cette lettre, la dame de Selongey nie absolument l’avoir jamais écrite. D’autres éléments nous ont été fournis par une tierce personne et lesdits éléments tendraient à innocenter ladite dame.
Il prit un temps, tira un mouchoir et se moucha avec un bruit qui résonna dans le silence comme un coup de tonnerre. Personne ne souffla mot. Alors, il reprit :
– Étant donné les marques d’amitié que nous avions données à la dame de Selongey, étant donné aussi le fait que son époux, chevalier de la Toison d’or, a toujours agi comme un rebelle obstiné à notre gouvernement, notre esprit est grandement troublé et ne saurait trancher sainement dans une affaire si singulière. Aussi nous sommes-nous résolu à en appeler au jugement de Dieu !
C’était tellement inattendu que le silence s’éparpilla en murmures divers et Commynes, relevant la tête, s’écria :
– Sire ! Le Roi veut-il vraiment s’en remettre à ces pratiques d’un autre âge ?
– Si vous voulez dire, messire de Commynes, que le Dieu tout-puissant est passé de mode, vous ne serez pas longtemps de mes familiers ! fit Louis XI avec un regard meurtrier. Paix donc et ne nous interrompez plus ! Par jugement de Dieu, nous n’entendons pas l’ordalie. La dame comtesse ne sera pas jetée à l’eau ni invitée à marcher en tenant dans ses mains un fer rougi au feu, ni livrée à aucune de ces pratiques dont nous n’avons jamais pensé grand bien. Mais les accusations qui pèsent sur elle nous ont été portées par deux personnages... Messire l’ambassadeur de Florence, voulez-vous venir par devant nous ?
Il y eut un mouvement dans cette foule que Fiora ne regardait pas et Luca Tornabuoni, magnifiquement vêtu à son habitude, s’inclina devant le roi qui lui sourit gracieusement. A son aspect Fiora ne tressaillit même pas. Que son ancien amoureux fût là, devant elle, et qu’il fît partie de ses accusateurs ne la surprenait pas. Il avait dû se donner beaucoup de mal pour obtenir d’être l’envoyé de Lorenzo auprès du roi de France, mais, lors de leur dernière rencontre, elle avait senti qu’il était devenu son ennemi et ferait tout pour se venger d’avoir été par elle dédaigné... Et, comme il jetait vers elle un regard accompagné d’une ombre de sourire, elle détourna les yeux avec un écrasant dédain...
– Vous nous avez bien dit tenir de source sûre, messire ambassadeur, que la dame de Selongey – que vous connaissez depuis longtemps ?
– Depuis l’enfance, Sire, et...
– Que la dame de Selongey, disions-nous, a mis au monde secrètement, à Paris, une fille qui serait en fait tout à fait légitime si sa conception ne prouvait qu’elle a pu joindre en grand secret et pour comploter avec lui, ce rebelle notoire qu’est son époux ?
– En effet, Sire. Je l’ai dit et le répète, car ma source est des plus sûres...
– Une servante, semble-t-il ? Une ancienne esclave qui aurait eu... des bontés pour vous ?
– C’est de Khatoun que vous parlez ? s’écria Fiora incapable de se contenir. De Khatoun que vous avez failli massacrer à Florence et qui serait à présent votre maîtresse ?
Le sourire railleur de Tornabuoni lui donna envie de lui sauter à la gorge :
– Pourquoi pas ? Elle est charmante et experte aux jeux de l’amour. Je l’ai rencontrée un jour par ici, fort dolente car vous l’aviez abandonnée pour courir les routes avec un valet. Seulement, elle savait pourquoi vous alliez à Paris...
– Elle le savait, en effet, mais elle savait aussi que je n’avais pas rencontré mon époux depuis deux ans. J’ignore pourquoi elle a fait ce mensonge...
– Mensonge ? Il vous plaît à le dire, belle Fiora. Pour ma part...
– Pour votre part, reprit le roi d’une voix tout à coup sévère, nous espérons que vous êtes prêt à soutenir votre... vérité les armes à la main et contre tout champion qui se présentera pour défendre la cause de la dame de Selongey...
– Un duel ? mais je suis un ambassadeur, Sire !
– Un ambassadeur qui s’est mêlé de ce qui ne le regarde pas doit subir nos lois comme nos sujets. De toute façon, nous comptons bien prévenir notre bon cousin le seigneur Lorenzo de Médicis de notre intention de vous envoyer soutenir vos dires en champ clos.
– Sire !
– Rassurez-vous ! vous n’irez pas seul. J’ai parlé de deux personnages et je pense, messire Olivier le Daim, que vous aurez à cœur, vous aussi, de soumettre au jugement divin cette fameuse lettre que vous nous avez vous-même remise en certifiant son authenticité... et en réclamant certain manoir pour prix de ce service.
A son tour, le barbier effaré apparut sur le devant de la scène :
– Mais, Sire notre roi... je ne suis pas chevalier et ne saurais me battre !
– Pas chevalier ? Vous dont j’avais fait mon ambassadeur auprès de la ville de Gand ? Voilà une faute grave que nous nous reprocherons longtemps, mais, soyez en repos, nous avons le temps de vous adouber avant la rencontre...
– Le Roi veut vraiment... m’envoyer en lice ?
– En compagnie de messire Tornabuoni. Vous serez deux contre un champion unique. Nous faisons ce choix étrange justement parce que vous êtes peu expérimenté à l’épée...
– En revanche, au poignard et de préférence dans le dos, il ne craint personne ! clama Douglas Mortimer qui, abandonnant son poste de garde, vint se placer devant Fiora. Avec votre gracieuse permission, Sire, je serai le champion de donna Fiora ! Et je tuerai ces deux misérables aussi vrai que je m’appelle Douglas Mortimer des Mortimer de Glenlivet... Et davantage encore s’il plaît au Roi de m’envoyer cinq ou six ribauds de cette sorte !
Oh ! la joie de sentir auprès de soi cette force tranquille, cet ami sûr ! Fiora leva vers Louis XI un regard plein d’espérance... mais celui-ci fronça les sourcils :
– Paix, Mortimer ! Pâques-Dieu, vous êtes à notre service, pas à celui des dames ! Votre sang ne doit couler que pour la France. Aussi récusons-nous votre proposition... Il faudra qu’un autre champion se présente. De l’issue du combat dépendra le sort de la dame de Selongey... Restez à votre place !
D’un geste impérieux, Louis XI arrêtait net l’élan de Philippe de Commynes, visiblement prêt à offrir ses armes...
– Dans une affaire aussi grave, reprit le roi, il ne faut pas de précipitation. Celui qui se présentera devant nous, dans un mois jour pour jour, devra savoir que, s’il est vaincu, la dame de Selongey sera exécutée, et que le combat sera à outrance. Ainsi donc, messeigneurs, examinez et pesez bien votre décision...
– C’est tout décidé, marmotta Mortimer entre ses dents. Aucune force humaine ne m’empêchera de combattre pour elle, même si je dois donner ma démission !
Proche cependant de l’Ecossais, le roi, comme s’il n’avait rien entendu, reprit :
– Que l’on ramène la dame de Selongey dans sa prison ! Personne n’est autorisé à lui parler.
Le silence était encore plus profond qu’à l’entrée de Fiora lorsqu’elle se dirigea vers la porte au milieu de ses gardes. Un silence où entrait sans doute beaucoup d’étonnement devant une aussi étrange décision : un duel judiciaire dans lequel un seul homme devrait affronter deux adversaires ? Même peu habiles, c’était tout de même comprendre de curieuse façon l’égalité des chances, sans parler du Seigneur qui, dans cette affaire, voyait son rôle quelque peu diminué.
La seule consolation de Fiora, avant de quitter la salle, fut d’entendre le roi ordonner que Tornabuoni et Olivier le Daim fussent gardés nuit et jour en leurs logis jusqu’au matin du combat. Consolation bien mince, car si ni Mortimer ni Commynes n’étaient autorisés à se battre pour elle, il ne lui restait plus qu’un mois à vivre...
CHAPITRE XII
LE DERNIER JOUR
Le roi, néanmoins, semblait accorder quelque pitié à sa captive. Le lendemain, après que le geôlier Grégoire eut enlevé le plateau du premier repas – auquel Fiora n’avait guère touché – il revint, tout joyeux :
– Je vous annonce une visite ! s’écria-t-il. Une bonne visite...
Rouvrant en grand la porte qu’il avait simplement rabattue derrière lui, il s’effaça pour livrer passage à Léonarde, portant dans ses bras le petit Philippe. Le cri de joie de la prisonnière fit monter à ses yeux de brave homme une larme d’attendrissement et il resta un instant à contempler le joli tableau que formait Fiora serrant son fils dans ses bras.
– Mon tout petit ! Mon amour !... Mon petit trésor ! Elle couvrait de baisers passionnés le petit visage, les menottes et les courts cheveux bruns qui bouclaient autour de la tête ronde de Philippe, lui donnant l’air d’un angelot... ce qu’il n’était pas tout à fait car, peu habitué à des effusions aussi intenses, il se mit à protester. Fiora s’affola :
– Est-ce que je lui ai fait mal ?
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