Cette fois aucune pression n’était plus possible sur les médecins et, le 18 décembre 1904, le docteur Valentin Magnan, médecin-chef de l’hôpital Sainte-Anne, et le docteur Paul Garnier, médecin psychiatre expert auprès du tribunal de la Seine commençaient les longs examens qui ne devaient s’achever qu’en mars 1905 (le docteur Garnier, qui mourut entre-temps, fut remplacé par le docteur Dubuisson).

Mais, au bout du compte, le verdict fut des plus nets : jamais la princesse n’avait été folle.

C’était, après tant d’années, la victoire et le droit au bonheur…

Malheureusement, le bonheur, le vrai, ne devait jamais venir et cela, il faut bien l’avouer, en grande partie par la faute de la princesse que sa longue captivité n’avait pas guérie de son insouciance en matière d’argent. Délivrée des geôliers il lui fallait à présent faire face non seulement à la haine de sa famille mais aussi à la meute de ses créanciers. À Vienne, Philippe de Cobourg allait jusqu’à faire vendre publiquement les bijoux, les robes et même la lingerie de sa femme. Il fallut un ordre assez menaçant de François-Joseph pour faire cesser ce scandale.

Du côté belge, Louise n’avait pas grand-chose à attendre, sinon peut-être la mort de son père qui, du moins l’espérait-elle, la mettrait en possession des fameux millions congolais sur lesquels tablaient toujours ses créanciers et qui avaient tant intéressés son mari et son entourage.

Retranchée à l’hôtel Westminster avec Mattachich, elle vivait petitement, mettant en gage les bijoux qu’elle possédait encore et ses robes. En cela, elle faisait preuve d’héroïsme et d’un amour digne de la légende car il lui eût suffi d’abandonner Geza pour voir se rouvrir devant elle les portes, les bras et les coffres.

Mais tout ce qu’elle voulait, c’était le divorce. Elle finit par l’obtenir en janvier 1906, achevant de dresser contre elle, non seulement son mari, mais aussi ses enfants et son gendre qui la détestaient à cause du scandale permanent qu’elle offrait en vivant publiquement avec son amant… et de cet héritage fabuleux qu’ils avaient tellement attendu.

Lorsque Léopold II mourut, en 1907, sa fille poussa un long, un immense soupir de soulagement, vite changé en grimace de déception : le roi des Belges laissait à la Belgique l’énorme fortune qu’il avait tirée du Congo, non sans avoir grassement pourvu sa maîtresse, la baronne de Vaughan.

Pour les trois filles du roi qui, à l’enterrement, se retrouvèrent réunies depuis bien longtemps, ce fut un vif désappointement, sauf pour la princesse Clémentine qui n’espérait rien d’autre que la liberté d’épouser enfin le prince Victor-Napoléon qu’elle aimait. Mais, pour Louise en particulier, c’était une catastrophe.

Les six millions qu’elle retira tout de même furent rapidement engloutis par les créanciers… auxquels se joignirent les obligeants amis, tels Marie Stoeger, qui l’avaient aidée à fuir et sur le désintéressement desquels il lui fallut bien perdre ses illusions.

Alors, elle commit la faute d’intenter un procès à la Belgique, procès à la Belgique, procès qui lui fit perdre sa popularité. On sut, en effet, qu’invitée par le nouveau roi Albert Ier et la reine Elisabeth à leur couronnement, elle avait reçu d’eux le plus charmant accueil et l’offre de vivre désormais, exempte de soucis, en paix et dignité, dans son pays natal. Mais elle ne voulait pas se séparer de Mattachich et refusa.

Quand survint la guerre de 1914-1918, les Belges, bien qu’elle eût repris son nom de princesse Louise de Belgique, la renièrent.

Dès lors, toujours suivie de Mattachich, sans argent, sans patrie, elle erra interminablement à travers l’Europe des années folles, vivant d’expédients mais imperturbablement fidèle à cet amour hors du commun auquel elle avait voué sa vie et qu’elle ne regretta jamais.

Et cela dura jusqu’à ce jour de 1924 où mourut enfin, à Wiesbaden, la princesse Louise de Belgique, reniée par tous sauf par le seul homme qu’elle ait aimée au monde…