— Comment, qui me permet ? Mais vous-même, ma toute belle, et plus de vingt fois, il me semble ! Et vous ne manquez pas d’audace d’oser me dire en face que vous ne savez pas qui je suis !
La patience n’étant pas la vertu majeure d’Armande Béjart, elle le prit de plus haut encore et, montrant d’un geste royal la porte à l’importun :
— Si je ne le sais pas je m’en doute : un vieux fou ! Ah çà, Monsieur, où vous croyez-vous donc ?
François s’assit, croisa les jambes et sourit.
— Mais… chez ma maîtresse ! Une maîtresse qui me coûte assez cher, il me semble, pour qu’elle consente au moins à me reconnaître.
Puis, se relevant brusquement et cessant de sourire :
— Assez de comédie, Armande ! Je sais que j’avais promis de ne jamais venir ici mais, de votre côté, vous aviez promis de venir me retrouver chaque soir.
— Vous osez dire que j’ai été chez vous, moi ? Que je suis votre maîtresse, moi ? glapit la comédienne, s’étranglant à moitié de fureur.
— Je fais mieux que le dire, je le jure ! Et j’ajoute que vous me décevez singulièrement. Je ne vous croyais pas l’âme si vile.
La gifle qui claqua sur sa joue coupa court à son réquisitoire. Mais c’était un homme qui récupérait très vite. Fort de son bon droit, il passa à l’offensive. Il y eut un assez bel échange de gifles et, finalement, la comédienne, hors d’elle, appela au secours avec tant d’énergie que sa loge s’emplit instantanément de seigneurs, de comédiens, d’employés du théâtre et, finalement, de deux ou trois policiers que le directeur était allé chercher.
Tremblante de fureur, Armande raconta ce qui venait de se passer, accusa le président de l’avoir insultée et frappée, tant et si bien que le président au Parlement de Grenoble, nonobstant l’énoncé de ses titres et qualités, fut emmené au violon comme un vulgaire tire-laine.
Il passa la nuit au Petit Châtelet. Une nuit bien amère et bien inconfortable qui lui suggéra une foule de réflexions encore plus amères. Au matin, on le relâcha contre une solide caution, mais non sans qu’il eût maintenu avec force son accusation contre Armande Béjart : elle était sa maîtresse, et avait reçu de lui une foule de présents, de cela il ne démordait pas.
De son côté, la comédienne, songeant qu’un bon procès contre cet olibrius, riche et magistrat de surcroît, ne pourrait que servir sa gloire, se porta partie civile. Une enquête fut ordonnée et, naturellement, le premier témoin cité par Lescot fut la Ledoux, que l’on appréhenda.
Force fut bien à l’entremetteuse d’avouer toute l’histoire et quelques jours plus tard, Marie Simonnet, dite La Tourelle, était arrêtée à son tour, conduite en prison. Là, elle se trouva confrontée à la fois au président et à Armande Béjart. On ne sait trop lequel fut le plus surpris, de la comédienne se trouvant soudain face à face avec sa propre image, ou du magistrat découvrant la supercherie dont il avait été victime mais, tandis que Mademoiselle Molière s’en allait en claquant les portes avec des airs de tête superbes, François Lescot demanda, et obtint, de rester seul avec celle qui l’avait si habilement trompé.
L’entretien dura un long moment et, chose étrange, rien n’en transpira. Tout ce que l’on sait, c’est que quand les archers vinrent la chercher pour la reconduire à sa geôle, la jeune Marie pleurait comme une fontaine et le président avait la larme à l’œil.
Le 17 septembre 1675, la sentence fut rendue. Elle condamnait le président Lescot à une amende de 200 livres payables à Mademoiselle Molière à titre de dommages et intérêts (sans doute pour les gifles reçues). Quant à la femme Ledoux et à Marie Simonnet, dite La Tourelle, elles étaient condamnées à « être fustigées nues et par deux fois, au-devant de la grande porte du Châtelet et du domicile de ladite demoiselle Molière. Ce, une fois fait, bannies pour trois ans de la ville, prévôté et vicomté de Paris ; enjoint à elles de garder leur ban à peine de la hart et, solidairement, à vingt livres d’amende envers le Roi, cent livres de réparations civiles, dommages et intérêts envers ladite Molière (qui réalisait ainsi la meilleure affaire de sa vie !) et aux dépens ».
En entendant son jugement, Marie Simonnet éclata en sanglots déchirants qui ne firent que croître tandis qu’on l’emmenait. Le jugement devait être exécuté le lendemain dans la matinée.
Mais, quand ils vinrent chercher les deux prisonnières pour les conduire devant la prison, les y dévêtir et leur faire subir la première séance de fouet, les archers de robe courte chargés de surveiller l’exécution ne trouvèrent plus que la femme Ledoux. La petite Marie Simonnet avait disparu comme par enchantement sans que personne pût dire ce qu’elle était devenue. On parla d’intervention diabolique, de sorcellerie, d’odeur de soufre perçue dans la nuit et de bruits étranges venus du cachot… mais on ne retrouva pas la condamnée.
Quelqu’un pourtant, qui n’était ni le diable ni ses suppôts, aurait pu renseigner les curieux car, tandis que le fouet du bourreau retombait sur les chairs quelque peu effondrées de la Ledoux, au grand dam d’un public de connaisseurs qui avait espéré un plus excitant spectacle, un carrosse soigneusement fermé, sans armoiries ni marque d’aucune sorte, roulait à grandes guides sur la route du Midi.
Il emportait le président François Lescot et Marie Simonnet qu’il avait, à prix d’or, arrachée à la prison et à l’infamie de l’exécution publique, tout simplement parce qu’il ne pouvait pas en supporter l’idée.
En effet, à voir l’une près de l’autre Armande et Marie, la comédienne hautaine, rapace et impitoyable et la pauvre fille désespérée, si touchante dans son chagrin, son repentir et ses aveux désespérés, François Lescot avait compris qu’en fait ce n’était pas Mademoiselle Molière qu’il aimait réellement mais bien son charmant sosie. Quant à Marie, éperdue de reconnaissance, elle ne demandait qu’à donner une éternité d’amour et de gratitude à celui qui lui donnait une telle preuve d’attachement.
L’histoire s’arrête là, tout juste lorsque commence le bonheur qui ne saurait s’accommoder des chahuts de la publicité. Revenu à Grenoble, François Lescot vendit sa charge, épousa Marie et partit vivre dans le cadre magnifique de la nature l’amour conquis de si étrange façon. Entendez par là qu’ayant acheté une grande propriété aux environs de Grenoble, il alla s’y enfermer avec Madame Lescot si discrètement que l’on n’entendit plus parler d’eux, ce qui est encore la meilleure preuve qu’ils vécurent heureux.
Quant à Mademoiselle Molière, le procès, comme elle l’avait si bien imaginé, lui ayant rapporté un grand surcroît de gloire, sans compter les profits, elle couronna sa carrière en épousant à grand fracas, le 31 mai 1677, le fameux Guérin d’Estriché. Puis, ayant ainsi solidement assis sa réputation d’honorabilité parfaite, elle entreprit de le tromper copieusement, ce qui, depuis Molière, était chez elle une habitude.
Il est vrai que, la situation de mari trompé n’ayant jamais fait mourir personne, ledit Guérin trouva sa vengeance en survivant de vingt-huit ans à sa volage épouse et en ne se décidant à quitter cette terre de douleur qu’à l’âge respectable de quatre-vingt-douze ans… au grand désespoir de ses héritiers à moitié morts d’impatience !
La « glace » de la marquise de Sévigné
Il y a au monde des gens pour qui l’horloge de la vie sonne toujours trop tôt ou trop tard et dont le cœur ne bat qu’à contretemps. Ils n’aiment que qui ne les aime pas, ou pas encore, et, quand ils ont réussi à conquérir l’être aimé, ils cessent presque naturellement d’éprouver pour lui le moindre sentiment. Madame de Sévigné allait ainsi passer son existence sans réussir à connaître véritablement les joies de l’amour partagé.
Tout commença lorsque le bon abbé de Coulanges présenta à sa nièce le jeune marquis de Sévigné avec l’arrière-pensée de lui offrir l’occasion d’un amour durable. L’idée était louable : Henri de Sévigné avait vingt ans, il était beau, plein de charme, très peu fortuné sans doute, mais il portait l’un des plus beaux noms de Bretagne, et sa réputation de bravoure n’avait d’égale que les suffrages qu’il s’entendait comme personne à récolter auprès des femmes.
La seule crainte de l’abbé était que justement, la jeune Marie ne s’éprît trop violemment de ce garçon aimable et n’en souffrît par la suite. Or, Marie de Rabutin-Chantal ne montra, après la présentation, qu’un enthousiasme mitigé.
— Je l’épouserai, mon oncle, s’il vous convient de me le donner pour époux, et j’espère que nous serons heureux !
Rien n’était moins sûr ! Comment aurait-ce pu l’être alors que depuis l’adolescence son cœur appartenait à son cousin, l’étincelant Roger de Rabutin, non moins jeune, non moins beau, non moins brave et non moins coureur que Sévigné, et encore beaucoup plus mauvais sujet. Mais Roger volait de fille en femme, collectionnait les maîtresses et ne montrait à sa jolie cousine qu’une tendre affection, tout à fait insuffisante pour en faire un époux.
Pourtant, Sévigné, de son côté, avait été séduit d’emblée par la jeune fille. Elle était en effet ravissante : dix-huit ans, un teint de fleur, de superbes cheveux dorés et de grands yeux de la couleur des fleurs de lin. Grand amateur de jupons, le jeune marquis n’avait résisté à cette éclatante beauté que tout juste ce qu’il fallait pour sauvegarder sa réputation de séducteur : une semaine plus tard, il demandait sa main. L’ayant obtenue, il fit à sa future femme une cour en règle mais enthousiaste… et qui se heurta à une douce indifférence, fort irritante pour un homme à femmes. Henri avait beau savoir que cette ravissante Marie serait prochainement son épouse, il n’en éprouva pas moins de dépit à voir ses soins accueillis si froidement et, entre deux visites, il reprit de plus belle la vie dissipée qu’il affectionnait.
"Ces femmes du Grand Siècle" отзывы
Отзывы читателей о книге "Ces femmes du Grand Siècle". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Ces femmes du Grand Siècle" друзьям в соцсетях.