– Bonne idée ! Elle doit être prête. Elle a bien assez prié.
– Laissez-moi au moins l’embrasser ! cria Fiora désespérée.
– Cela me paraît inutile. Dans ce trou, vous pourrez vous embrasser autant que vous voudrez...
CHAPITRE VI
LA TRACE D’UNE OMBRE
– Léonarde ! hurla Fiora. Pardonnez-moi !
Un cri de douleur lui répondit. L’homme qui avait proposé de tuer la vieille demoiselle venait de lui arracher sa coiffe et l’empoignait par les cheveux, les tirant sauvagement pour l’obliger à lever la tête et à dégager la gorge qu’il allait trancher. Mais il n’eut pas le temps d’approcher son couteau de la peau. Partie de l’ombre, une flèche lui traversa le cou et il s’écroula sur Léonarde. En même temps, des cavaliers enveloppaient la clairière. La lumière incertaine de la torche fit luire des cottes de mailles, sous des demi-cuirasses et des chapeaux de fer. Une voix rauque tonna :
– De par le roi ! Qu’on s’empare de ces gens et qu’on les branche sur-le-champ à ce gros arbre !
– Gardez-en au moins deux, messire le Grand Prévôt ! il serait bon d’entendre ce qu’ils ont à dire.
Sans attendre la réponse, Douglas Mortimer sauta à bas de son cheval et courut vers Fiora qui, les jambes fauchées, s’était laissée tomber à genoux quand les bras qui la maintenaient l’avaient lâchée. Il la releva d’une poigne vigoureuse sans qu’elle fît rien pour l’aider. Ses prunelles grises largement dilatées, elle le regardait avec une sorte d’émerveillement, comme si, au lieu d’un solide Ecossais, il était le lumineux représentant de quelque cohorte angélique...
– Ça va ? dit-il sobrement quand il l’eut remise sur ses pieds.
– Je crois... oui. Oh, Mortimer ! Je commence à croire que vous êtes pour moi une espèce d’ange gardien... mais qu’est-ce que tout cela signifie ?
– Je vous expliquerai, mais je peux vous dire que je n’ai jamais eu si peur ! J’ai bien cru que nous n’arriverions pas à temps...
Puis, sans plus s’occuper d’elle, il se tourna vers Léonarde qu’un garde de la prévôté aidait à se débarrasser du corps tombé sur elle en l’envoyant directement dans le trou. Fiora le rejoignit aussitôt et ne put retenir un cri d’horreur. Couverte de sang, la pauvre femme offrait une image effrayante. Mais, déjà remise de ses émotions, elle crachait comme un chat en colère :
– Où y a-t-il de l’eau ? Je ne peux pas rester ainsi. Ce sang poisseux...
– Il vaut tout de même mieux que ce ne soit pas le vôtre, observa Mortimer. Venez, il y a un petit ruisseau un peu plus loin.
Des torches avaient été allumées par les gardes et, à présent, la clairière était assez éclairée pour que nul ne perdît rien du spectacle dramatique dont elle était le théâtre. Les bandits, dépouillés l’un après l’autre de leurs masques, furent jetés à genoux devant celui que l’Écossais avait appelé le « Grand Prévôt ».
C’était un homme âgé au visage dur orné d’une moustache et d’une courte barbe blanche. Les années semblaient n’avoir ôté aucune vigueur à son corps maigre : celui-ci supportait avec aisance le poids de l’armure qui l’habillait à l’exception du casque, remplacé par un chaperon noir où brillait une large médaille d’argent. Comme tous les hommes trop grands, il se tenait un peu voûté sur son cheval, qu’il maniait par ailleurs avec dextérité. Au service de Louis XI depuis son adolescence, alors que celui-ci n’était encore que dauphin, Tristan l’Hermite, dans sa prime jeunesse écuyer du connétable de Richemont puis prévôt des maréchaux, incarnait aux yeux des sujets du roi l’image d’une justice sévère, souvent expéditive, mais rarement illégitime, qui inspirait aux truands de tout poil une crainte salutaire. Dévoué au roi comme un limier à son maître, ce silencieux volontiers taciturne ignorait la fatigue autant que la pitié et tout criminel pouvait être sûr qu’il le poursuivrait jusqu’à son expiation Du fond de ses orbites creuses dont des sourcils broussailleux accentuaient la profondeur, il posait sur les hommes un regard gris aussi dur que du granit.
Ses hommes lui obéissaient avec une extrême promptitude et, en un instant, une demi-douzaine de bandits qu’il avait d’ailleurs reconnus et appelés par leur nom, se balancèrent aux branches d’un vieux chêne. Leurs cris et leurs supplications n’avaient même pas fait ciller l’impassible justicier. Seul le chef, qui répondait apparemment au nom poétique de Tordgoule, vivait encore et attendait son sort à genoux et en chemise près des jambes du cheval de Tristan L’Hermite. L’un des soldats, debout à son côté, tenait dans sa main le bout de la corde qu’on lui avait tout de même passée au cou...
Tout en aidant Léonarde à se laver autant que possible dans le petit ruisseau, Fiora ne pouvait se défendre d’observer avec une certaine crainte cette statue de fer qui, en dehors de l’ordre initial, n’avait pas articulé une parole.
Mais, lorsque le dernier corps eut été précipité dans le vide, le grand prévôt fit lentement manœuvrer sa monture de façon à tenir Tordgoule sous son regard :
– A toi, à présent ! Qui t’a donné l’ordre de tuer ces deux femmes ?
– Je ne sais pas, Monseigneur ! Je ne le connais pas, je vous le jure !
– Vraiment ?
Sur un simple geste du grand prévôt, l’un de ses hommes s’approcha avec une torche, cependant que deux autres s’emparaient du misérable et le couchaient sur l’herbe. La flamme s’approcha suffisamment de ses pieds nus pour déclencher un hurlement désespéré :
– Noooooooon !
– Alors, parle !
– Sur mon salut... éternel... Je jure... que je dis la vérité... Un homme masqué est venu me voir... avant-hier... dans la taverne qui est... près de l’écorcherie des Arcis...
Un nouveau hurlement déchira la nuit et Fiora se boucha les oreilles :
– Faut-il vraiment faire cela ? demanda-t-elle.
– Cet homme voulait vous égorger, vous et dame Léonarde, fit Mortimer avec un haussement d’épaules un rien méprisant. Je vous trouve un peu sensible.
Le supplicié, pour tenter d’attendrir son bourreau, prenait à témoin tous les saints du Paradis et jurait qu’il ne pouvait rien ajouter à ce qu’il avait déjà révélé : l’homme masqué lui avait remis une belle somme en or et promis la même quand l’ouvrage serait achevé. On devait attendre, dans cette clairière, certain chariot contenant deux femmes qui seraient amenées vers la fin du jour. Il fallait en outre creuser une fosse assez vaste pour contenir deux corps et y ensevelir les deux femmes en question. Tordgoule remettrait au cocher une bourse puis reviendrait à Tours recevoir le reste du prix convenu.
Un violent froissement de feuilles et une galopade venue du sous-bois interrompirent la confession haletante de l’homme : les gardes du grand prévôt ramenaient le chariot qu’ils avaient arrêté avant qu’il ne rejoignît la route de Loches et la caravane du légat. Un soldat conduisait les chevaux et Pompeo, solidement ligoté, fut sorti de la voiture sans douceur et jeté devant le grand prévôt. La bourse qu’il avait reçue un moment plus tôt rejoignit celles des truands qui formaient un petit tas dans l’herbe.
Comme il feignait de ne pas comprendre les questions que l’Hermite lui posait, Tordgoule se chargea de la traduction, sans attendre que l’une des deux dames fût requise comme interprète.
– J’avais ordre de lier connaissance très vite avec l’un des palefreniers ou des cochers du cardinal pour m’entendre avec lui, mais je connaissais déjà celui-là. L’idée de gagner un peu d’or lui a plu tout de suite. D’autant que c’était sans danger... Il suffisait de faire un crochet, puis de revenir dans l’escorte. A la tombée du jour, personne n’y verrait grand-chose...
– Cesse de te moquer de nous, l’ami, intervint Mortimer. Le légat n’aurait-il pas trouvé étrange qu’en arrivant à l’étape de Loches, le chariot des dames soit vide ?
Il avait tiré son épée et en appuyait la pointe sur la gorge de Pompeo qui, de mauvaise grâce, mais parce qu’il venait de lire sa mort dans les yeux de ce géant, finit par répondre :
– C’était facile. Je devais dire que les dames, ayant rencontré des amis à Cormery, avaient décidé de ne pas partir. Je devais donner de grands remerciements et...
– Et garder le contenu de la voiture ? Ou ton maître est complice de ce mauvais coup ou c’est un imbécile. Ce que j’ai peine à croire...
– Je jure qu’il ne sait rien, fit l’autre sombrement. C’est un homme de Dieu, un vrai prince de l’Église...
– C’est ce qu’il faudrait éclaircir, messire Tristan, reprit l’Écossais en retirant son épée et en faisant signe d’écarter le prisonnier. Le cardinal est à Loches à cette heure. Vous devriez aller lui poser quelques questions...
– C’est mon intention. Je suppose que vous ramenez ces dames chez elles ?
– Si elles s’en sentent le courage. Autrement, elles pourraient demander l’asile d’une nuit à l’abbaye de Cormery. Le roi y fait assez grandes largesses pour que ses serviteurs et ses amis soient reçus convenablement.
– Je crois, dit Fiora, que nous choisirons Cormery. Ma chère Léonarde n’en peut plus, et j’avoue que j’apprécierais de prendre un peu de repos.
S’avançant jusqu’au flanc du cheval du grand prévôt,’ elle lui tendit une main qui tremblait encore un peu :
– Grand merci à vous, messire ! J’ignore encore par quel miracle vous avez pu nous sauver, mais soyez sûr que je ne l’oublierai jamais et que je dirai au roi...
– Vous ne direz rien, Madame !
D’un mouvement d’une rapidité et d’une souplesse inattendues chez un homme de cet âge, Tristan l’Hermite avait mis pied à terre pour pouvoir saluer la jeune femme :
– Comment ? dit Fiora.
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