Elle n'en dit pas plus. Ce fut lui qui fit un pas vers elle, attiré irrésistiblement par le clair visage qui brillait si doucement dans l'ombre bleue de la tente. Catherine lut, sur le visage crispé du chevalier, une irrésistible tentation, le même désir sans masque qu'au matin de Tournai. Elle sentit qu'il oubliait à cet instant tout ce qui n'était pas l'adorable forme féminine si proche de lui, qu'elle tenait sa victoire ! Elle enjamba sans le quitter des yeux, le coffret aux onguents, se coula contre la poitrine d'Arnaud et, dressée sur la pointe des pieds, glissa les bras autour de son cou et offrit ses lèvres. Il se raidit. Elle sentit la contraction de tous ses muscles comme si son corps tentait instinctivement de la repousser. Dérisoire défense ! La séduction du corps souple collé au sien agissait sur le jeune homme comme un filtre. Il perdit le contrôle de sa volonté à l'instant précis où Catherine, cessant de vouloir elle aussi, se laissait emporter par la passion et la tempête de ses sens. Tout s'effaça : les murs bleus de la tente, l'heure, le lieu, et jusqu'au vacarme qui venait du champ clos où trois mille gosiers braillaient avec ardeur.

Arnaud étreignit Catherine, l'écrasant contre sa poitrine avec une brutalité sauvage. Possédé d'une faim profonde, vieille de plusieurs mois et qu'il n'avait jamais réussi à assouvir, il s'empara des jolies lèvres, si fraîches et si roses, qui tentaient sa bouche, se mit à les dévorer de baisers passionnés. Il la serrait si fort contre lui que Catherine, bouleversée de bonheur, sentait contre son sein droit les battements affolés de son cœur. Leur deux souffles ne faisaient plus qu'un et la jeune femme crut mourir sous cette bouche exigeante qui aspirait sa vie même...

Perdus dans leur extase amoureuse, ils vacillaient sur leurs jambes amollies, noués l'un à l'autre comme deux arbustes solitaires au milieu d'une lande battue par la tempête. Ils n'entendirent pas revenir Xaintrailles, rouge, soufflant comme un forgeron et la lèvre fendue.

Le chevalier, son heaume défoncé sous le bras, s'arrêta à la porte avec un haut-le-corps. Mais un large sourire silencieux s'étendit sur son visage carré. Sans se presser et sans quitter des yeux le couple enlacé, il entra, se versa une rasade de vin qu'il avala d'un trait. Puis, après avoir enjoint d'un geste autoritaire aux écuyers d'avoir à rester dehors, il commença sans se presser, à ôter lui-même les différentes pièces de son armure. Il en était à la cubitière droite quand Arnaud, levant légèrement la tête, l'aperçut... et lâcha si brusquement Catherine qu'elle dut se raccrocher à son épaule pour ne pas tomber.

— Tu ne pouvais pas dire que tu étais là ?

— Je m'en serais voulu de vous déranger, riposta Xaintrailles. Ne vous gênez surtout pas pour moi ! J'achève de m'éplucher et je sors...

Tout en parlant, il continuait d'ôter les pièces d'acier. Il en était maintenant aux cuissards, plus avancé en cela que son ami qui avait toujours les siens. Catherine, nichée contre la poitrine d'Arnaud, le regardait faire en souriant. Elle n'éprouvait aucune honte, ni même aucune gêne d'avoir été surprise ainsi dans les bras de l'homme qu'elle aimait. Arnaud était à elle, elle était à Arnaud, l'entrée même de Garin n'eût rien changé ! Le jeune homme avait passé un bras autour d'elle, comme s'il avait peur qu'elle lui échappât, mais il continuait à surveiller le déshabillage de Xaintrailles.

— Rebecque ? interrogea-t-il. Qu'est-ce que tu en as fait ?

— Il aura du mal à s'asseoir pendant un moment, et il doit avoir une énorme bosse au crâne, mais il est entier.

— Tu lui as laissé la vie ?

— Parbleu ! Il ne méritait pas mieux, ce jeune blanc-bec ! Si tu l'avais vu : il tenait sa hache comme un cierge d'église. Ma parole, j'en étais tout attendri...

Xaintrailles avait fini d'ôter sa carapace. En chemise et chausses collantes, il procédait à une rapide remise à neuf avec un parfum dont il versait de généreuses ondées sur ses cheveux roux. Puis il prit dans un coffre un pourpoint court, en velours vert brodé d'argent, chaussa d'interminables poulaines de même tissu. Ceci fait, il adressa à Catherine un profond et cérémonieux salut !

— Je me jette à vos genoux, trop belle dame ! Et je m'en vais au-dehors pleurer ma mauvaise étoile... et votre manque de goût. En même temps, je referai connaissance avec le bon vin de Beaune. Ces sacrés Bourguignons ont au moins cela de bon : leurs vins !

Il sortit, splendide, majestueux et soupirant à fendre l'âme. Arnaud se mit à rire et Catherine avec lui. L'immense bonheur qu'elle éprouvait à cet instant, lui rendait cher chacun des êtres et des choses qui entouraient son bien-aimé. Xaintrailles aux cheveux rouges lui plaisait. Pour un peu elle eût éprouvé de l'affection pour lui...

Mais Arnaud, maintenant, revenait à elle. Doucement il la fit asseoir sur le lit de camp, prit entre ses deux mains le ravissant visage ému pour mieux le contempler. Il se pencha vers lui.

— Comment as-tu deviné que je t'appelais, mur- mura-t-il, que j'avais désespérément besoin de toi ? Tout à l'heure, quand la mort était si près de moi, j'ai eu envie de bondir dans cette tribune et de te voler un baiser pour, au moins, quitter ce monde avec le goût de tes lèvres...

Il l'embrassait à nouveau, à petits coups rapides et doux qui couvraient son visage. Catherine le regardait avec adoration.

— Tu ne m'avais donc pas oubliée ? demanda-t-elle.

Oubliée ? Oh non ! Je te maudissais, je te haïssais... ou du moins j'essayais, mais t'oublier ? Quel homme, ayant tenu dans ses bras un instant la beauté même, parviendrait à l'oublier ? Tu ne sauras jamais combien de fois j'ai rêvé de toi, combien de fois je t'ai serrée contre moi, je t'ai caressée, je t'ai aimée... Seulement, ajouta-t-il avec un soupir, ce n'était jamais qu'un rêve et il fallait toujours en venir au réveil.

— Il n'y aura pas de réveil maintenant, s'écria Catherine passionnément puisque tu tiens la réalité entre tes mains et que tu sais que je t'appartiens déjà...

Il ne répondit pas, sourit seulement et la jeune femme ne résista pas à l'envie de poser un baiser sur ce sourire. Personne ne souriait comme lui, avec cette jeunesse, cette chaleur aussi. Ses dents éblouissantes mettaient une lumière sur la peau brune de son visage.

Arnaud s'était levé soudain.

— Laisse-moi faire, murmura-t-il.

Avec des gestes adroits, il ôtait une à une les épingles qui maintenaient le hennin de Catherine, ôtait le fragile édifice de satin et de dentelles et le déposait auprès de son casque. Puis il libéra les cheveux de la jeune femme qui s'étalèrent en masse dorée, somptueuse sur ses épaules.

— Quelle merveille ! s'extasia-t-il, les mains noyées dans le flot d'or vivant. Une autre femme eut- elle jamais pareille parure...

Il était revenu près d'elle et l'enfermait à nouveau dans ses bras, cherchant ses lèvres, son cou, sa gorge. Le lourd et magnifique collier d'améthystes pourpres le gênait. Il l'ôta, le jetant à terre comme une chose sans valeur puis s'attaqua à la ceinture orfévrée de la robe. Mais brusquement Xaintrailles reparut. Il ne souriait plus.

— Encore toi ? s'écria Arnaud, furieux d'être dérangé. Mais qu'est-ce que tu veux à la fin ?

— Pardonnez-moi, mais je crois que le moment est mal venu pour les jeux de l'amour. Il y a quelque chose qui ne va pas, Arnaud.

— Quoi ?

Les Écossais ont disparu. Il n'y a plus un seul des nôtres autour de cette tente... ni sur la lice, d'ailleurs !

Arnaud se releva d'un bond, malgré Catherine qui tentait de le ramener près d'elle. La sensibilité à vif de la jeune femme lui faisait sentir qu'il se passait quelque chose. Il y avait une menace sur son amour, elle en avait le pressentiment, aigu comme une douleur physique.

— Si c'est une plaisanterie... commença le jeune homme.

— Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ?

C'était vrai. Xaintrailles était pâle et l'inquiétude se lisait sur son visage. Mais Arnaud, tout au désir de se débarrasser de lui au plus vite haussa les épaules.

— Ils sont à boire avec les gens de Bourgogne. Tu n'imagines tout de même pas qu'ils seraient partis sans nous ?

— Je n'imagine rien, je constate. Nos gens ne sont plus là eux non plus...

À regret, Arnaud se dirigeait déjà vers la porte, mais avant qu'il l'eût atteinte, la draperie se souleva sous la main d'un homme à la mine arrogante qui resta debout sur le seuil. Derrière lui, Catherine put voir briller les armes et les cuirasses d'une troupe de soldats.

Le nouveau venu était jeune, une trentaine d'années peut-être et portait de magnifiques armes damasquinées d'or, une cotte de brocart rouge, mais il déplut à Catherine. Elle se souvenait l'avoir déjà vu dans l'entourage du duc, sans pourtant y attacher la moindre importance. Elle n'aimait pas sa bouche mince, serrée au-dessus d'un menton volontaire et qui, dans le sourire, ne s'entrouvrait jamais. Un sourire comme en ce moment, à la fois triomphant et cruel. Quant aux yeux, à fleur de tête, ils étaient atones à force de froideur. Mais nul n'ignorait, en Bourgogne, quel impitoyable seigneur était Jean de Luxembourg, général en chef des armées bourguignonnes. Pour le moment, il regardait les deux chevaliers avec l'expression du chat qui s'apprête à croquer des souris.

Mais, si inquiétante que fût son expression, elle ne sembla émouvoir ni Arnaud ni Xaintrailles. Celui-ci, de sa voix goguenarde, apostrophait le Bourguignon :

— Le seigneur de Luxembourg ? hé, qu'est-ce qui nous vaut l'honneur ?

Luxembourg quitta sa pose nonchalante et s'avança de quelques pas, suivi de ses hommes. L'un après l'autre, ceux-ci franchissaient la porte et se postaient dans la tente, armes menaçantes, cernant les deux hommes et la jeune femme sur qui glissa le regard du chef.