Ce fut au tour de Francesco Pazzi de se lancer dans la bataille. Il n’avait pas changé depuis que Fiora l’avait vu pour la dernière fois quand, au jour de la « giostra », il avait combattu Giuliano de Médicis pour les beaux yeux de Simonetta. Il était toujours laid, courtaud, noir de poil et brun de peau. Sa voix était toujours aussi rude et l’expression de son visage toujours aussi hargneuse :
– Une parole est une parole et Fiora a donné la sienne. J’exige qu’ici elle soit tenue.
– Et moi, Douglas Mortimer, des Mortimer de Glen Livet, je soutiens qu’elle lui a été arrachée par violence et que tu n’es qu’un menteur. A présent, si tu veux que nous en discutions les armes à la main, je suis prêt à soutenir la cause de donna Fiora jusqu’à ce que mort s’ensuive pour l’un de nous.
– Un duel à présent ! s’écria Estouteville. Rappelez-vous, Mortimer, que nous sommes dans une chapelle !
– Votre Grandeur, je ne suis pas certain que cela compte beaucoup ici. N’ai-je pas entendu dire que le duc de Milan a été, l’an passé, assassiné en sortant d’une église ? Ce sont les mœurs du pays apparemment !
– En voilà assez ! hurla le pape dont le visage vira au rouge brique. Nous entendons en finir tout de suite. Donna Fiora, d’ici une heure cet... officier quittera Rome avec la lettre que Nous allons écrire pour le roi de France et avec un sauf-conduit signé de Notre main. Etes-vous prête à remplir, dans ces conditions, votre part du contrat ?
Sans répondre, Fiora alla jusqu’à l’Ecossais, se haussa sur la pointe des pieds et posa un baiser sur sa joue.
– Merci, ami Mortimer, merci de ce que vous avez voulu faire. Ne vous souciez plus de moi, je vous en prie.
– Vous me demandez l’impossible.
– Mais non. C’est sur mon fils que je vous prie de veiller jusqu’à ce que je puisse le retrouver, ce qui va être désormais mon seul but.
– Et vous allez épouser ce...
– Chut ! J’ai donné ma parole et je la tiendrai. Que Dieu vous garde !
– Ne dirai-je rien au roi Louis ?
– Vous lui direz que je le remercie, du fond du cœur, des peines qu’il a prises pour moi, alors même que je venais de rejeter sa protection à cause de l’exécution de mon époux. Je... je ne peux m’empêcher de lui garder de l’amitié...
Sans rien ajouter, elle se dirigea vers l’autel et prit place au côté de Carlo Pazzi qui avait cessé de chantonner. Il avait tourné la tête vers elle et, entre les paupières qu’il tenait à demi closes, elle crut voir filtrer un éclair bleu.
Soufflant et bougonnant, Sixte IV vint se placer en face d’eux, prit leurs mains et commença à marmotter les paroles sacramentelles dont il était à peu près impossible de comprendre un traître mot. Visiblement, il avait hâte d’en finir et expédiait la cérémonie. Fiora n’écoutait pas. Elle répondit un « je le veux » à peine audible lorsqu’il lui demanda son assentiment mais, quand il mit sa main dans celle de Carlo, elle sentit nettement que les doigts du garçon serraient doucement les siens. Elle le regarda, mais il avait déjà repris son air absent et semblait contempler assidûment l’un des anges replets et bouclés qui jouaient du luth derrière l’autel.
Pour donner un semblant de solennité à l’événement, Fiora et son nouvel époux furent conduits en cortège et à la lumière de nombreuses torches à travers le Borgo, jusqu’à la demeure de Francesco Pazzi où ils allaient habiter en attendant que le pape tienne la promesse faite à la jeune femme. Ce n’était pas vraiment un palais : tout au plus une grosse maison forte qui ressemblait davantage au coffre d’un banquier qu’à une habitation de plaisance, mais l’intérieur en était suffisamment luxueux pour contenter l’insatiable appétit de gloriole et de faste de Hieronyma qui y jouait le rôle de maîtresse de maison.
Néanmoins, ce fut Francesco Pazzi qui en fit les honneurs à sa nouvelle nièce. Il semblait extraordinairement joyeux, tout à coup, ce qui était inhabituel chez une nature aussi sombre et vindicative que la sienne. Écartant Carlo qui ne parut pas même s’en apercevoir, il offrit la main à Fiora pour lui faire franchir le seuil de sa maison et la mena lui-même jusqu’à une grande salle où était préparée une riche collation. Auprès des vins les plus doux se trouvaient toutes les pâtisseries, toutes les confiseries susceptibles de tenter l’appétit d’une jeune femme.
Hieronyma qui, semble-t-il, n’était pas au courant, regarda la longue table avec une stupéfaction vite mêlée de colère :
– Qu’est-ce que cela ? Je n’ai rien ordonné de tel !
– Non. C’est moi et tu m’accorderas, j’espère, le droit de donner des ordres dans ma maison !
– Mais pourquoi ? Pourquoi ?
– J’accueille, ce soir, celle qui est certainement la plus jolie femme de Florence, celle qui en sera demain la reine... et elle est à présent ma nièce. Il convient de fêter un si joyeux événement.
Il emplit lui-même une coupe de malvoisie et, plongeant son regard dans celui de Fiora, il y trempa ses lèvres avant de la lui offrir, pour bien montrer qu’elle n’avait pas à craindre le poison, puis en prit une pour lui-même et l’éleva :
– Je bois à ta beauté, Fiora, et à ta bienvenue dans ma maison qui sera désormais la tienne comme je serai, moi-même, ton ami et... ton protecteur, ajouta-t-il avec un coup d’œil à Hieronyma qui fronçait les sourcils devant cette situation qu’elle n’avait pas prévue :
– Qu’est-ce qui te prend ? Je croyais que tu la haïssais ?
– Je haïssais son père, mais peut-on haïr une fleur ? Celle-ci n’était encore qu’une promesse, lorsque j’ai quitté Florence où la beauté de Simonetta rayonnait sur toutes choses. Or, je n’ai pu avoir Simonetta.
– Et tu penses avoir celle-ci ? Ce n’est pas toi qu’elle vient d’épouser ?
Francesco se tourna vers son neveu qui, comme s’il n’était concerné en rien, picorait dans les plats tout en dégustant avec une visible satisfaction du vin d’Espagne.
– Crois-tu vraiment qu’elle vient d’épouser quelqu’un ?
Se souvenant de l’étrange éclair bleu et de la pression légère d’une main, Fiora pensa qu’il était temps de se mêler à la conversation. Jusque-là, elle s’était contentée d’apprécier à sa juste valeur la semi-dispute qui opposait ses ennemis. Exploiter la convoitise que Pazzi ne se donnait même pas la peine de déguiser pouvait être de bonne guerre et, après avoir bu à la coupe qu’il lui avait offerte, elle lui sourit avec une grâce qui fit briller les yeux de l’homme.
– Merci à toi de m’accueillir ainsi, mon oncle. Je suis heureuse de constater que je compte au moins un ami dans cette maison et je suis certaine à présent que l’avenir nous réserve d’heureux moments, mais il ne convient pas que je néglige celui qui est devenu, ce soir, mon époux. C’est avec lui, si vous le permettez, que je veux partager ce vin de Chypre et ce gâteau d’amandes.
– Bien sûr ! Nous oublions les traditions ! Tu entends Carlo ? Viens près de nous !
Le marié obéit docilement, accepta la part de pâtisserie que lui offrait Fiora et vida la grande coupe de mariage en argent ciselé où elle venait de boire.
– Merci, fit-il d’une voix de petit garçon bien élevé. C’était très bon. Est-ce que je peux aller me coucher ?
– Bien sûr, mon petit ! fit Hieronyma d’une voix onctueuse. Nous allons t’y conduire tout de suite avec ton épouse. Regarde-la ! J’espère qu’elle te plaît ? Elle n’est pas vierge, bien sûr, mais il ne faut pas te montrer difficile...
– Je vais coucher avec elle ?
– Oui et en prendre ton plaisir autant de fois que tu en auras envie... Elle est à toi, tu sais, à toi tout seul...
– Ça suffit ! gronda Francesco. Il n’a certainement jamais approché une fille et je ne vois pas l’utilité de cette comédie. Seule la bénédiction nuptiale était importante.
– Sans doute, mais Carlo a mérité une récompense, et il n’y a aucune raison de le punir. Tu la veux, n’est-ce pas, Carlitto, cette belle fille ? Va te préparer ! Je vais la conduire moi-même à votre chambre et la déshabiller.
– Oui... oui, Carlo veut bien ! fit le garçon en battant des mains avec un rire idiot qui fit pâlir Fiora. Allait-elle vraiment devoir subir cet avorton qui passait à présent sa langue sur sa bouche épaisse comme un chat en face d’un bol de crème ?
– J’ai reçu ce soir, en présent de la comtesse Riario, cette jeune femme qui était jadis à mon service, fit-elle en désignant Khatoun restée à l’entrée de la salle où elle se tenait aussi immobile qu’une statue. Elle saura parfaitement me déshabiller.
– Un soir de noces, cela revient aux dames de la famille, protesta Hieronyma.
– Eh bien, vous ferez cela à deux, voilà tout ! soupira Pazzi qui baisa la main de Fiora avec un regard qui en disait long. Sans aucun doute eût-il aimé se charger lui-même de l’agréable besogne.
Refusant le bras que Hieronyma lui offrait avec un méchant sourire, Fiora allait quitter la salle suivie de Khatoun quand Pazzi, saisissant un flambeau, la rejoignit :
– Je vais t’escorter moi-même pour rester avec toi un peu plus longtemps. Demain, nous partons pour une affaire importante, Hieronyma et moi, mais nous nous retrouverons bientôt, soit que je revienne, soit plus vraisemblablement que je te fasse chercher avec Carlo. Jusque-là, tu seras ici chez toi.
Arrivé à la porte de la chambre nuptiale, il lui souhaita le bonsoir à nouveau avec force soupirs qui l’eussent amusée, sa situation n’eût-elle été si pénible. Quand Hieronyma voulut entrer avec elle, Fiora la repoussa.
– Non, tu n’iras pas plus loin ! Tu m’as amenée là où tu le voulais, cela doit te suffire. Va-t’en !
– Mais...
– J’ai dit : va-t’en ! Ne me pousse pas à bout, Hieronyma, et surtout n’imagine pas que ma haine pour toi a disparu.
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