– Mon Dieu ! ... et s’il lui était arrivé malheur ? Seul, sans armes, sans argent, il a pu être attaqué, tué peut-être ?
– Ah ! ne recommencez pas à pleurer ! Songeant à cette possibilité, j’ai fait proclamer à tous les carrefours du royaume sa description physique, promettant une forte récompense à qui le ramènerait vivant, et une autre... beaucoup plus faible, à qui le ramènerait mort ! Rien n’est venu. J’ai même fait mieux : son écuyer, Mathieu de... Prame, je crois ?
– Oui. La dernière fois que je l’ai vu, il se trouvait près d’ici dans une cage et on le conduisait vers le château de Loches, dit Fiora d’un ton réprobateur.
– C’est tout à fait exact. Eh bien, il a été relâché, puis on l’a suivi discrètement. Il a filé droit sur Bruges... et je n’ai plus eu aucune nouvelle de lui... ni d’ailleurs des deux hommes que j’avais chargés de le surveiller, mais il est vrai que chez Madame Marie et son époux, les Français ne sont guère en odeur de sainteté. En tout cas, une chose est sûre : personne n’est venu demander de récompense, mais votre époux, ma chère enfant, coûte tout de même très cher à ma trésorerie...
– J’en suis désolée, Sire, mais, si l’on vous avait livré Philippe quel aurait été son sort ? Est-ce que... est-ce qu’il aurait été...
– Exécuté ? Me prenez-vous pour un benêt ? Je ne change pas si facilement d’avis ! Je l’aurais enfermé encore une fois mais en cage et ici même, dans la prison de mon château, en attendant que l’on vous retrouve. Venez, à présent ! Je sens le besoin de marcher un peu !
Fiora ne bougea pas. L’œil fixe, elle contemplait la pointe de ses souliers qui soulevaient les ramages de sa robe et tenait ses mains serrées très fort l’une contre l’autre, selon son habitude lorsqu’elle était en proie à une émotion.
– Eh bien ? s’impatienta le roi. Que faites-vous ? Elle leva sur lui de grands yeux désolés :
– Et... s’il s’était réfugié ici ?
– Qui ? Selongey ? Vous pensez bien que l’idée m’en est venue. Mais si c’était le cas, quelqu’un de votre maison l’aurait vu et vous l’aurait dit ? Allons, reprenez courage ! Je suis certain qu’il est vivant.
– Alors c’est qu’il est loin... trop loin peut-être ! Je sais qu’il lui est arrivé de penser mettre son épée au service de Venise pour combattre les Turcs. Dans ce cas, il ne reviendra jamais et je ne saurai plus rien de lui.
– Venise, dites-vous ? Nous pouvons, au moins, savoir s’il y est allé ! J’en écrirai au doge dès après le souper. C’est, vous le savez peut-être, la ville la mieux surveillée du monde et un étranger ne peut y entrer sans attirer l’attention des sbires du Conseil des Dix. Nous aurons bientôt des nouvelles, mais quittez cet air désolé et rentrons. On ne va pas tarder à corner l’eau.
Cette fois, Fiora se laissa emmener.
Sans plus parler qu’à l’aller, le roi et sa jeune compagne remontèrent vers la cour d’honneur où se pressaient à présent des valets, des chevaux et des équipages. Avec une surprise non dénuée d’inquiétude, Fiora remarqua une vaste litière pourpre dont les portières montraient de grandes armes surmontées d’un chapeau de cardinal qui lui semblèrent vaguement familières. Elle osa poser sa main sur le bras du souverain pour l’arrêter.
– Sire ! Que le Roi me pardonne, mais s’il reçoit ce soir un prince de l’Église, il vaudrait mieux que je rentre chez moi.
– Sans souper ? Quand je vous ai invitée ? Et pourquoi cela s’il vous plaît ?
– Franchement, Sire, je suis un peu... fatiguée des cardinaux et je crains de ne pas me sentir à l’aise. En outre, mes vêtements...
– Que me chantez-vous là ? Vous êtes superbe et il faudra bien que vous soyez à l’aise car je vous ai invitée spécialement ce soir pour que le cardinal della Rovere voie le cas que je fais de vous.
Sous l’œil pétillant de satisfaction de Louis XI, Fiora se sentit verdir :
– Le... cardinal... della Rovere ? souffla-t-elle épouvantée. Est-ce qu’il est...
– De la famille du pape ? Bien sûr, et vous avez dû au moins entendre parler de lui à Rome. Il est l’un de ses neveux, de beaucoup le plus intelligent. De ce fait, le plus dangereux aussi. Mais il devrait vous plaire ! A présentée vous quitte : il faut que j’aille faire quelque toilette ! Et je vois là Mme de Linières qui vient vous chercher pour vous conduire auprès de la princesse Jeanne, ma fille. Vous la connaissez et elle se réjouit de vous revoir.
Salué jusqu’à terre par ceux qui encombraient la cour d’honneur, le roi mena Fiora vers la dame imposante qui attendait près de l’entrée de l’escalier, déjà pliée en deux par sa révérence. Gomme, en outre, elle baissa la tête par respect à l’approche du roi, celui-ci manqua se heurter à la flèche du grand hennin pointu qu’elle portait. Il écarta l’obstacle, ce qui faillit causer la chute de l’édifice.
– Trop haut, Mme de Linières, beaucoup trop haut ! s’écria-t-il mi-plaisant mi-fâché. Quelle rage ont donc les femmes de vouloir se prendre pour des clochers d’église ? Ce qui m’étonne, c’est que mon royaume ne compte pas plus de borgnes.
– Je demande pardon au Roi, répliqua la dame avec une sérénité et même un sourire montrant qu’elle n’était pas impressionnée. J’ai toujours pensé que l’honneur d’accompagner une fille de France doublée d’une duchesse d’Orléans obligeait à un certain décorum dans la toilette.
C’est une forme de respect.
Eh bien, portez le respect moins pointu !
Et, sifflant gaiement un air de chasse, Louis XI disparut dans l’escalier à vis, laissant les deux femmes tête à tête :
– Venez, Madame, dit la dame d’honneur en tendant la main à Fiora qui ne pouvait s’empêcher de rire. Madame la duchesse a grande hâte de vous revoir et vous pourrez vous rafraîchir avant le souper.
Habituée à voir Louis XI vivre dans la plus grande simplicité, Fiora fut surprise de l’apparat déployé pour ce souper et de la splendeur de la salle où il se déroula. Cette grande pièce faisait partie des appartements royaux du premier étage, ouverts seulement pour la venue d’étrangers de marque et en certaines circonstances. Elle donnait sur la terrasse soutenue par la galerie couverte du rez-de-chaussée ; son faste, vraiment royal, différait de l’éclatante somptuosité qui entourait les ducs de Bourgogne. L’ameublement tendu de velours et les grandes tapisseries de haute lice donnaient à l’ensemble une note sévère accentuée par les vitraux de couleurs des hautes fenêtres qui entretenaient une sorte de pénombre. L’or des plafonds à caissons et des boiseries s’en trouvait assourdi, sauf quand les grands chandeliers, chargés de cierges, les illuminaient comme ce soir.
Trois tables étaient disposées : celle du roi, occupant la salle à manger proprement dite, ou tinel ; celle des chevaliers et des grands offices de la maison royale à laquelle s’asseyaient les invités d’importance, celle enfin des aumôniers et écuyers. Une quatrième accueillait, hors des appartements, les bas officiers et les pèlerins ou voyageurs perdus qui, d’aventure, demandaient l’hospitalité. A la table du roi, la plus brillante et la mieux servie, les femmes étaient rares, sauf lorsque la reine, Charlotte de Savoie, rendait visite à son époux.
Ce soir-là, elles étaient deux et ce fut avec un brin d’orgueil que Fiora prit place à la gauche du souverain. La princesse Jeanne, charmante en dépit d’un physique disgracié sous une haute coiffure d’un bleu doux piqueté d’or assortie à sa robe de cendal, était assise auprès de l’invité d’honneur lui-même installé à la droite du roi.
A trente-sept ans, Giuliano della Rovere[viii] était sans doute le plus réussi des neveux de Sixte IV. Grand et bien bâti, il ressemblait davantage à un condottiere qu’à un homme d’Église avec sa mâchoire carnassière, ses yeux de chasseur aux orbites enfoncées qu’il plissait souvent pour aiguiser sa vision. La pourpre seyait à son teint brun, à ses cheveux noirs coupés court selon le dessin de la calotte écarlate qui les coiffait. Strictement rasé, le visage osseux était dur, mais savait sourire avec une nuance d’ironie qui n’était pas sans charme, et le profil impérieux semblait fait pour la frappe des médailles.
Légat du pape à Avignon, il était titulaire d’un grand nombre d’évêchés – dont ceux de Lausanne, de Messine et de Carpentras – et, le 3 juillet de cette année 1478, il avait reçu de surcroît celui de Mende, pour lequel il était venu chercher l’approbation de Louis XI. Approbation gracieusement accordée : ce n’était pas la première fois qu’ils se rencontraient et le roi avait un faible pour cet homme élégant, aux façons rudes et que l’on disait violent, mais qui possédait une intelligence aiguë et savait manier l’astuce presque aussi bien que lui-même. Là s’arrêtait la ressemblance car, ami des lettres et des arts, le cardinal delia Rovere menait une existence fastueuse grâce à la fortune considérable que lui avait constituée son oncle. Une existence fort éloignée du train de gentilhomme campagnard qui était le plus habituel au roi de France.
Lorsque, présentée par celui-ci, Fiora plia le genou pour baiser son anneau pastoral – en l’occurrence un fabuleux saphir étoilé -, le légat laissa tomber sur elle un regard intéressé :
– Vous avez séjourné récemment à Rome, je crois, Madame ?
– En effet, Monseigneur.
– Il est regrettable que vous n’ayez pu en apprécier les beautés...
– Le loisir ne m’en a pas été offert, je n’ai fait qu’aller d’une prison à l’autre.
– Il y a prison et prison. Au surplus, lorsque vous avez choisi Florence, le Saint-Père l’a vivement regretté, car il était... il est toujours plein de bienveillance envers vous. Son amitié vous eût assuré des jours agréables.
– Veuillez le remercier de ces bons sentiments, mais il est d’un esprit trop brillant pour ne pas comprendre les miens. Ce sont ceux d’une Florentine, Monseigneur, et je ne peux que déplorer les drames dont ma patrie vient d’être le théâtre.
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