L’heure venue, il s’assura d’un regard que Ferrais, lancé dans une discussion, ne s’occupait pas du reste de ses invités, puis il s’excusa auprès de ses voisines, recula sa chaise et quitta la salle...
Le hall n’était pas désert, loin de là ; le ballet des serveurs venant des cuisines s’y poursuivait sans précipitation et sans bruit. Dans la salle des cadeaux dont la porte demeurait ouverte – il eût été inconvenant et même offensant pour les invités de la fermer avant leur départ -, on entendait les gardes discuter entre eux. L’un de ceux qui se tenaient devant le seuil, se méprenant sur les intentions de Morosini, lui indiqua le grand escalier en précisant charitablement :
– C’est de l’autre côté, dans le renfoncement...
Aldo remercia d’un geste de la main tout en se dirigeant vers l’endroit indiqué, y entra, en ressortit aussitôt, jeta un coup d’œil autour de lui puis, estimant l’instant favorable, s’élança sur la volée de marches recouvertes d’un tapis et, en quelques enjambées, atteignit le palier ouvrant sur deux larges couloirs éclairés par des torchères. Il n’eut pas à chercher longtemps : la silhouette épaisse de Wanda sortit de derrière une antique chaise à porteurs placée à l’entrée d’une des galeries. Elle lui fit signe de la suivre, l’amena devant l’une des portes puis, mettant un doigt sur ses lèvres pour l’inviter au silence, s’éloigna sur la pointe des pieds.
Morosini frappa doucement. Sans attendre de réponse, il posa la main sur la poignée pour entrer. Le coup l’atteignit à cet instant précis et il s’effondra sans avoir eu le temps de pousser un soupir mais avec l’impression bizarre que quelqu’un riait : un petit rire grinçant et cruel...
Quand il se réveilla, le choc retentissait encore douloureusement dans son crâne mais sans que ses facultés intellectuelles s’en trouvassent amoindries. Il fut surpris de se retrouver couché sur un lit confortable au milieu d’une chambre élégante et éclairée : quand le héros se faisait assommer, dans les romans policiers qu’il aimait lire, son réveil avait toujours pour cadre une cave tapissée de toiles d’araignée, un réduit sans fenêtres ou même un placard. Son agresseur semblait avoir pris de lui un soin tout particulier : deux oreillers soutenaient sa tête et sa jaquette habillait le dos d’un fauteuil sur lequel s’étalait déjà une robe de mousseline bleu pâle qu’il reconnut aussitôt.
De même que le parfum coûteux, complexe, enivrant et très original qui signait toujours le sillage de Dianora. Pour une raison encore obscure, l’homme qui riait d’une façon si caractéristique et si désagréable semblait s’être donné pour tâche, cette fois, le rapprochement des amants désunis...
– C’est gentil de sa part mais ce n’est certainement pas pour mon bien, marmotta-t-il.
Non sans que le décor basculât un peu, il s’assit puis réussit à se lever et à remettre de l’ordre dans sa tenue. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’il était là depuis plus d’un quart d’heure et qu’il y était encore pour un moment, car la porte sur laquelle il se précipita était fermée à clef. « L’étude de la serrurerie va devenir urgente ! » pensa-t-il en évoquant avec un rien d’envie les talents si particuliers d’Adalbert. En tout cas, une chose était sûre : quelqu’un tenait à ce qu’il reste chez Dianora au moment où Anielka l’appelait. Mais le billet qu’il retrouva au fond de sa poche était-il bien l’œuvre de la jeune femme ? Cette écriture-là était plutôt banale...
La serrure – pur XVIIe ! – était superbe mais solide. Elle ne céderait que s’il enfonçait la porte. Ne sachant trop ce qu’il y avait derrière, il hésitait devant le bruit que cela causerait. Alors il alla vers la fenêtre qu’il ouvrit en grand sur l’enchantement lumineux des jardins. Beaucoup trop lumineux : au milieu de cette façade éclairée a giorno, il devait être aussi visible que s’il était en vitrine et, malheureusement, il y avait du monde dehors. En outre, la hauteur de deux bons étages de mur lisse le séparait du sol : de quoi se rompre le cou...
Il en était à envisager de nouer les draps du lit selon la méthode classique et au risque de passer pour un fou quand un affreux vacarme éclata au rez-de-chaussée, résonnant dans tout le château : un fracas suivi de cris, de galopades et de coups de sifflets. Ceux des policiers sans doute ? Alors il n’hésita plus : sans remords ni pitié pour les délicates peintures d’époque, il revint vers la porte comme un boulet de canon et l’enfonça d’un maître coup de pied. La belle serrure céda et il se retrouva dans la galerie déserte. En revanche, en bas, le tumulte continuait.
Le hall était plein de gens qui s’agitaient, parlant tous à la fois, ce qui lui permit de redescendre sans que l’on fît attention à lui. Tout ce monde s’entassait devant la salle des cadeaux dont la porte était close. Les deux gardiens qui s’y adossaient parlementaient avec les invités.
– Que s’est-il passé ? demanda Morosini qui réussit à se glisser au premier rang en jouant des coudes.
– Rien de grave, monsieur, répondit l’un des policiers. Nous avons reçu l’ordre de ne laisser entrer ni sortir personne.
– Mais pourquoi ? Qui est là-dedans ?
– M. Ferrais et quelques-uns de ses invités. Des dames qui, arrivées en retard, n’avaient pu voir l’exposition.
– Et il a besoin de s’enfermer pour ça ?
– Eh bien... justement... le pied d’une des dames lui a tourné et, en voulant se retenir, elle a arraché le tapis de velours de la table aux bijoux. Tout est tombé par terre. Alors M. Ferrais, tout en s’efforçant d’aider son amie à se relever, a ordonné que l’on ferme afin que personne ne sorte tant que les bijoux n’auraient pas été remis en place...
– Comme c’est aimable ! protesta quelqu’un. Cet Anglais n’a vraiment aucune éducation ! Est-ce qu’il suppose que cette pauvre femme a fait exprès de tomber afin de cambrioler sa quincaillerie ?
– C’est peu probable, fit le gardien en riant. D’après ce que je sais, il s’agit d’une vieille duchesse anglaise apparentée à la famille royale ! Pour l’instant, elle boit un verre de cognac installée dans un fauteuil tandis que les autres personnes ramassent les bijoux avec l’aide de mes collègues... Je vous en prie, mesdames et messieurs, ajouta-t-il en enflant la voix, veuillez regagner les salons en attendant que tout soit rentré dans l’ordre ! Il n’y en a pas pour longtemps...
– Espérons qu’il ne manquera aucun de ses sacrés bijoux, ronchonna le médecin qui avait porté secours à Anielka. Sinon, il est très capable de nous faire passer à la fouille avant de nous laisser repartir. J’ai bien envie de m’en aller tout de suite !
– Oh, restons encore un peu, Edouard ! pria sa femme. C’est tellement amusant !
– Vous trouvez ? On peut dire que vous n’êtes pas difficile, Marguerite ! Regardez un peu les ministres !
Ils tenaient conciliabule avec deux ambassadeurs à l’entrée des salons, tentés de demander leur voiture bien qu’ils parussent prendre l’événement avec une certaine philosophie. Aldo entendit l’un d’eux, qui était M. Dior, ministre du Commerce et de l’Industrie, déclarer en riant :
– Voilà un mariage dont je me souviendrai ! Dire que pour y assister j’ai abandonné à Marseille le président Millerand, retour d’Afrique du Nord et venu visiter l’Exposition coloniale !
– Mais ne l’aviez-vous pas inaugurée en avril avec Albert Sarraut, votre collègue des Colonies ? fit l’un de ses interlocuteurs.
– Ce n’était qu’une pré-inauguration parce qu’elle n’était pas encore terminée. Mais l’Exposition est une réussite qui vaut d’être vue en détail. Il y a certains pavillons qui sont de vraies merveilles et...
Morosini se désintéressa des propos officiels pour chercher du regard Vidal-Pellicorne mais sa silhouette dégingandée surmontée de sa crinière bouclée n’apparaissait nulle part. Enfin, au bout d’un moment qui parut interminable à ceux qui attendaient, la double porte se rouvrit, livrant passage à sir Eric, très souriant et donnant le bras à la vieille lady, cause bien involontaire de tout ce remue-ménage. Derrière eux venaient les invités qui s’étaient trouvés enfermés : parmi eux, la comtesse espagnole dont Morosini avait été le voisin, Dianora et Aldebert qui riaient.
– Ma parole ! On dirait que vous vous êtes bien amusés ? fit Aldo en les rejoignant.
– Vous n’imaginez pas à quel point ! dit la jeune femme. Cette pauvre duchesse à plat ventre sur le parquet avec son drap de velours où s’accrochaient encore quelques babioles très chères pendant que d’autres roulaient de tous côtés, c’était irrésistible ! Mais, ajouta-t-elle en baissant le ton, si vous aviez vu la tête de sir Eric, c’était encore plus drôle. Songez un peu ! Il n’apercevait plus son fétiche, la fameuse Étoile bleue dont il nous rebat les oreilles. J’ai cru, un instant, qu’il allait nous faire déshabiller et fouiller !
– J’aurais beaucoup aimé pour ma part ! dit Adalbert avec un clin d’œil qui lui valut un coup d’éventail.
– Ne soyez pas vulgaire, mon ami. En tout cas, c’est à vous que nous devons le salut : si vous n’aviez pas retrouvé l’objet où en serions-nous, mon Dieu !
Morosini eut un sourire de dédain :
– Le vernis mondain aurait-il craqué ?
– Vous voulez dire qu’il a explosé. Pffuit ! Nous avons vu un instant Harpagon privé de sa cassette. Mais nous avons eu chaud ! À ce propos, je monte me refaire une beauté avant le feu d’artifice. Je vous rejoindrai sur la terrasse...
Morosini hésita un instant à la prévenir qu’elle allait sans doute éprouver quelque peine à fermer la porte, mais il préféra lui laisser le plaisir de la découverte et entraîna Adalbert sur le perron pour fumer une cigarette. Il y avait, dans l’œil de son ami, un pétillement malicieux qui le faisait griller de curiosité mais il n’eut même pas le temps de poser la moindre question. Tout en allumant un énorme cigare fumant comme une locomotive, Vidal-Pellicorne murmura :
"Etoile bleu" отзывы
Отзывы читателей о книге "Etoile bleu". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Etoile bleu" друзьям в соцсетях.