– Et... Giuliano de Médicis l’était plus encore ! J’avoue qu’à ce moment, je suis tombée amoureuse de lui... un peu aussi de Lorenzo, si laid mais si fascinant ! Or, le hasard m’a fait découvrir que le comte Riario... mon époux, fomente contre eux un complot avec ce vilain singe de Francesco Pazzi et votre ami Montesecco !
– Montesecco ? Je l’ai vu hier, dans cette rue. Il sortait du palais Cenci et il s’intéressait beaucoup aux maisons de ce côté.
– Cela n’a rien d’étonnant. Il est possible que les Cenci trempent aussi dans la conspiration. En quels termes êtes-vous avec les Médicis ?
– Lorenzo m’a sauvé la vie, aidée à fuir, protégée par-delà l’exil, et je sais qu’il n’a jamais cessé de veiller sur mes intérêts. C’est pourquoi le chemin de sa ville m’est apparu comme le seul par lequel je puisse rentrer en France et rejoindre mon fils.
– C’est pourquoi j’ai décidé de vous aider à fuir Rome. Il faut que je puisse envoyer quelqu’un de sûr à Florence, quelqu’un d’assez éloigné de moi pour que mon rôle dans cette affaire ne soit jamais connu, car alors ma vie ne vaudrait pas cher. Par chance vous êtes là et, à nous deux, nous parviendrons peut-être à éviter un grand malheur.
– Si grand que cela ?
– Jugez plutôt ! Mon époux et ses amis veulent faire assassiner les Médicis. Et cela prochainement... Mais nous perdons du temps ! Pressez-vous, je vous en prie !
Fiora n’était pas encore décidée. Elle n’aimait pas l’idée de séjourner, même deux ou trois jours, au palais Riario où elle craignait de se jeter dans la gueule du loup. D’autre part, ce qui s’y tramait était franchement abominable et contraire à ses propres intérêts. Que les Médicis soient abattus et que Riario devienne le maître de Florence, et tout s’évanouissait des espoirs qu’elle y plaçait.
– Si l’on apprend que je suis venue chez vous, dit-elle, ne croyez-vous pas que votre époux fera le rapprochement au cas où nous ferions échouer ses projets ?
– Il est absent, vous dis-je ! Et ceux de mes serviteurs qui vous verront sont venus avec moi de Milan : ils me sont tout dévoués. Hâtez-vous, je vous en prie ! Si vous voulez vous sauver vous-même tout en préservant la vie de vos amis, vous n’avez pas le choix. Je vous en dirai plus dans ma litière.
Cette fois, Fiora se rendit. Le costume de paysan qu’avait préparé Anna ne pouvait lui être d’aucun secours et elle choisit de reprendre les habits de dona Juana qui avaient l’avantage d’être d’une grande discrétion. La Juive les compléta d’un voile noir, celui que Fiora portait lors de sa fuite étant demeuré attaché aux balustres du palais Borgia. Puis, au moment de lui rendre l’aumônière, elle profita de ce que Catarina s’intéressait à une statuette antique placée dans une niche pour montrer à Fiora, au creux de sa main, un tout petit flacon enveloppé d’une gaine de plomb et soigneusement bouché qu’elle glissa dans la poche de velours en murmurant :
– Si ton ennemie boit cela, dans du vin ou dans n’importe quoi, elle mourra dans la semaine sans que personne puisse savoir de quelle maladie. Que Jehovah te garde !
Fiora hésita un instant à prendre ce qu’on lui offrait. Le poison était, à ses yeux, une arme indigne, mais elle ne voulait pas désobliger son hôtesse. Elle chercha la médaille d’or qui avait appartenu à Juana et voulut la lui donner, mais Anna refusa :
– Non. Tu ne me dois rien puisque l’hospitalité t’a été mesurée. Donne ceci à quelqu’un qui en aura un plus grand besoin.
Les deux femmes s’embrassèrent sous l’œil impatient de Catarina. Khatoun, à qui elle avait ordonné de rester en bas, venait de monter à son tour, inquiète de voir le temps passer et craignant peut-être que Fiora ne se fût pas laissé convaincre.
– Il faut venir vite ! Tu peux avoir confiance, tu sais ?
– J’ai confiance. Pour que donna Catarina soit venue en personne jusqu’ici, et en pleine nuit, alors qu’elle devrait être dans son lit où elle va enfanter, il faut que son intérêt pour moi soit grand.
Confortablement garnie de matelas de plumes et de coussins épais, fermée par des rideaux de velours brun doublés de satin blanc et protégée des intempéries par des volets de cuir armorié, la litière qui attendait donna Catarina possédait toutes les qualités nécessaires pour couvrir agréablement les plus longs trajets. Les trois femmes y prirent place. La jeune comtesse avec une satisfaction qui disait assez sa fatigue. Elle s’étendit de tout son long dans le fouillis soyeux tandis que Khatoun prenait dans un petit coffre doré un flacon de liqueur dont elle versa quelques gouttes dans deux gobelets. Elle tendit l’un à Fiora et fit boire l’autre à sa maîtresse dont les traits venaient de se tirer et qui fermait les yeux.
– Vous auriez dû me laisser venir seule, Madonna ! reprocha-t-elle doucement. C’eût été plus prudent. De toute façon, votre litière est respectée jusque dans les endroits les plus dangereux.
Catarina rouvrit les yeux, prit le gobelet et avala le reste d’un trait, puis se redressa un peu :
– Il fallait que je vienne. Donna Fiora ne t’aurait peut-être pas suivie sans mon insistance. Et nous avons à parler.
– Vos gardes ne risquent pas d’entendre ? murmura Fiora qui avait bu avec plaisir l’excellent vin de Chypre qu’on lui avait offert.
– La litière est bien close. En outre, le bruit des roues et le pas des chevaux sont suffisants. D’autant que nous n’allons pas crier. Nous sommes assez près l’une de l’autre pour que même le cocher n’entende rien. La raison pour laquelle mon époux a monté ce complot...
– Je la connais depuis longtemps, coupa Fiora. Nous savons tous, à Florence, que le pape souhaite que votre époux devienne seigneur de la ville.
– Oui, mais le problème est devenu plus aigu depuis que nous possédons Imola, c’est-à-dire que nous sommes voisins. Les Médicis morts, Girolamo, mon époux, n’aurait plus à se soucier d’eux et son pouvoir s’étendrait largement vers la mer. Quant à Francesco Pazzi...
– Là aussi nous sommes au courant. Exilé, il a perdu une partie de sa fortune et, bien qu’il soit devenu le banquier du pape, il a toujours rêvé de revenir en force à Florence.
– Où demeurent encore la tête de la famille et quelques-uns de ses membres.
– Le vieux Jacopo est toujours vivant ?
– Plus que jamais et tout disposé, bien sûr, à aider Francesco à revenir et à se venger. Quant à Montesecco, le troisième homme, il tuerait sa mère pour un sac d’or et on lui a promis beaucoup plus.
– Je vois. Mais le pape, dans tout cela ?
– C’est là le point obscur. On m’a assuré qu’il aurait expressément recommandé qu’il n’y eût pas « effusion de sang ».
– Pas d’effusion de sang ? Il me paraît difficile de tuer quelqu’un sans faire couler son sang ! Comment l’entend-il ?
– Ma chère, Sa Sainteté ne saurait ordonner un meurtre. Elle ne doit même pas en avoir connaissance...
– Quitte à crier bien haut, une fois le coup fait, et même à le déplorer ? On excommuniera quelques comparses car votre époux ne compte pas, j’imagine, faire la besogne lui-même ?
– Bien sûr que non. Il ne quittera pas Rome. Seuls Pazzi et Montesecco feront le voyage.
– A quelle occasion ? Ils n’espèrent tout de même pas être reçus par Lorenzo ?
Catarina expliqua alors ce qu’elle savait du plan. Le pape, qui venait de conférer le chapeau de cardinal à son plus jeune neveu, Rafaele Riario, et le faisait revenir à cette occasion de l’université de Pise où il achevait ses études, avait décidé de le nommer en même temps légat à Pérouse. Catarina trouvait cette nomination absurde car le nouveau cardinal n’avait que dix-huit ans et aucune capacité à tenir une difficile légation, mais le pape, qui éprouvait pour lui une tendresse toute paternelle, n’en était pas à une folie près. Une fois intronisé, le jeune Rafaele s’en irait en grand arroi visiter sa chère université pour lui offrir ses premières bénédictions. Ensuite, et en revenant sur Pérouse, il passerait tout naturellement par Florence où les Médicis ne pourraient se permettre de lui refuser l’accueil, puisque les relations apparentes entre Lorenzo et le Saint-Siège étaient convenables. Le jeune cardinal logerait vraisemblablement chez le vieux Pazzi, mais les Médicis ne pourraient faire moins que le recevoir à plusieurs reprises. Leur hospitalité était trop large et trop fastueuse pour qu’ils n’accueillent pas de leur mieux un cardinal légat. L’occasion se trouverait alors d’abattre les deux frères.
– Chez eux ? Dans leur propre palais ? s’indigna Fiora. C’est non seulement monstrueux, mais insensé. Les assassins seront massacrés sur place.
– On choisira de préférence une fête ou une cérémonie extérieure. Tous les Pazzi se regrouperont pour cette occasion et Montesecco amènera ses hommes de main. Même l’archevêque de Pise, Salviati, aurait décidé d’apporter son aide. Il n’a pas apprécié du tout que Lorenzo s’oppose à sa nomination comme archevêque de Florence.
Cette fois, Fiora ne répondit pas. Ce récit était effarant, insensé. Tous ces gens, des ennemis sans doute mais aussi des prêtres, allaient se jeter comme un vol de corbeaux sur sa ville bien-aimée pour y assassiner Giuliano qu’elle aimait autrefois et Lorenzo qui lui avait montré tant d’amitié. Et qui plus est, ils utiliseraient pour accomplir leur forfait ce principe sacré de l’hospitalité si cher au cœur de tout Italien.
– Vous ne dites rien ? fit Catarina.
– Pardonnez-moi, Madonna, mais ces projets m’écœurent et je comprends que la petite-fille du grand Francesco Sforza refuse de devoir un Etat à de tels procédés.
– C’est moins le souvenir de mon grand-père que celui de la femme qui m’a élevée : la duchesse Bona, épouse de mon père et sœur de la reine de France, qui me range dans le camp des Médicis. Celui aussi de mon père, assassiné il y a un peu plus d’un an. Et puis, je le répète, j’ai toujours aimé Giuliano. Vous m’aiderez ?
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