Anne d’Autriche, qui avait fort aimé le père, aurait volontiers plaidé la cause du fils mais elle comprit au ton parfaitement inhabituel employé par un fils dont elle ne recevait jamais que des marques de tendresse et de parfaite courtoisie qu’il n’admettrait aucune discussion à ce sujet. Elle accepta donc de se charger de la désagréable commission.
Avec force soupirs et beaucoup de larmes, Buckingham partit donc sans espoir de retour… ce qui eut pour effet immédiat de laisser au Roi un champ parfaitement libre, débarrassé de tout concurrent valable.
Aussi, durant l’été 1661, Madame et le Roi ne se quittèrent-ils pratiquement plus. La saison était particulièrement belle et douce, sous les ombrages séculaires de Fontainebleau. Il y régnait cet air de langueur, cette douceur de vivre qui amollissaient naturellement les cœurs et les corps et les portaient à l’amour.
Dès que Louis avait achevé son travail de Roi, il rejoignait Henriette et, entraînant dans leur sillage une foule de jeunes gens et de jeunes femmes, tous deux couraient les bois, chassaient, se baignaient dans la Seine durant le jour puis, le soir venu, écoutaient de la musique, dansaient ensemble ou bien se perdaient dans de longues promenades sylvestres.
Jusqu’où allèrent ces égarements ? Nul ne pourrait le dire avec certitude mais le Roi n’était pas homme à endurer longtemps, sans s’en montrer offensé, un désir aussi violent que celui qu’il éprouvait. Quant à Madame, elle n’avait certainement pas dressé les savantes batteries qu’elle avait braquées sur Louis XIV pour qu’elles fassent long feu. Bientôt on ne douta plus guère à la Cour de l’identité de la véritable reine de France. Le Roi et sa belle-sœur ne poussèrent-ils pas l’audace jusqu’à se faire peindre par Mignard sous les apparences d’Apollon et d’une charmante bergère trônant ensemble au milieu d’une cour de nymphes et d’Amours qui faisaient pleuvoir des roses sur l’heureux couple ?
Tendre « Chandelier »
Les sentiments de Louis XIV pour Madame – et naturellement ceux de Madame pour le Roi – étaient si évidents, si insolents pourrait-on dire, que les courtisans, passablement désorientés, en venaient à se demander si la reine Marie-Thérèse n’allait pas se trouver répudiée un beau matin pour laisser la place à son étincelante belle-sœur et si, de son côté, Monsieur ne se verrait pas poliment mais fermement prié de faire rompre son mariage. Tout cela bien sûr contre toute logique et toute évidence car la Reine se retrouva bientôt enceinte et on ne voyait pas bien comment le Roi pourrait en venir à ce scandaleux changement de partenaire. Mais on commençait à savoir trop bien, à la Cour, que rien ne pouvait résister quand le Roi avait dit : « Je veux ! »…
Ce qui allait se produire, personne ne l’aurait imaginé. Tout d’abord, ce fut la Reine, cette quantité négligeable, qui, le plus imprévisiblement du monde, leva l’étendard de la révolte. Depuis des mois, elle suivait avec angoisse le déroulement de la romance ébauchée entre son époux bien-aimé et l’Anglaise et, naturellement, elle en souffrait profondément. Amoureuse comme une couventine, jalouse comme une Espagnole, elle s’en alla crier au secours auprès du seul être qui pût, à la Cour, venir à son aide et la comprendre : la reine mère Anne d’Autriche, qui était également sa tante.
Or, en pénétrant dans les appartements d’Anne, elle eut la surprise d’y trouver un autre plaignant : Monsieur. Décoiffé, ce qui était signe d’un grand trouble, rouge de colère, Philippe d’Orléans arpentait furieusement le salon de sa mère en jetant feu et flammes, en jurant comme un Templier et en déchirant ses dentelles.
En entrant, Marie-Thérèse entendit les dernières phrases de son discours furibond.
— … et je voudrais bien savoir, en définitive, qui de vos deux fils Madame a épousé : si c’est le Roi ou si c’est moi !
Voyant entrer la Reine, le jeune duc s’arrêta net, un peu gêné, mais elle lui adressa un petit sourire plein de tristesse.
— Ne vous arrêtez pas, mon frère ! Moi aussi je viens me plaindre ! Moi aussi je viens demander secours. Je crois qu’on nous dédaigne beaucoup, vous et moi…
— La faute à qui ? coupa la reine mère, très mécontente de la tournure que prenait cette affaire. Vous vous laissez l’un et l’autre mettre à l’écart sans protester. Vous, mon fils, occupez-vous un peu moins de la décoration de vos demeures, de vos habits et de vos amis, Guiche et les autres, et arrangez-vous pour passer avec votre femme la majeure partie de votre temps. Vous, ma fille, essayez donc de montrer à votre époux moins de bouderies, moins de larmes – il les a en horreur –, moins d’amour dévotieux et plus de coquetterie.
— Une reine, coquette ? Oh !
— Madame s’en prive, peut-être ? Et elle est presque reine. Si vous voulez voir en elle une rivale, au moins battez-vous avec les mêmes armes !
— Allons donc ! coupa Monsieur. Comme si vous ne saviez pas, ma mère, comment s’y prend le Roi quand il veut être seul avec Madame. Il organise un petit quelque chose : une promenade, un concert privé, un médianoche, et il néglige tout bonnement de nous inviter, la Reine et moi. Quand, informés, nous nous présentons, nous trouvons « visage de bois » : la compagnie est partie, on ne sait où en général ! Non, je vous le dis, Madame, il faut que cela cesse !
Anne d’Autriche ne répondit pas. Elle savait bien que ces deux malheureux enfants avaient raison, que la conduite du Roi, comme d’ailleurs celle de Madame, était sans excuse et qu’il fallait prendre au sérieux la colère de Philippe. S’il se fâchait pour de bon, cela pouvait créer des troubles, comme au temps de Gaston d’Orléans, l’insupportable frère de feu Louis XIII.
— Rentrez chez vous l’un et l’autre, dit-elle enfin. Je vous promets de faire de mon mieux.
Faire de son mieux, cela consista à aller trouver la reine douairière d’Angleterre qui vivait toujours au Palais-Royal et à lui faire comprendre qu’elle eût à chapitrer sa fille si elle ne voulait pas voir celle-ci chassée par son époux.
Pendant ce temps, Monsieur mettait lui-même de l’ordre dans ses affaires. Le soir même, malgré un bal qui se préparait et la grande partie de campagne prévue pour le lendemain, il fit monter sa femme en carrosse et, en dépit de ses protestations, l’emmena passer quelques jours dans son château de Villers-Cotterêts, sous le prétexte qu’elle ne l’avait pas encore admiré.
Quand un ordre royal rappela le couple, quinze jours plus tard, le Roi, chapitré par sa mère, avait compris qu’il fallait faire quelque chose s’il ne voulait pas avoir une vie de famille intenable et Madame, qui avait eu affaire elle aussi à sa mère, partageait entièrement ce sentiment. Mais quel pouvait être ce quelque chose capable de les mettre à l’abri des fureurs jalouses de leurs époux respectifs tout en continuant leur tendre badinage, auquel ni l’un ni l’autre ne songeait un seul instant à renoncer ?
La première fois qu’ils purent s’isoler un moment dans le parc de Fontainebleau, ils en discutèrent sérieusement.
— Il est inutile de nous dissimuler, Sire, que nous faisons tous deux l’objet d’une surveillance parfaitement injurieuse lorsque nous sommes ensemble !
— Je partage votre avis mais comment nous voir sans que je vienne chez vous, sans nous promener ensemble, sans nous baigner ensemble, sans être l’un près de l’autre, enfin ? Nos jaloux ne s’estimeront satisfaits que par une totale séparation, et cela, je m’y refuse ! Je ne pourrais pas le supporter !
Madame sourit, émue. Il était si agréable d’entendre de telles choses proférées par une bouche royale ! Comment n’en être pas enivrée ? Son regard, tout de velours, caressa complaisamment le jeune Roi.
— Peut-être y a-t-il un moyen, Sire. Un moyen auquel je vous demande pardon d’avoir pensé mais qui pourrait être efficace.
— Voulez-vous dire que nous pourrions continuer à nous voir sans cesse… et sans que l’on puisse s’en inquiéter ?
— Je le crois mais, évidemment…
— Dites toujours !
— Pourquoi ne pas laisser supposer que vous fréquentez assidûment ma maison pour une autre que moi ?
— Vous avez raison, Henriette, votre moyen ne me plaît guère. C’est me supposer le goût bien mauvais ! Regarder une autre quand vous êtes là ? Quelle hérésie ! Et à qui donc penseriez-vous ?
— Je ne sais pas, moi ! Une fille d’honneur. J’en ai de charmantes. Presque toutes sont venues à la Cour pour entrer à mon service. Vous ne les connaissiez pas… En tout cas cela devrait calmer nos jaloux !
— Pour Monsieur j’en conviens. Mais la Reine ?
— La Reine ? Oh, elle est bien trop infante pour daigner se donner la peine d’être jalouse d’une simple fille d’honneur.
— Vous avez réponse à tout. Mais votre plan peut être bon. Voyons, à présent, qui vous allez me proposer ? Pas votre préférée, j’espère ? Pas Mademoiselle de Montalais ? Elle a des yeux si malins qu’elle me ferait peur. Je craindrais toujours qu’elle se moque de moi.
— Soit ! Mais pas davantage Mademoiselle de Tonnay-Charente.
— Pourquoi cela ? Elle est belle, il me semble ? Et de grande maison.
— Justement, elle l’est trop, fit Madame avec une logique bien féminine. Ce serait désobligeant pour moi. Non, laissez-moi faire : je crois que j’ai ce qu’il nous faut.
— Et qui donc ?
— La petite La Vallière. Elle est si discrète, si timide, que nous n’aurons pas à craindre de la voir tirer vanité de vos hommages et devenir insupportable. De plus elle est pauvre. Vous la doterez dans quelque temps et nous aurons ainsi servi notre amour tout en faisant du bien à une pauvre fille. Elle n’aura aucune peine à trouver un époux.
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