– Certainement pas ! fit-elle sèchement. Si vous voulez que je vous apporte une aide appréciable, il ne faut surtout pas que je sois votre obligée. A ce point, tout au moins.
– Ce sera comme il vous plaira.
Le lendemain matin, deux jeunes femmes envoyées par la meilleure couturière de Bruges apportaient à la Ronce Couronnée ce dont Fiora avait besoin pour figurer dignement devant la duchesse Marie, pendant que Florent courait la ville pour se procurer à lui-même un costume convenable. Vers la fin de la matinée, Fiora, vêtue de velours prune moucheté d’argent et de satin blanc, coiffée d’un hennin de satin blanc ennuagé de mousseline empesée, se dirigeait à cheval, suivie de son jeune compagnon, vers le palais de celle qu’elle jugeait sa rivale. Elle se sentait résolue et sûre d’elle. L’image renvoyée tout à l’heure par le miroir et l’admiration ingénue visible dans les yeux des deux jeunes femmes pendant qu’elles l’aidaient à s’habiller étaient plus que rassurantes. Fiora pouvait soutenir la comparaison avec n’importe quelle autre femme, fût-elle couronnée, et si d’aventure Philippe croisait sa route, elle serait en possession de toutes ses armes. Ce qui était le plus important...
Chemin faisant, elle s’accorda le loisir d’admirer Bruges. La ville était bien construite, avec de belles rues pavées et de nombreux jardins donnant presque tous sur un canal et, par quelques marches de pierre, descendant jusque dans l’eau où se miraient le feuillage argenté d’un saule, le tronc mince d’un bouleau ou d’épais massifs à la verdure encore trop tendre pour les identifier. Surgissant de ponts si bas qu’il semblait impossible de les passer autrement qu’à la nage, de grosses barges fendaient l’eau noire et le verdâtre bouillonnement des mousses. Ces canaux dont le lacis semblait inextricable fascinaient la Florentine. Ils posaient des reflets de moire sur les façades déjà grises d’un palais ou sur les murs nacrés d’un couvent neuf. Celui-là clapotait au pied d’un petit mur où dormait un chat, cet autre laissait divaguer une barque mal attachée, celui-ci reposait dans un fouillis de roseaux où pêchait un poisson-chat. Tout ici parlait de paix et de douceur de vivre et cependant Bruges, bâtie pour le simple bonheur, était une cité turbulente qui, dans ses jours d’agitation, en eût remontré à Florence elle-même...
Le Prinzenhof – la Cour du Prince – formait un large quadrilatère où s’inscrivaient le palais, la chapelle surmontée d’un haut clocher, les jardins et, bien entendu les dépendances. Passée la discrète entrée surmontée d’une statue de la Vierge entourée d’anges, la cour d’honneur s’ouvrait, entourée de galeries et précédant immédiatement le logis princier construit en briques rouges avec chaînages de pierres blanches, comme l’était le manoir de la Rabaudière.
Cette ressemblance encouragea Fiora. Franchi l’arrêt obligatoire du corps de garde où un sergent, impressionné par l’allure de la visiteuse, traversa la cour à toutes jambes pour avertir un chambellan, elle attendit patiemment en observant ce qui se passait dans la cour. En effet, des équipages s’y rassemblaient. Des palefreniers amenaient des chevaux richement harnachés, des seigneurs et quelques dames, en costumes de chasse, surgissaient d’un peu partout, cependant que des fauconniers apportaient, sur leurs poings gantés de gros cuir, faucons, vautours et éperviers encapuchonnés de velours brodé d’or ou d’argent. On se hélait joyeusement, on se saluait, on riait, on bavardait et le vaste espace s’emplissait de bruit et de gaieté.
– Nous arrivons mal, souffla Florent. Le prince doit se préparer à partir pour la chasse.
– Sans doute, mais ce n’est pas le prince que je veux rencontrer, c’est la princesse.
– Peut-être chasse-t-elle aussi ?
– C’est bien possible.
Le sergent revenait, escorté d’un chambellan très agité. Essoufflé aussi, et qui prit tout juste le temps de saluer la visiteuse :
– Cet homme a-t-il bien compris ? Vous seriez Madame la comtesse de Selongey ?
– Oui. Est-ce tellement extraordinaire ?
– Eh bien, c’est surtout inattendu. Madame la duchesse est sur le point de partir pour la chasse et...
– Et ne peut me recevoir. Dites-lui s’il vous plaît mes excuses et mes regrets, mais je ne pense pas la retarder longtemps. Une courte entrevue est tout ce que je souhaite.
– Ne pourriez-vous... remettre à plus tard ?
– Je regrette d’insister, mais je ne suis à Bruges que pour quelques heures et je viens de loin...
Le chambellan semblait très malheureux. Il eût peut-être atermoyé un moment encore si une dame d’un certain âge, magnifiquement vêtue, n’était apparue à son tour, relevant à deux mains, pour aller plus vite, ses jupes d’épais taffetas vert sombre à ramages gris et or. Son arrivée parut soulager grandement le chambellan :
– Ah ! Madame d’Hallwyn ! Est-ce Sa Seigneurie qui vous envoie ?
– Naturellement ! Il lui est apparu qu’il était indécent de faire attendre comme une marchande de modes une dame de cette qualité... s’il n’y a pas d’erreur !
– Qu’en pensez-vous ? dit Fiora avec une hauteur qui amena un léger sourire sur les lèvres de la dame d’honneur. Son regard bleu avait déjà jaugé la beauté, l’élégance de la nouvelle venue, et sa tournure pleine d’une fierté qui annonçait son noble lignage.
– Qu’aucun doute n’est possible. Seule une femme aussi belle que vous pouvait convaincre messire Philippe de se marier. Voulez-vous me suivre ? Madame la duchesse vous attend.
Derrière son guide, Fiora perdit le sens de la direction. On monta des escaliers, on suivit des galeries et de vastes salles tendues des plus belles tapisseries parfilées d’or qu’elle eût jamais vues. On descendit dans un jardin où un cyprès dominait une grande quantité de rosiers. On aperçut de grandes volières et, finalement, on aboutit à une construction isolée par un mur et dont les vastes toits et les tourelles étaient revêtus de tuiles vertes. Au-dessus flottaient des bannières vivement colorées. Jardins, cours et bâtiments bruissaient d’une grande quantité de serviteurs.
– Ce palais est immense ! remarqua Fiora. Bien plus vaste qu’il n’y paraît de prime abord !
– C’est à cause de la porte, qui est de peu d’aspect, mais le défunt duc Philippe estimait que, comme l’entrée du Paradis, celle de son palais devait être étroite pour plus de sécurité. Nous voici arrivées : ceci est l’Hôtel vert, ainsi nommé à cause de la couleur de ses toits. Madame Marie trouve le palais trop vaste et apprécie une demeure un peu plus intime...
Intime peut-être, mais tout aussi fastueuse que le reste. Si les guerres du Téméraire avaient ruiné sa famille et la Bourgogne, il n’y paraissait guère dans cette demeure où tout était d’un luxe extrême. Mme d’Hallwyn jouissait visiblement de la surprise de sa compagne :
– Encore n’aurez-vous pas l’occasion d’admirer les « baignoireries ». Elles sont uniques et l’on y trouve, outre des salles de bain, des étuves à vapeur chaude et des pièces de repos qui sont les plus agréables du monde. Mais nous arrivons.
Un instant plus tard, dans une galerie largement éclairée par de hautes fenêtres ogivales à vitraux de couleurs vives, Fiora saluait profondément une jeune femme assez grande et qui devait avoir à peu près son âge. Elle dut reconnaître, même si cela ne lui causait aucun plaisir, qu’elle était charmante : mince et gracieuse, Marie de Bourgogne possédait une peau d’une éclatante blancheur, un petit nez, de beaux yeux vivants d’un brun léger et une abondante chevelure d’un ravissant châtain doré qu’une coiffe de velours vert et de mousseline blanche contenait mal. De toute évidence, elle devait ressembler à sa mère, cette Isabelle de Bourbon morte quand elle était enfant et qui avait été le grand, le seul amour du Téméraire. De celui-ci, elle avait la bouche charnue, marquée d’un pli d’obstination, et le menton en pointe arrondie qui donnait un peu à son visage la forme d’un cœur.
Elle considéra un moment la jeune femme à demi agenouillée dans sa révérence, avec une curiosité qu’elle ne se donna pas la peine de dissimuler.
– Je me suis souvent demandé si je vous verrais un jour, Madame, fit-elle d’une voix nette. Ainsi, vous êtes cette Fiora de Selongey qui fut si longtemps l’amie de mon père ?
– L’otage serait plus juste, Madame la duchesse. Ce n’est pas de mon plein gré que j’ai dû suivre Monseigneur Charles !
– Relevez-vous ! On me l’a dit, en effet... néanmoins, vous avez eu la chance de vivre dans son entourage... jusqu’à la fin.
– Votre Seigneurie peut dire jusqu’à la dernière minute. J’ai vu le duc, au matin de Nancy, monter son cheval Moro et s’éloigner dans la brume vers sa dernière bataille. J’ai eu aussi le privilège d’assister à ses funérailles...
Tandis qu’elle parlait, le visage un peu figé de Marie s’animait, se colorait :
– Pourquoi n’être pas venue plus tôt ? Dieu ! J’aurais tant de questions à vous poser, tant de choses à vous dire ! Mon père, je le sais, estimait votre courage...
– Mon époux n’a jamais exprimé le désir de me conduire auprès de Votre Seigneurie, et je ne cache pas qu’un assez grave différend s’est élevé entre nous. Mais ceci est de peu d’importance à présent et, comme je ne veux pas retarder trop longtemps la chasse...
– C’est vrai, mon Dieu, la chasse ! Madame d’Hallwyn, veuillez dire à mon seigneur-époux qu’il parte sans moi. Je ne chasserai pas aujourd’hui.
– Mais, coupa Fiora, il est inutile que Votre Altesse se prive...
– Je peux chasser chaque jour s’il me plaît. Aujourd’hui, je préfère parler avec vous... à moins que vous ne préfériez vous installer dans ce palais pour quelques jours ?
– Non, Madame la duchesse ! Je vous rends grâces, mais, si mon époux ne se trouve pas à Bruges, je repartirai demain.
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