– Sur celui qui dort ici et sur la foi que je lui avais jurée, je n’ai jamais aimé que toi !
– Alors reviens, je t’en supplie ! Reviens avec moi ! J’étais en route pour Selongey, allons-y ensemble et nous enverrons chercher notre fils ! Je ne retournerai pas à la Rabaudière, mais viens, je t’en supplie ! Ne nous condamne pas tous les deux ! Nous pouvons être si heureux encore...
– Tu crois ?
– J’en suis sûre, mon amour...
Il y eut entre eux l’un de ces silences plus éloquents que toute parole parce qu’ils pansent les blessures et font naître l’espoir. Fiora n’osait pas bouger, attendant un geste, un sourire pour courir vers son époux.
– Alors, à ton tour tu vas jurer, ordonna Philippe. Tu vas jurer sur ce même tombeau et devant Dieu que tu n’as jamais été la maîtresse de Lorenzo de Médicis !
Le coup frappa la jeune femme si rudement qu’elle vacilla tandis que le sang refluait vers son cœur. La lumière qui venait de s’allumer s’éteignit. L’espoir s’évanouit... La tentation du faux serment n’effleura même pas Fiora : elle savait trop que le secret de la naissance de Lorenza pouvait lui échapper et que même les bruits venus de la lointaine Florence pouvaient atteindre un jour les oreilles de son époux.
– Eh bien ? s’impatienta Philippe.
Elle ne répondit pas, détourna les yeux pour fuir ce regard qui, à présent, flambait à la fois de colère et de chagrin.
– Je... je ne peux pas ! Mais...
– Pas de « mais » ! Adieu Fiora !
– Non !
Ce fut un cri déchirant, mais Philippe ne voulut pas l’entendre. Avec un geste qui repoussait la jeune femme dans les ténèbres du désespoir, il s’enfuit en courant et la porte de la collégiale retomba sur lui aussi lourdement qu’une pierre tombale.
Seule, désormais, Fiora se laissa tomber à terre, à genoux d’abord puis de tout son long, image désespérée de son cœur crucifié, comme si elle voulait s’intégrer à cette pierre froide, à ce tombeau sur lequel venait de se briser sa vie.
C’est là que, peu après, Florent et Battista la trouvèrent...
CHAPITRE XI
LA MAISON VIDE
Fiora n’aurait jamais cru qu’il était possible de tant souffrir. Inerte sur son lit, tandis que ses larmes ne cessaient de couler trempant ses cheveux et l’oreiller, incapable de dormir ou de se nourrir, elle laissait une pensée unique enfiévrer sa tête et la détruire lentement : Philippe la rejetait loin de lui, et pour toujours. Il lui préférait un couvent misérable et le tombeau auprès duquel il prétendait vivre le reste de ses jours. Le trop doux péché commis avec Lorenzo imposait à la coupable une impitoyable pénitence en éloignant à jamais le seul homme qu’elle eût aimé.
N’imaginant pas un instant, du fond de son humiliation, que Philippe luttait peut-être à présent contre tous les démons d’une jalousie furieuse, elle restait là sans rien vouloir entendre des consolations de ses amis, refusant de quitter cette chambre et surtout cette ville où, au moins, elle le savait présent, à deux pas de la maison où elle vivait une agonie.
Depuis qu’ils l’avaient ramassée dans l’église à peu près inconsciente, Battista et Florent ne savaient que faire, et pas davantage Nicole Marqueiz qu’en peu de mots ils avaient mise au courant. A peine Fiora réfugiée dans sa chambre, le jeune Colonna s’était précipité au couvent pour dire à Selongey ce qui se passait et tenter de le fléchir, mais il s’était heurté à un véritable mur.
– Cette femme est morte pour moi, jeta Philippe avec une violence qui surprit le jeune homme. Elle a mis l’irréparable entre nous. J’ai pardonné une fois, je ne pardonnerai pas une seconde.
– Elle vous croyait mort et, si j’ai bien compris, elle venait de subir de dures épreuves...
– Elle me savait bien vivant quand elle s’est donnée à Campobasso. Qu’elle m’ait cru défunt n’est pas une excuse. Si j’acceptais de vivre avec elle, pendant combien de temps me serait-elle fidèle ? Sa beauté attire les hommes et elle se laisse attirer par leur amour.
– Elle n’aime que vous.
– Peut-être parce qu’elle ne m’a jamais vraiment tenu à sa merci. Qu’en serait-il lorsque viendrait la monotonie de la vie quotidienne ? A qui permettrait-elle de la distraire ? Quel homme devrais-je alors tuer... à moins que je ne la tue elle-même ? Non, Colonna, je refuse de subir cela ! Je ne veux pas devenir fou...
– Ne le deviendrez-vous pas ici ? Vous n’êtes pas fait pour la vie monastique... pas plus que moi, d’ailleurs, et je sais à présent que je m’étais trompé.
– Vous aviez choisi le seul refuge digne d’un chevalier, mais vous avez d’autres raisons de vivre à présent. Moi, je vais continuer à monter ma garde silencieuse auprès du seul maître que j’aie jamais accepté. Si je ne trouve pas la paix, je repartirai et j’irai, comme j’en ai eu un moment l’intention, chercher la mort en combattant les Turcs.
– Et... votre fils ? Vous résignez-vous à ne jamais le connaître ?
Le regard de Philippe étincela soudain, puis s’éteignit sous l’abri de sa paupière :
– J’en crève d’envie ! gronda-il. Mais si je le voyais, si je le touchais, je n’aurais plus le courage de m’éloigner. C’est de sa mère alors qu’il me faudrait le priver. Je préfère de pas prendre ce risque... Allez-vous-en, Colonna ! Allez vers votre destin, laissez-moi à ma solitude...
– Ne m’accorderez-vous pas de lui apporter une seule bonne parole ? murmura Battista navré. Elle est brisée, anéantie, et il se peut qu’elle ne se relève pas.
– Dites-lui... que je lui confie mon fils et que je compte sur elle pour en faire un homme digne de ses aïeux. Je la sais de cœur noble et vaillant. Ce n’est pas vraiment de sa faute si son corps est faible. Dites-lui enfin que je prierai pour elle... pour eux !
Ce fut tout. L’instant d’après, Philippe de Selongey franchissait la porte qui menait au cloître et disparaissait. Battista, découragé, revint auprès de Fiora, mais il n’eut pas le courage de lui délivrer le message austère et désolant dont il était chargé. Le lendemain, à son tour, Florent, emporté par une colère furieuse, courut au prieuré, décidé à faire entendre à l’obstiné ce qu’il appelait la voix de la raison et ce qu’il pensait de lui. Mais il ne fut pas reçu et dut repartir comme il était venu. Georges Marqueiz, qui tenta l’expérience par amitié pour Fiora, n’eut pas plus de chance. Philippe semblait avoir décidé de se murer dans le silence.
Au matin du quatrième jour de la réclusion de Fiora, dame Nicole, Battista et Florent décidèrent d’un commun accord qu’il fallait intervenir. De toute évidence, la jeune femme était résolue à se laisser mourir de faim.
– Je refuse, déclara l’épouse de l’échevin, de la regarder périr dans ma maison. Venez avec moi, tous les deux, et ne vous fâchez pas si mon langage vous paraît un peu rude.
Armée d’un plateau garni de mets légers et d’un flacon de vin, elle s’engagea, suivie des deux garçons, dans l’escalier qui menait chez la désespérée.
En dépit du feu allumé dans la cheminée pour lutter contre l’humidité due à la période de pluies qui trempait ce mois de mai, la chambre était obscure. Dame Nicole fit signe à Florent d’aller ouvrir les lourds rideaux. Le jour gris et triste qui pénétra n’était guère encourageant, mais c’était tout de même le jour. Il éclaira le lit dans lequel Fiora était étendue, aussi inerte que si elle était déjà morte. Avec ses traits creusés par les larmes incessantes, elle semblait plus vieille et les deux garçons sentirent leur cœur se serrer.
– Je l’étranglerais volontiers, moi, ce bourreau ! grogna Florent. Quand je pense que depuis quatre jours elle consent seulement à boire un peu d’eau ! C’est à se jeter la tête contre les murs !
– Cela n’arrangerait rien. D’ailleurs, tuer messire Philippe non plus, remarqua Battista. Elle n’en serait pas moins malheureuse.
Pendant ce temps, Nicole posait son plateau sur le lit et entreprenait de redresser Fiora en attrapant les oreillers à bras le corps.
– Vous avez assez pleuré ! décréta-t-elle. A présent, vous allez manger, même si je dois vous donner la becquée comme à un bébé.
La voix qui se fit entendre parut surgir des profondeurs du lit. Elle était faible, mais cependant obstinée :
– Laissez-moi, Nicole ! ... Je ne veux pas manger ! Je... je ne mangerai plus jamais.
– Vraiment ? Alors écoutez bien ce que je vais vous dire ! Vous voulez mourir, n’est-ce pas ? Seulement, moi, je refuse d’avoir un jour prochain votre cadavre sur les bras. Allez trépasser où vous voulez, mais pas chez moi !
En dépit de sa faiblesse, Fiora ouvrit de grands yeux surpris et douloureux :
– Que voulez-vous dire ?
– C’est clair, me semble-t-il ? J’ai reçu, voici quelques jours, une amie que j’étais heureuse d’accueillir. Or, cette amie manifeste à présent la volonté de se laisser périr sous mon toit, et je ne peux l’accepter. Si je suis fière, avec quelque raison, de mon hospitalité, elle ne va pas jusqu’à permettre que l’on décide de se suicider chez moi. Il y a cent manières de mourir ici-bas, mais la maison de Georges Marqueiz ne peut convenir à ce projet. Alors, si vous tenez tellement à vous sacrifier à un homme obtus, allez exécuter cette décision ailleurs !
– vous voulez que je parte ? Oh, Nicole ! ...
– Ecoutez, Fiora, le choix est simple : ou bien vous acceptez de vous nourrir, et je vous accorde le temps nécessaire à la reprise de vos forces, ou bien nous vous faisons manger de force, ces garçons et moi, afin que vous soyez capable de supporter quelques lieues de chemin.
– Comment pouvez-vous être aussi cruelle ?
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