Après quatre charges on emporta Lawfeld mais Cumberland revint à l’attaque avec une fureur dévastatrice. Oubliant alors ce qu'il était, Saxe se retrouva le jeune Maurice d'autrefois et, tirant son épée, emmena lui-même à la charge sa cavalerie en hurlant :
- Comme au fourrage, mes enfants !
Son dispositif enfoncé, le duc de Cumberland ordonna une retraite qui ressemblait à un sauve-qui-peut. La bataille était gagnée et Maurice passant au galop sur le front rassemblé des troupes vint l'offrir à Louis XV.
Le soir même, celui-ci écrivait au Dauphin :
« Mon fils, je viens de gagner une grande victoire et jamais notre grand maréchal n'a été plus grand qu'aujourd’hui. Ne lui en faites pas compliment mais dites à la Dauphine de le gronder pour s’être trop exposé… »
Cependant, tandis que les Anglais se faisaient tailler en pièces, les Autrichiens, eux, refluaient sur Maastricht devant laquelle il n’y avait plus d’autre solution que mettre le siège. Un siège qui allait durer.
Pendant ce temps, à l’autre bout du pays et quelques jours après Lawfeld, le maréchal de Lowendal investissait la place forte de Berg-op-Zoom, la clef de la Hollande vers la mer… et s’en emparait. Malheureusement, au lieu d’imiter la retenue de son ami Saxe, il laissa ses soldats mettre à sac la riche cité. Ce qui, non sans raison, souleva l’indignation. A Versailles en tout premier lieu où Conti et ses amis accolèrent joyeusement le nom du pillard à celui de Saxe dont on le savait proche. Cela ne troubla pas le maréchal que, d’ailleurs, le roi allait nommer gouverneur général des Pays-Bas à la fin de la campagne.
En revanche, ce qui l’avait troublé et même secrètement peiné, ce fut, en regagnant le camp de Tongres après Lawfeld, de ne trouver aucune réponse à sa lettre d’amour. Rien ! Pas un mot ! En outre, il s’aperçut vite que Justine n’était plus à l’affiche du théâtre. Ce dont il demanda des explications à Charles Favart.
- Où est passée la Chantilly ?
Se fondant sur les excellentes relations entretenues jusque-là avec son mécène, l’époux de Justine prit un air désolé. Mais exempt de toute inquiétude :
- Elle est partie, Monsieur le maréchal, et quand vous m’avez fait appeler je me disposais à venir vous en parler…
- Partie ? Mais pour où et pourquoi ?
- Permettez que je réponde d’abord à la seconde question ! Parce qu’elle s’est soudain sentie souffrante. Un coup de froid sans doute…
- En plein été ?
- Un été qui ne se ressemble guère, avec toute cette pluie ! Justine a la gorge fragile. Elle a commencé par se sentir lasse, puis elle s’est mise à tousser, enfin la fièvre est venue et, un moment, nous avons même craint que ce ne soit grave. Or ici nous ne disposons que de médecins militaires. Les soins d'un homme de l’art étant nécessaires, je l'ai mise en voiture avec sa camériste… afin qu'elle puisse bénéficier de ceux d'un célèbre praticien de Bruxelles. Celui qui soigne Mme la duchesse de Chevreuse. Cette grande dame aime beaucoup mon épouse et je suis sûr qu’elle sera bien soignée…
- Ainsi elle est à Bruxelles ?
- Mais… je le pense. Pourquoi serait-elle ailleurs ?
- Avec les femmes on ne sait jamais ! Eh bien nous allons prendre des nouvelles en espérant qu’elles seront bonnes et que notre étoile nous reviendra promptement. Nous avons une belle victoire à fêter et mes soldats seront très heureux qu'elle chante pour eux. Veillez à me tenir au courant !
Il n'y avait rien à ajouter et Favart sortit sans retenir un soupir de soulagement, persuadé qu'il était d'avoir adroitement mené sa barque. Si le maréchal envoyait un messager Justine l'écouterait et jugerait ensuite à quelle conduite elle devrait se ranger. Or, il fut le premier surpris d'apprendre par le maréchal que sa Justine n'avait fait que passer à Bruxelles où elle n'était restée que deux jours avant de repartir. Sans dire où elle allait ! Autrement dit : elle avait disparu.
La nouvelle blessa Maurice. La lettre dans laquelle il avait mis tant d'espoirs retombait comme un pétard mouillé. Non seulement elle ne lui ramenait pas Justine mais elle l’avait fait fuir. L’amour que l’on éprouvait pour elle ne trouvait aucun écho dans son cœur. Elle le dédaignait tout simplement et cela c’était nouveau pour un homme autour de qui les femmes se pressaient et qui n’avait qu’à tendre la main pour en attirer une. Jamais il n’avait essuyé de refus. A plus forte raison, jamais on ne l’avait fui comme la Chantilly venait de le faire ! Se joignait à cette déception une sorte d’amertume née de l’impression que l’on se moquait de lui.
Favart, en effet, ne semblait pas particulièrement inquiet de la disparition de sa femme. Il continuait de diriger son théâtre comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et quand le maréchal lui demanda de nouveau s’il avait des nouvelles - pensant que Justine était retournée à Paris, il l’avait envoyé chercher dans leur appartement de la rue de Richelieu mais sans plus de succès -, il s’entendit répondre que Mme Favart était sujette à des escapades, à des besoins de campagne pour s’y reposer de l’extrême fatigue nerveuse de la scène surtout lorsque celle-ci se trouvait aux abords de la guerre.
- Mais enfin vous ne savez rien d’elle et vous restez ici tranquille à vous occuper de vos travaux ?
- Monsieur le maréchal, répliqua Favart avec autant de respect qu’il en disposait, j’ai la plus grande confiance en Justine parce qu’elle ne m’a jamais trompé. Pour être franc, je dirai qu’elle m’a fait tenir un billet me disant que même Paris augmentait sa lassitude et qu'elle allait se reposer chez une amie en province…
- Quelle amie ? Quelle province ?
- Elle ne me l’a pas dit et c'est sans importance puisque c’est pour son bien. Elle donnera des nouvelles plus tard et, quand elle se sentira mieux, elle me rejoindra. Cela semble peut-être difficile pour un prince tel que vous, Monseigneur, mais nous sommes de petites gens auprès de vous qui êtes notre bienfaiteur…
- Vous êtes en train de me le faire regretter ! Assez de palinodies : elle est vraiment malade ou bien je lui fais horreur au point qu’elle ne veuille plus me voir ?
- Comment pouvez-vous penser cela ? Elle a beaucoup d’amitié pour vous et, pensant - peut-être est-ce bien téméraire ? - que vous en avez aussi, elle pense que vous comprendrez le besoin qu’elle éprouve de… de prendre des vacances ?
L’œil sombre du maréchal n’était guère annonciateur d’une quelconque tendance à la compréhension :
- Des vacances, hein ? Est-ce que j’en prends, moi ? Arrangez-vous comme vous le voudrez mais faites en sorte qu’elle revienne ! Le Théâtre aux armées est sinistre sans elle !
- Oh ! Monsieur le maréchal est injuste ! Nous avons une troupe de valeur, des comédiennes charmantes… jusqu’à présent appréciées de tous… et même de vous ?
- Parlons-en ! La Beauménard est rentrée à Paris, la Navarre s’est reprise d’amour pour son cher Mirabeau et l’a suivi, pensant se faire épouser, l’idiote ! De toute façon, je retourne à Bruxelles et le théâtre aussi ! Débrouillez-vous pour que nous ayons des gens présentables ! Et surtout la Chantilly !
Rentré sous sa tente meublée dans le style militaire mais avec presque autant d’élégance que son hôtel de Paris ou son château du Piple, Maurice y trouva son neveu qui arpentait les tapis en l’attendant. Le fils de ses amis Frédéric-Henri et Constance de Friesen était arrivé à Paris dans les bagages de la Dauphine. C’était à présent un beau jeune homme ne rêvant que plaies et bosses, sympathique et enchanté de pouvoir servir un oncle aussi prestigieux. Admis parmi ses aides de camp, il entretenait autour de son maréchal une atmosphère de bonne humeur quasi permanente et savait le distraire quand ses idées noires le prenaient. Ne fût-ce qu’en lui parlant de Dresde, de ses parents et de leurs nombreux amis communs.
- Pourquoi tant d’agitation ? bougonna l’oncle. Il t’est arrivé quelque chose ?
- A moi non, mais à vous oui. J’ai chez moi deux femmes qui attendent que je les introduise auprès de vous.
- Deux femmes ? Quelle sorte de femmes ? Pas des dames tout de même ?
- J’aurais dû dire une femme - très quelconque ! - et une jeune fille… la plus jolie que j’aie jamais vue. La femme prétend que vous la connaissez… et que son époux a un poste dans les fournitures des armées. Enfin, elle parle aussi de sa fille aînée, une certaine Geneviève…
Maurice éclata de rire, ce qui dans l'état où il était lui fit tous les biens du monde.
- La mère Rinteau !… Mais pourquoi toutes ces périphrases ? Elle n’avait qu'à dire son nom.
- C'est que… elle n'osait croire que vous vous en souviendriez.
- Elle est inoubliable ! Va la chercher !
Un moment plus tard, Friesen ramenait les visiteuses. La première armait d'un sourire épanoui un visage déjà en voie de perdition dont un épais maquillage s'efforçait de colmater les brèches. En contraste complet avec une vêture que n'eût pas désavouée une duègne espagnole, la seconde, toute jeune, était tout simplement exquise…
- Madame Rinteau ! émit Maurice avec la courtoisie dont il ne se départait jamais quelle que soit son interlocutrice. Qu'est-ce qui me vaut l'honneur de votre visite ?
Elle feignit la confusion et minauda :
- L’honneur ? Oh, Monseigneur est trop bon et…
- Je ne suis pas évêque, ni prince du sang ! Appelez-moi Monsieur le maréchal ! Vous ne venez pas, je l’espère, me parler de votre époux ? Des bruits sont venus jusqu’à moi touchant certain marché qui..
- Oh non, Monsieur le maréchal ! Pas du tout. Je laisse à M. Rinteau le soin de ses affaires. Moi je ne m’intéresse qu’à ma famille. Vous avez peut-être gardé dans votre mémoire le souvenir de ma fille Geneviève ?
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