– Comme c’est étrange en vérité ! fit-elle d’une voix qu’elle s’efforça de raffermir. J’ai vu le prince et il a été... fort aimable. Il m’a même invitée à danser au bal d’après-demain !
La vieille dame se mit à rire :
– N’en soyez pas étonnée ! Cela lui ressemble tout à fait ! Il n’a aucune suite dans les idées. En outre, s’il se montre fort épris de sa petite duchesse, il n’en est pas moins sensible au charme féminin. L’idée de danser avec la femme d’un homme qu’il considère désormais comme son ennemi doit lui sembler plaisante. Ajoutez à cela qu’il aime à rire et qu’il adore donner des fêtes...
– Soit, je veux bien l’admettre, mais pourquoi Madame Marie ne m’a-t-elle rien dit ?
– Elle a sans doute craint que vous ne demandiez d’autres explications, ce qui l’aurait gênée. En outre, c’eût été risquer de réveiller la colère d’un époux qu’elle aime de tout son cœur. Le voir heureux auprès d’elle et du jeune prince Philippe est son seul désir. Alors, tout ce qui peut se mettre à la traverse de ce bonheur tranquille... N’oubliez pas qu’elle n’a pas connu de véritable vie familiale. Il n’était pas facile d’être la plus riche héritière d’Europe...
– L’héritage a fondu, dit Fiora sèchement, et elle ne paraît pas s’en soucier outre mesure. En vérité, je me demande pour quelle raison elle m’a reçue ?
– Et la curiosité, qu’en faites-vous ? Comment résister à l’envie de rencontrer la mystérieuse dame de Selongey, cette Florentine dont on disait merveilles et que le Téméraire traînait après lui de bataille en bataille comme une reine captive ? Je suis bien sûre qu’en ce moment les oreilles doivent vous corner, n’est-ce pas ?
– Pas vraiment, et c’est sans importance...
– Qu’est-ce qui en a donc ?
– Le sort de Philippe. Ce qu’il est devenu. Voilà des mois que je le cherche et il paraît fuir devant moi. Vous qui l’avez rencontré, à qui il a parlé, ne pouvez-vous me dire où il allait quand il a quitté Bruges ?
Mme de Schulembourg considéra la jeune femme avec une profonde commisération. Après l’avoir poussée à se faire connaître, sa sympathie pour cette belle créature en qui elle devinait une qualité de courage qu’elle avait toujours appréciée croissait d’instant en instant :
– Si je le savais, soupira-t-elle, je vous l’aurais déjà dit. Si vous êtes décidée à poursuivre votre quête, c’est vers la Bourgogne que vous devriez diriger vos pas.
– Vous pensez qu’il y serait retourné ? Ce serait folie, car c’est miracle s’il a échappé à l’échafaud et, pour ce que j’en sais, le roi Louis tient à présent tout le pays dans sa main. On dit même que la Franche-Comté, ce dernier bastion, est tombée elle aussi.
– Sans doute, mais la Bourgogne occupée par les troupes françaises est fichée au cœur du comte de Selongey comme une épine qui ne cesse de le blesser.
En dépit de leur lenteur, les pas des deux femmes les avaient conduites jusqu’au porche ouvrant sur les galeries de la cour d’honneur, à peu près vide à présent.
– Puis-je vous demander un conseil ? fit Fiora. Que feriez-vous à ma place ?
– Si vous voulez vraiment le retrouver ou tout au moins trouver une trace, il faut aller jusqu’à Selongey. L’homme désemparé cherche toujours à retrouver ses racines, sa maison natale...
– J’y ai pensé, bien sûr, mais le sire de La Trémoille doit faire surveiller le château.
– Ce n’est plus lui le gouverneur de la ville, c’est messire d’Ambroise qui est infiniment plus conciliant. Mais où habitez-vous, vous-même ?
– En Touraine. Et s’il était venu à moi, je saurais où il est. Il a coulé bien du temps, depuis Noël...
– Alors allez en Bourgogne et commencez par Selongey ! Il m’étonnerait bien que vous n’y trouviez pas au moins un indice. Ceci dit, vous aurez sans doute du mal à rencontrer votre époux car il doit se cacher. Et vous n’allez pas manquer de courir des dangers, peut-être inutiles. Au fond, le plus sage serait de rentrer chez vous et d’y attendre...
– Quoi ? Qu’il revienne ? Il ne reviendra pas.
– Dans ce cas, pourquoi vous obstiner ? Si encore vous aviez des enfants !
– J’ai un fils ! dit Fiora qui ajouta avec amertume : Dieu sait – que nous n’avons guère passé de temps ensemble, cependant ce mariage insensé a été béni par une naissance. Seulement, Philippe l’ignore.
– Alors, il faut aller le lui dire. Cherchez-le, trouvez-le, mais, si vos recherches demeurent vaines, retournez auprès de votre enfant afin qu’il ne reste pas orphelin. Dieu vous garde, ma chère ! Je prierai pour vous !
Attirant Fiora sur son vaste giron, Mme de Schulembourg l’embrassa, traça du pouce, sur son front, une petite croix, puis, resserrant autour d’elle son manteau fourré, reprit de sa démarche claudicante le chemin du jardin. Fiora la regarda s’éloigner et, après un dernier coup d’œil à ce palais splendide construit par les Grands Ducs d’Occident mais qui n’était plus que le décor vide d’une grandeur défunte, elle alla rejoindre Florent qui l’attendait en promenant les chevaux dans la cour.
Depuis leur départ, Fiora avait accoutumé le jeune homme au silence. Sans oser la questionner lorsqu’elle revint avec des yeux gros de larmes difficilement contenues, il comprit qu’elle avait hâte à présent de quitter cette demeure princière où elle avait apporté sans doute beaucoup d’espoirs. Sinon, pourquoi cette magnifique toilette ? Il se hâta de l’aider à se mettre en selle et plaça doucement les rênes entre ses mains gantées. Sautant sur sa propre monture, il précéda la jeune femme pour lui faire ouvrir la porte, s’écarta afin de lui laisser le passage et se mit à sa suite. Lorsque l’on arriva devant la Ronce Couronnée, il vit que de grosses larmes roulaient silencieusement sur son visage dépourvu d’expression. Elles débordaient des grands yeux gris, largement ouverts, et coulaient une à une en suivant le dessin délicat des traits. C’était plus qu’il n’en pouvait supporter.
– Il faut que cela cesse ! marmotta-t-il.
Aidant Fiora à mettre pied à terre, il héla un palefrenier, lui ordonna de s’occuper des bêtes puis, prenant le bras de la jeune femme qui n’opposa aucune résistance et semblait frappée de stupeur, il la conduisit jusqu’à sa chambre, y entra avec elle, la fit asseoir, alla refermer la porte et revint s’agenouiller devant elle, prenant entre les siennes deux mains qui lui parurent froides comme de la glace :
– Donna Fiora ! pria-t-il. Je croyais que vous aviez confiance en moi ?
Comme sortant d’un rêve, elle posa sur le jeune homme un regard qui ne le voyait pas :
– J’ai confiance, Florent, fit-elle d’une voix blanche. Pourquoi me demandez-vous cela ?
– Parce qu’il me semble être devenu pour vous non seulement un étranger, mais une sorte de meuble. Depuis que nous avons quitté Beaugency, vous paraissez ne même plus me voir. Nous avons couru, couru éperdument pour venir ici, sans que vous daigniez m’expliquer vos intentions.
– Le faut-il vraiment ?
– Pas si je ne suis pour vous qu’un valet, mais vous savez à quel point je vous suis dévoué, et je refuse à présent de vous laisser souffrir seule et en silence. Si dame Léonarde était là – je n’ai jamais tant regretté qu’elle n’y soit pas ! – aurait-elle droit, elle aussi, à votre mutisme ? Non, n’est-ce pas ? Vous vous confieriez à elle... Oh ! je sais que je ne peux pas la remplacer, mais dites-moi comment vous aider, comment vous rendre moins malheureuse, puisqu’il est évident que vous l’êtes ?
Fiora hocha la tête et, d’un doigt léger, caressa la joue du jeune homme :
– Quelles instructions pourrais-je vous donner alors que, moi-même je ne sais plus que faire ? Relevez-vous, Florent ! ... et allez nous chercher quelque chose à boire, mais pas de bière, je vous en prie. Apportez-nous du vin et puis, ensemble, nous essaierons de dresser un plan, de prendre une décision...
– Est-ce que nous ne rentrons pas ?
– Je ne crois pas. Pas maintenant, tout au moins.
– Où irions-nous ?
– En Bourgogne. Il serait peut-être temps que j’aille jusqu’à Selongey. J’y suis passée... oh, juste un moment, quand je suis venue de Florence, il y a quatre ans.
– Vous n’y êtes jamais retournée ?
– Non. C’est étrange, n’est-ce pas, de porter un nom, un titre, et de ne rien savoir ou presque de ce qu’ils recouvrent ?
Une heure plus tard, stimulés par la chaleur d’un excellent vin de Beaune, Fiora et Florent décidaient d’un commun accord qu’une visite à Selongey s’imposait.
– C’est le seul endroit où aller ! affirma le jeune homme, parce que c’est, je crois bien, le dernier refuge possible pour votre époux.
– Les hommes du roi surveillent sans doute le château ?
– Peut-être, mais il reste le village et tout le pays alentour. Si messire Philippe était aimé là-bas...
– Je le crois. C’est du moins ce que m’en avait dit Léonarde qui est de par là...
– Eh bien alors ? Je vous avoue que je ne comprends même pas que nous ne soyons pas déjà en route ? Ni pourquoi vous semblez tellement désemparée ?
– C’est difficile à expliquer, Florent, mais j’ai l’impression de courir après une ombre-Elle n’ajouta pas qu’elle était lasse de ces chemins, petits ou grands, dans lesquels on s’engage l’espoir au cœur et qui ne mènent nulle part sinon à un peu plus de déception, à un peu plus de chagrin ; de tous ces chemins sans issue qui avaient jalonné sa vie. Elle allait en suivre un de plus, mais pour apprendre quoi, à l’arrivée ? Que Philippe ne l’avait jamais aimée et que sa vie de femme était achevée avant d’avoir commencé ?
Troisième partie
LA JUSTICE DU ROI
"Fiora et le roi de France" отзывы
Отзывы читателей о книге "Fiora et le roi de France". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Fiora et le roi de France" друзьям в соцсетях.