Durant la journée du lendemain, Aldo prit un plaisir infini à jouer les marraines de Cendrillon en rhabillant M. Buteau de pied en cap grâce à une longue station chez Old England où l’on choisit un trousseau complet et à une visite, plus courte, chez un bon coiffeur. Quand ce fut fini, le petit vieillard de l’hôtel Drouot avait rajeuni de dix ans et avait presque retrouvé son aspect d’autrefois.
Ce ne fut pas sans combat que Morosini réussit à lui faire accepter sa métamorphose. M. Buteau ne cessait de protester, de dire que c’était trop, que c’était de la folie, mais son ancien élève avait réponse à tout.
– Quand nous serons rentrés, vous aurez plus à faire que vous ne l’imaginez et vous ne vous contenterez pas d’écrire votre grand ouvrage. J’ai bien l’intention de vous intégrer à la firme Morosini où vous pourrez me rendre de grands services. Vous serez appointé et, si vous y tenez, vous me rembourserez alors des quelques frais d’aujourd’hui. Cela vous va ?
– Je ne vois pas quelles objections je pourrais avancer. Vous me comblez de joie, mon cher Aldo ! Et voyez comme je suis exigeant, je vais vous demander encore une faveur.
– Accordée d’avance.
– Je voudrais que vous cessiez de m’appeler « Monsieur Buteau » long comme le bras. Vous n’êtes plus mon élève et puisque nous allons travailler ensemble, faites-moi l’honneur de me traiter en ami !
– Avec joie ! Bienvenue à la maison, mon cher Guy ! Elle est un peu différente de ce que vous avez connu, mais je suis certain que vous vous y plairez ! À ce propos, vous pourriez peut-être me rendre un premier service en entrant dès à présent en fonctions. Je vous l’ai dit, je crois, je reste encore ici quelques jours pour assister au mariage... d’une importante relation et cela m’arrangerait que vous rentriez à Venise demain. Je préférerais, bien sûr, vous ramener, mais je voudrais que la parure achetée hier soit là-bas aussi rapidement que possible... Elle est attendue avec impatience.
– Vous voulez que je l’emporte ? Avec plaisir, voyons !
– Je suis sûr que vous ferez bon ménage avec Mina Van Zelden, ma secrétaire, qui ne cesse de clamer qu’elle est trop occupée. Quant à Cecina et son époux, ils vont tuer le veau gras pour votre retour. Je vais téléphoner à Zaccaria et ensuite j’appellerai chez Cook pour retenir votre sleeping.
Le soudain désir de Morosini d’expédier à Venise un homme qu’il était si heureux d’avoir retrouvé ne s’expliquait pas par l’urgence de remettre à Mina les futures topazes de la signora Rapalli, mais par l’approche du mariage d’Anielka. Ignorant encore comment se passerait une journée qu’il imaginait tumultueuse, Aldo ne tenait pas à ce que M. Buteau y soit mêlé. Cet homme doux, paisible, ennemi des grandes aventures, aurait très certainement quelque peine à approuver celle-ci. Peut-être même à y comprendre quelque chose. Et, de toute façon, Aldo ne voulait à aucun prix jeter le moindre voile sur le bonheur dont rayonnait à présent un être qu’il aimait et qui avait beaucoup souffert...
Une fois qu’il eut installé Guy au milieu des acajous, miroirs gravés, tapis et velours du grand train de luxe, il retrouva ses soucis intacts. Il allait beaucoup mieux mais il était sans aucune nouvelle de Vidal-Pellicorne, ce qui avait le don de l’agacer.
Mme de Sommières mit un comble à cet énervement en remarquant soudain sans avoir l’air d’y toucher :
– Est-ce que tu as songé au cadeau ?
– Cadeau ? Quel cadeau ? grogna Aldo.
– Est-ce que tu n’es pas invité, la semaine prochaine, à un mariage ? Dans ce cas, l’usage veut que l’on offre un présent au jeune couple pour l’aider à monter son ménage. Selon les moyens que l’on a et le degré d’intimité, cela va de la pelle à tarte et de la pince à sucre jusqu’au cartel Régence ou au tableau de maître, proposa-t-elle, l’œil pétillant de malice. À moins, bien sûr, que tu renonces à te commettre avec ces gens-là ?
– Il faut que j’y aille !
– Quelle obstination ! Je vois mal quel plaisir tu pourras trouver à ces noces... à moins que tu n’aies l’intention d’enlever la mariée à l’issue de la cérémonie, ajouta la marquise en riant, sans se douter qu’elle était en train d’énoncer une vérité. Par chance, elle était alors occupée à se servir une coupe de Champagne, ce qui lui évita de constater qu’Aldo venait de s’empourprer comme une belle cerise. Aussi, afin de laisser à son visage le temps de recouvrer sa teinte naturelle, choisit-il de se lever et de filer vers la porte.
– Pardonnez-moi, s’écria-t-il. Je dois téléphoner à Gilles Vauxbrun.
La voix de tante Amélie le rattrapa au moment où il allait franchir le seuil :
– Tu n’es pas un peu fou ? Tu ne vas pas aller te ruiner chez un grand antiquaire pour ce bandit de Ferrais ? Et puis, encore une question : à qui comptes-tu adresser ton présent ? A lui ou à elle ?
– Aux deux puisqu’ils habitent sous le même toit. Ce qui d’ailleurs n’est guère convenable à mon sens !
– Je ne peux pas te donner tort : je trouvais cela scandaleux. Heureusement, il y a du nouveau : depuis avant-hier, les Solmanski ont émigré au Ritz où ils occupent le plus bel appartement. Il paraît qu’on n’y a jamais vu arriver autant de fleurs ! Notre marchand de canons met les fleuristes au pillage pour sa bien-aimée.
Morosini émit un sifflement admiratif :
– Peste ! Vous en savez des choses ! Votre Marie-Angéline aurait-elle autant de relations, place Vendôme qu’à Saint-Augustin ?
– Tout de même pas. C’est cette vieille pie de Clémentine d’Havre qui est venue prendre le thé avec moi hier après avoir déjeuné au Ritz. Olivier Dabescat est venu pleurer dans son giron : il a dû décommander je ne sais quel maharajah qui avait retenu l’appartement royal pour le donner à la fiancée... Alors, pour qui le cadeau ?
– Pour lui, bien sûr, mais soyez tranquille : je choisirai la pelle à tarte !
En réalité, dès le lendemain, il faisait l’acquisition d’un petit bronze romain du Ier siècle après Jésus-Christ représentant le dieu Vulcain en train de forger la foudre de Jupiter. Un symbole rêvé pour un marchand de canons ! En outre, il eût été mesquin de lésiner avec un homme qu’il allait délester de sa jeune épouse et d’une pierre qu’à tort ou à raison il considérait comme ancestrale.
– Le malheur, commenta Adalbert quand il apprit l’envoi de la statuette, c’est que, marié à Vénus, ce pauvre Vulcain ne fut guère heureux en ménage. L’auriez-vous oublié ou bien l’avez-vous fait exprès ?
– Ni l’un ni l’autre ! fit Morosini désinvolte. On ne saurait penser à tout !...
–
CHAPITRE 8 UN MARIAGE PAS COMME LES AUTRES...
Deux jours avant le mariage de sir Eric Ferrais avec la ravissante comtesse polonaise dont tout Paris parlait, il n’était plus possible de trouver une chambre libre dans les hôtels ou auberges de campagne entre Blois et Beaugency. Il y avait les invités, trop nombreux pour qu’il soit possible de les loger au château, mais aussi la presse, grande ou petite, avide d’images et de potins, sans compter la police et les curieux attirés par une manifestation mondaine qui s’annonçait fastueuse.
Pour Aldo et Adalbert, le problème ne se posait pas : ils étaient à pied-d’œuvre dès l’après-midi du 15. Le premier fut accueilli dans un charmant manoir Renaissance proche de Mer par une ancienne camarade de couvent de tante Amélie, et il s’y rendit dans la « voiture à pétrole » de la marquise. Le second, doublement invité par Ferrais et le jeune Solmanski, effectua au château où il devait dormir une entrée bruyante dans sa petite Amilcar rouge. Par la vertu de ce bolide qui pouvait rouler à cent cinq kilomètres à l’heure, mais dont les freins n’actionnaient que les roues arrière, nul n’ignora son arrivée dans tout le village et même au-delà.
Restait un troisième personnage, auquel l’archéologue attribuait une importance capitale car il devait récupérer Anielka et la mettre à l’abri des recherches pendant le temps nécessaire. Celui-là était sur place depuis cinq jours et pêchait le brochet sur l’autre rive de la Loire en attendant de jouer son rôle. Il se nommait Romuald Dupuy et c’était le frère jumeau de Théobald, le fidèle valet d’Adalbert.
Un frère tellement jumeau que même Vidal-Pellicorne n’arrivait pas à les distinguer. Tous deux vouaient à l’archéologue un égal dévouement depuis que celui-ci avait, pendant la guerre, sauvé la vie de Théobald au risque de la sienne. C’était, pour les jumeaux, comme s’il les avait sauvés tous les deux.
Depuis cinq jours, donc, Romuald, arrivé dans le pays à motocyclette en se faisant passer pour journaliste, s’était arrangé pour louer à prix d’or une maisonnette et une barque appartenant à un pêcheur du cru. L’une et l’autre se trouvant situées presque en face du château, l’emplacement lui était apparu idéal et, depuis, il tuait le temps en trempant du fil dans l’eau.
De son bateau abrité par des saules argentés, il pouvait observer – à l’œil nu ou à l’aide d’une paire de jumelles – la longue bâtisse blanche dont les courtisans d’une maîtresse royale disaient jadis que c’était le palais d’Armide porté par les nuées jusqu’aux bords de la Loire.
Entouré d’un parc immense et posé comme une offrande aux dieux sur d’admirables jardins en terrasses descendant jusqu’au fleuve par deux rampes majestueuses, le château, dont les nuances changeaient avec le ciel, était d’une beauté presque irréelle. Sous la course rapide des nuages, il avait toujours l’air d’être sur le point de s’envoler. C’était un spectacle captivant parce que sans cesse différent.
Cependant quand, au matin des noces, Romuald mit le nez à la fenêtre de sa maisonnette, il se crut le jouet d’un rêve : tout était blanc en face de lui comme s’il avait neigé durant cette nuit de mai. Les jardins étagés débordaient de fleurs immaculées et, sur les tapis de gazon, de grands paons plus blancs encore se promenaient avec majesté. C’était à la fois délirant et sublime, et l’observateur invisible admira en connaisseur. Pareil miracle avait dû nécessiter une armée de jardiniers travaillant à une vitesse de courants d’air, car le château était resté illuminé tard dans la soirée pour la réception qui avait suivi la cérémonie du mariage civil. Ce qui n’avait pas laissé beaucoup de temps avant que revienne le jour aux enchanteurs du plantoir et du râteau. Et Romuald, soudain songeur, pensa qu’elle devait être bien belle, celle pour qui un homme, très amoureux sans cloute, déployait tant de merveilles.
"Etoile bleu" отзывы
Отзывы читателей о книге "Etoile bleu". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Etoile bleu" друзьям в соцсетях.