– Dépêchez-vous de me donner des nouvelles ! Je suppose que vous avez vu notre jolie mariée et qu’elle est en route pour rejoindre Romuald ?
– Je n’en ai pas la moindre idée ! Le billet n’était qu’un piège. On m’a assommé et je me suis réveillé dans le lit de Mme Kledermann.
– On aurait pu choisir plus mal, mâchonna l’archéologue qui ne semblait cependant guère disposé à sourire. Savez-vous qui a fait ça ?
– La même personne qui m’a rossé ou fait rosser dans le parc Monceau. J’ai entendu un rire bien caractéristique. Ça commence à devenir une habitude de me taper dessus et je trouve ça agaçant au possible !
– Et vous en êtes sorti comment ?
– En enfonçant la porte quand j’ai entendu le vacarme, en bas. Au fait, si vous me racontiez ce qui s’est passé : ce n’est tout de même pas vous qui avez fait tomber lady Clementine ?
Vidal-Pellicorne prit un air contrit :
– Hélas ! C’est bien moi le coupable... Un croche-pied involontaire mais vous savez à quel point je suis maladroit avec mes extrémités inférieures ! Cependant, ajouta-t-il plus bas et d’un ton beaucoup plus allègre, vous serez satisfait, le vrai saphir est dans ma poche. C’est la copie de Simon que l’on vient de renfermer dans son écrin.
La nouvelle était si formidable qu’Aldo aurait pu crier de joie.
– C’est vrai ? s’exclama-t-il.
– Pas si fort ! Bien sûr que c’est vrai. Je pourrais vous le montrer mais ici, ce n’est pas l’endroit !
Les invités commençaient à sortir du château pour gagner les sièges disposés sur la terrasse. Mme Kledermann, une cape légère sur les épaules, était du nombre.
– Je vous cherchais, dit-elle. Il m’arrive une curieuse aventure : je ne sais quel imbécile a jugé bon de démolir la porte de ma chambre !
– Un admirateur un peu trop impétueux peut-être ? suggéra Morosini mi-figue mi-raisin. J’espère qu’on vous a donné une autre chambre ?
– C’est impossible : elles sont toutes occupées. Mais on répare. Ferrais était furieux quand il a vu les dégâts au moment où il allait chercher sa précieuse épouse afin qu’elle préside au moins le feu d’artifice avant de s’embarquer pour Cythère... À propos, si nous voulons être bien placés, il faut y aller ! ajouta-t-elle en les prenant chacun par un bras. Geste que Morosini esquiva adroitement.
– Allez devant, s’il vous plaît ! Je voudrais me laver les mains.
– Moi aussi, fit Adalbert en écho. Je me suis traîné par terre à la recherche de ce fichu joyau...
En fait, tous deux voulaient surtout assister à l’apparition de sir Eric, avec ou sans sa jeune femme. Sans, très certainement, puisque Anielka devait profiter du feu d’artifice pour s’esquiver. Pour cela, il lui fallait convaincre Ferrais de la laisser se reposer encore un peu...
Il y avait encore foule dans le hall. La vieille duchesse, un peu fatiguée, se tenait assise dans un grand fauteuil à l’abri de l’escalier devant lequel le comte Solmanski, visiblement nerveux, faisait les cent pas en jetant de vifs coups d’œil vers l’étage. Voyant arriver les deux hommes, il ébaucha pour eux un sourire incertain.
– Quelle stupidité d’être venus ici, lâcha-t-il. Ce mariage si loin de Paris ne me disait rien qui vaille, mais mon gendre n’a rien voulu entendre. Sous prétexte que sa fiancée adore les jardins, il entendait lui offrir un mariage champêtre ! Ridicule !
Visiblement de très mauvaise humeur, le beau-père ! Vidal-Pellicorne lui offrit son visage le plus séraphique :
– C’est poétique ! soupira-t-il. Est-ce que vous n’aimez pas la campagne ?
– Je la déteste. Elle sue l’ennui !
– Alors, vous ne devez pas être un Polonais comme les autres. Ceux que je connais l’adorent...
Il s’interrompit. En haut de l’escalier, sir Eric venait de faire son apparition et Morosini nota avec une joie secrète qu’il était seul et semblait soucieux.
– Eh bien ? demanda Solmanski. Où est ma fille ?
Avec un soupir, sir Eric descendit vers lui :
– On est en train de la mettre au lit. Je crois qu’il va nous falloir passer la nuit ici... Elle a déjà perdu connaissance deux fois, m’a dit sa femme de chambre...
– Je vais voir ce qu’il en est ! décida le père en commençant à monter, mais Ferrais le retint.
– Laissez-la tranquille ! Elle a surtout besoin de repos et mon secrétaire est en train de téléphoner à Paris pour qu’un spécialiste soit là demain matin. Aidez-moi plutôt à en finir avec cette sacrée soirée en allant contempler les fusées, après quoi chacun rentrera chez soi. J’adresserai quelques mots à nos amis, ajouta-t-il en se dirigeant vers la duchesse à laquelle il offrit son bras avant de se tourner vers Aldo et Adalbert qui ne savaient trop que penser. Allons, messieurs, accompagnez-nous ! Le spectacle qui nous attend sera, je crois, magnifique !
Tandis qu’étoiles, chandelles romaines, soleils et feux de Bengale illuminaient le ciel nocturne sous les cris admiratifs des invités oubliant leur quant-à-soi pour laisser revenir les enfants qu’ils avaient été, les deux amis trépignaient d’envie de descendre au bord du fleuve pour voir ce qui s’y passait, mais leur hôte semblait tenir à leur compagnie. Il fallut attendre que la fête s’achève puis que Ferrais ait débité un petit discours excusant sa femme et remerciant ses invités d’avoir fait preuve de tant de patience. Ce fut ensuite le rituel du départ pour ceux qui ne logeaient pas au château.
Chose bizarre, sir Eric tint à raccompagner lui-même Morosmi jusqu’à sa voiture qu’un domestique était allé chercher. Et cela au grand désappointement de Mme Kledermann qui ne semblait guère disposée à se séparer de son ami mais dut s’incliner par souci de sa réputation. Elle trouva quand même le moyen de lui glisser qu’elle comptait se rendre à Venise dans un avenir prochain. Perspective qui ne le fit pas vibrer d’enthousiasme mais, ayant trop de soucis pour s’y attarder, il choisit de l’oublier aussitôt. A chaque jour suffit sa peine !
Il roulait déjà en direction des grilles où, en dépit de l’heure tardive, s’agrippaient journalistes et curieux quand Vidal-Pellicorne le rejoignit.
– J’ai oublié de vous demander votre adresse dans le coin.
– La Renaudière, chez Mme de Saint-Médard. C’est entre Mer et La Chapelle-Saint-Martin.
– Rentrez directement et ne bougez pas ! J’irai vous voir demain matin.
Puis, lâchant la portière, il revint vers le château en criant comme s’il terminait une phrase :
– ... De toute façon, je vous en montrerai une presque semblable au musée du Louvre ! A bientôt !
Ce ne fut pas sans regrets que Morosini prit la route du retour. Les événements avaient tourné de façon si étrange qu’il ne pouvait se défendre d’une angoisse due à l’expression bizarre du visage de Ferrais quand il était redescendu. Quelque chose lui disait que la comédie qui s’était changée en farce au moment des exploits d’Adal n’était peut-être pas loin, à présent, de prendre des allures de drame...
CHAPITRE 9 DANS LE BROUILLARD
Incapable de trouver le sommeil, Aldo passa le reste de la nuit à tourner en rond en fumant cigarette sur cigarette. L’aurore le découvrit au jardin arpentant les allées bordées de buis, les nerfs en boule et l’esprit tendu vers ce château qu’il avait fallu quitter sans savoir ce qui s’y était passé au juste. Ce fut la belle lumière rose qui le convainquit de rentrer pour ne pas inquiéter son hôtesse, une aimable mais fragile créature que le moindre bruit faisait sursauter et qui semblait toujours sur le qui-vive. Un certain temps s’écoulerait sans doute avant qu’Adalbert n’effectue son entrée : le mieux était de le passer sous la douche d’abord et de commander un solide petit déjeuner ensuite.
L’une était un peu rouillée, mais l’autre délicieusement campagnard avec de grandes tartines de pain bis grillées à point, du beurre tout frais pressé, d’attendrissantes confitures de reines-claudes et du café à réveiller un mort. Aussi les idées de Morosini retrouvaient-elles les couleurs de l’optimisme quand les pétarades de l’Amilcar firent rugir les échos des alentours et plonger sous ses oreillers la pauvre Mme de Saint-Médard qui était encore au lit.
– J’espère que vous m’apportez de bonnes nouvelles ! s’écria Morosini en allant au-devant de son ami.
– Des nouvelles, j’en ai, mais on ne peut pas dire qu’elles soient bonnes... À vrai dire, elles sont incompréhensibles.
– Laissez un peu de côté votre goût du mystère et dites-moi d’abord où est Anielka !
– Dans sa chambre selon toute vraisemblance. Le château est plongé dans le silence afin qu’aucun bruit ne vienne troubler son repos : les domestiques sont montés sur semelles de feutre. Quand aux invités, ils doivent, à cette heure, être sur le départ. Ferrais leur a fait comprendre qu’il souhaitait les voir filer le plus vite possible !
– Elle est vraiment malade, alors ? Mais de quoi souffre-t-elle ? s’impatienta Morosini alarmé.
– Pas la moindre idée ! Sir Eric et sa nouvelle famille sont muets comme des carpes. Et comme Sigismond était encore à jeun quand je suis parti, je n’ai rien pu en tirer. Vous ne partageriez pas vos agapes matinales avec un malheureux qui est debout depuis l’aube ? J’ai quitté le château au lever du soleil...
– Servez-vous ! Je vais demander du café chaud... mais, dites-moi, vous en avez mis du temps pour parcourir une douzaine de kilomètres ?
– J’en ai fait plus que ça ! Autant vous apprendre tout de suite le plus inquiétant : Romuald a disparu.
Adalbert raconta alors comment, avant d’aller se coucher, il avait fait un tour dans le parc pour « fumer un dernier cigare » et surtout voir ce qui se passait au bord du fleuve. Or il ne s’y passait rien. La barque était bien amarrée à l’endroit convenu, mais il n’y avait personne dedans : les rames y voisinaient avec la couverture dont le guetteur avait dû se munir pour envelopper sa passagère. Habitué de par son métier à scruter les terrains et les choses, l’archéologue, aidé de la lampe électrique emportée par précaution, réussit à relever néanmoins des traces suspectes : celles de pas imprimés dans la terre auprès d’autres plus légères, comme si une personne lourdement chargée s’y était déplacé en allant vers l’aval. D’autres marques encore dans le petit bateau : éclats de bois et de peinture récents, et aussi de la boue. Très soucieux, Vidal-Pellicorne s’efforça de suivre les pas pesants mais ils ne le menèrent pas loin : ils s’arrêtaient à quelques mètres au bord de l’eau puis disparaissaient. Il y avait eu là, certainement, un autre bateau, mais amené par qui et dans quel but ?
"Etoile bleu" отзывы
Отзывы читателей о книге "Etoile bleu". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Etoile bleu" друзьям в соцсетях.