Rentrée dans sa maison, elle y donna les ordres nécessaires. Elle envisageait son départ pour le surlendemain afin de s’accorder au moins vingt-quatre heures de répit et écrire quelques lettres à sa sœur afin de la mettre au courant de ce dernier avatar. Elle remit à plus tard celle destinée à Ulrica lui ordonnant de lui amener Maurice. Ne connaissant personne à Berlin il faudrait d’abord savoir où elle-même allait loger.
Elle en était là de ses préparatifs quand Utta lui annonça une visite :
- Monsieur le baron d’Asfeld demande si Madame la comtesse peut le recevoir. Il attend dans le petit salon.
Aurore faillit crier de joie et dut faire appel à tout son sang-froid pour ne pas se précipiter en courant vers ledit salon. La réapparition de celui qu’elle considérait comme son plus fidèle ami, lui semblait une merveilleuse réponse aux questions qui encombraient son esprit.
Prenant le temps d’un coup d’œil au miroir, elle descendit rapidement, trop heureuse pour emprunter l’allure compassée propre à une chanoinesse. Se rappelant d’ailleurs leur dernier revoir à Dresde où elle l’avait fait passer pour son cousin afin d’éviter la colère de Frédéric-Auguste, elle entra vivement dans la pièce en s’écriant :
- Cousin Nicolas ! Mais quelle joie de vous revoir !
Le curieux visage du jeune homme creusé par deux cicatrices, souvenirs de duels déjà anciens, s’illumina :
- Vrai ? Cela vous fait plaisir ?
- Bien plus encore ! J’ai eu de vos nouvelles par la baronne Berckhoff. Elle m'a dit que vous aviez quitté l'armée, que vous vous étiez retiré sur vos terres. N'est-ce pas un peu tôt pour prendre une retraite ?
- Non. Je ne pouvais plus rester chez le duc de Celle. Pendant des mois on n'a rien su de vous et j’en devenais fou. J'imaginais Dieu sait quoi. Le bruit courait même que vous étiez morte en donnant le jour à un enfant.
- Il est exact que j'ai un fils mais je n'y ai pas laissé la vie. En revanche j'ai dû le cacher : il me fallait le soustraire aux entreprises du chancelier Flemming. Quant à ma liberté je ne l'ai retrouvée qu’en acceptant de revêtir ce costume et me voici chanoinesse !
- Vous avouerai-je que j’en suis ravi ? Quedlinburg est une bonne protection… et en plus nous sommes voisins. Bien sûr j’ai été déçu en apprenant que vous étiez déjà repartie. Pour Dresde évidemment, ajouta-t-il avec un rien d’amertume qui fit sourire Aurore ; apparemment il n’était pas guéri de cette maladie d’amour qu’elle lui avait inspirée.
- J’ai fait quelques visites d’abord puis, en effet, je suis retournée là-bas mais n’y suis guère restée. Et je vais repartir dès demain.
- Si promptement ? mais pourquoi ?
- Je suis investie d'une mission auprès de l’Electeur de Brandebourg et je me rends à Berlin.
- Seule ?
- Si l’on excepte ma femme de chambre et mon fidèle cocher, oui, je pars seule mais…
- Laissez-moi vous accompagner ! Les routes ne sont pas sûres… et je ne sais que faire de mes journées…
- Mais vos terres… et surtout votre mère ? On m’a dit qu’elle était de santé fragile, qu’elle avait besoin de vous ?
- Depuis un mois elle n’a plus besoin de rien, hélas…
- Oh, je suis désolée, Nicolas !
- Ne le soyez pas. Elle est allée rejoindre mon père dont elle ne cessait de déplorer la perte. Pour elle c’est une délivrance… Quant à mes domaines ils sont aux mains d’un excellent régisseur. Je suis donc entièrement libre… et tout à votre service si vous m’acceptez comme chevalier servant !
Aurore réfléchit un instant. L’idée d’avoir auprès d’elle sur les longs chemins un défenseur de cette trempe était plus que réconfortante ! Surtout si Asfeld consentait à reporter sur le petit Maurice un peu de ce grand dévouement qu’il lui offrait ?… A l’heure actuelle, l’enfant était en sécurité au cœur de la vieille maison familiale pleine de serviteurs dévoués et sous l’égide d’Ulrica, mais qu’en serait-il quand il prendrait la route de Berlin ? Certes Flemming avait rendu les armes. Pour un moment du moins mais, avec un tel homme, qui pouvait dire si, dans la suite des temps, il s’en tiendrait à cette sagesse toute neuve ? En outre, la mère de Maurice ignorait si d'autres ennemis inconnus ne se manifesteraient pas. A commencer par le « corbeau » qui, au temps de sa splendeur, lui adressait de si venimeuses lettres anonymes et dont l’identité demeurait mystérieuse. Il devait se cacher quelque part, celui-là, et nul ne pouvait prévoir s’il ne reparaîtrait pas un jour ou l’autre. Surtout si Frédéric-Auguste coiffait la couronne polonaise.
- Vous ne répondez pas, murmura Nicolas. Ma proposition vous déplaît ?
- En aucune façon, au contraire, mais à une condition…
- Quelle qu’elle soit je l’accepte.
- Seriez-vous devenu imprudent ?
- De vous je suis prêt à accepter n’importe quoi !
Dieu que c’était agréable à entendre ! Restait à le mettre à l’épreuve…
- Il y a quelqu’un qui a besoin de protection beaucoup plus que moi : c’est un petit enfant de quelques mois qui a déjà couru de grands périls…
- Votre fils ?… Depuis que je sais qu’il existe, l’idée ne m’est jamais venue de le dissocier de votre personne ! Il me sera aussi cher que s’il était mien.
Aurore prit le jeune homme aux épaules, se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa comme elle eût embrassé son frère :
- Merci !… Alors demain vous partirez pour Hambourg et vous me rejoindrez ensuite avec lui à Berlin… Je vous le confie !
CHAPITRE III
PAR MONTS ET PAR VAUX…
En arrivant à Potsdam, qui était à Berlin ce que Versailles était à Paris, c’est-à-dire - en moins somptueux - le palais d’été des Electeurs de Brandebourg, ducs de Prusse, Aurore n’eut aucune peine à obtenir une audience grâce à la lettre que lui avait remise, pour son frère, la pauvre Christine-Eberhardine. En pleurant d’ailleurs : l’épouse de Frédéric-Auguste était toujours aussi désolée de voir repartir l’ancienne maîtresse de son époux :
- Je comptais tellement sur vous pour me débarrasser de cette pécore ! Vous n’imaginez pas à quel point elle m’insupporte ! Au moins revenez bientôt !
- Soyez sans crainte ! Je ne manquerai pas de venir saluer Votre Altesse Electorale lorsqu'elle sera devenue Sa Majesté la reine de Pologne !
- C’est que, voyez-vous, je ne suis pas certaine d’en avoir envie…
- Oh, Madame ! On dit pourtant que les Polonais sont des gens charmants…
- Et que dit-on des Polonaises ? Devenu roi mon noble époux n’aura plus que l’embarras du choix ! Je vais vivre des jours affreux !
- Pourquoi donc ? Ce sera peut-être la fin de la comtesse Esterlé ? Je ne crois pas Monseigneur capable d’une longue fidélité1. Disons que… c’est une habitude à prendre. Une fois reine, Votre Altesse verra cela du haut d’un trône. C’est plus difficile à atteindre et cela l’aidera !
- Dieu vous entende ! En tout cas, à Berlin, méfiez-vous de ma belle-sœur ! Si vous pouvez éviter de la voir ce n’en serait que mieux !
Aurore le croyait volontiers : la princesse de Prusse n’était autre que Sophie-Charlotte de Hanovre, la belle-sœur - aussi ! - de la prisonnière d’Ahlden, et la comtesse de Koenigsmark n’était pas une inconnue pour elle. En digne fille de la redoutable Electrice Sophie, elle était de ceux qui avaient pourri la vie de la malheureuse Sophie-Dorothée de Celle, contribuant ainsi à la jeter dans les bras de Philippe de Koenigsmark pour, après l’assassinat du jeune homme, l’écraser de son mépris. A y réfléchir l’ambassadrice de Quedlinburg trouvait que son ex-amant avait eu une drôle d’idée de l’envoyer, elle, défendre les intérêts du chapitre alors qu’elle n’était qu’une simple chanoinesse. Cela revenait à l’abbesse en personne. Et pourquoi donc pas à la redoutable princesse de Holstein-Beck, l’amie de cœur de la Schwartzburg ?
Cette question, elle l’avait posée à Christine-Eberhardine avant de la quitter. Celle-ci, cessant un moment de larmoyer, lui avait décoché :
- Vous les avez déjà regardées à deux fois ? Elles ne sont pas loin de tomber en ruine, ce qui, Dieu merci, n’est pas votre cas. Et il se trouve que mon frère, même s’il est marié à une mégère, sait apprécier une jolie femme…
Aurore n’avait pas osé demander jusqu’à quel point. Aussi quand elle eut reçu une réponse favorable à sa demande d’audience choisit-elle de porter la somptueuse mais sévère robe de chœur en épaisse faille noire dont les larges manches et la traîne s’ourlaient d’hermine. Ne venait-elle pas demander - officiellement - que l’on n’impose pas une sécularisation qui détruirait la communauté ? Aussi s’était-elle interdit toute fantaisie.
Son cœur n’en battait pas moins la chamade quand, par une belle matinée ensoleillée, sa voiture la déposa au palais de Potsdam gardé par d’imposants grenadiers. La demeure en elle-même n’avait rien d’exceptionnel. C’était plus un gros château campagnard qu’une demeure princière mais les jardins très fleuris étaient beaux et l’intérieur nettement plus orné : tapis, miroirs, meubles précieux et tableaux de valeur plaidaient en faveur du goût de l’Electrice…
Un officier aussi raide que les sentinelles la conduisit à travers une enfilade de salons jusqu’à une pièce abondamment garnie de livres qui était le cabinet de travail du prince. Celui-ci s’y tenait debout derrière une longue table chargée de papiers et de boîtes à courrier, tenant dans ses mains un manuscrit ancien dont il examinait les illustrations… Au physique c’était un homme de belle taille mais qui ne semblait pas jouir d’une santé excellente. Dans son visage pâle on remarquait surtout le nez en bec d’aigle et, sous des sourcils arqués, les yeux noirs et vifs. Doté par la nature de cheveux hirsutes il les dissimulait sous une perruque à la Louis XIV qui lui permettait en outre de cacher une déformation à la base du cou, due à une chute des bras de sa nourrice lorsqu’il était enfant. Durant des années il avait été obligé de porter un corset rigide et en gardait un aspect contrefait qui le faisait paraître plus chétif qu’il ne l’était en réalité…
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