— Ce serait merveilleux, fit machinalement Catherine qui s'en moquait éperdument.
Toute son attention était centrée sur Beaumont. Il proclamait, dans le silence qui avait suivi l'appel des trompettes, les termes et clauses du combat. Depuis vingt-quatre heures, les hérauts des deux partis parcouraient la ville en répétant, à chaque carrefour, ces mêmes clauses. Catherine les savait par cœur. Mentalement, elle récitait en même temps que Beaumont : « ... les armes choisies sont la lance et la hache d'armes. Il sera couru six lances de part et d'autre... » Les mots frappaient, sans entrer, son oreille et sa mémoire. De tout son cœur, tandis que s'achevait la proclamation, Catherine adressait une fervente prière à la petite vierge noire de Dijon, à Notre-Dame-de- Bon-Espoir...
« Protégez-le, implorait-elle fiévreusement, protégez-le, douce mère du Sauveur ! Faites que nul mal ne lui advienne. Qu'il vive, surtout, qu'il vive... même si je devais le perdre à jamais ! Qu'au moins je puisse penser qu'il respire quelque part, sous le même ciel que moi. Sauvez-le-moi, Notre-Dame, sauvez-le !... »
Puis, d'un coup, sa gorge se sécha. À l'appel du héraut, le bâtard de Vendôme, à cheval et armé de toutes pièces, était arrivé au petit trot et se rangeait devant le duc. Avec terreur, Catherine regarda le gigantesque chevalier, ses armes d'acier bleu, son cheval roux disparaissant sous la cotte de soie et le caparaçon pourpre. Sur son casque, entre deux cornes de taureau s'érigeait un lion d'or, son emblème. Il avait l'air d'un mur rouge et gris ! Il était hallucinant !
Catherine, fascinée, ne pouvait en détacher ses yeux mais un cri de surprise, sorti de mille poitrines, la fit sursauter.
— Oh ! fit Saint-Rémy à la fois admiratif et scandalisé, quelle audace !... ou quelle faveur insigne !...
Ermengarde était restée sans voix. Quant à Catherine, elle vit, comme dans un rêve, Arnaud sortir à cheval et tout armé de son pavillon. Au pas lent de son destrier noir, il s'avança jusqu'à la tribune ducale dans un silence impressionnant. Le gigantesque Lionel de Vendôme le regardait approcher avec une insolite expression de respect. C'est que celui qui s'avançait n'était plus le chevalier à l'épervier de l'autre soir. Par faveur insigne, sans doute, comme le disait Saint-Rémy, Arnaud de Montsalvy portait les armes du Roi de France !
Par-dessus son armure, il portait une cotte de soie bleue fleurdelisée d'or, assortie à la housse qui enveloppait le cheval jusqu'aux sabots.
Bleus et or étaient les lambrequins de cuir découpés qui tombaient du casque et protégeaient la nuque. Sur le heaume, enfin, l'épervier noir et la couronne comtale avaient fait place à une haute fleur de lys d'or à chaque pointe de laquelle brillait un gros saphir. Le cheval, lui aussi, portait, sur la tête, la fleur de lys. Une seule chose indiquait qu'il ne s'agissait pas là du Roi en personne : autour du casque, la couronne royale avait été remplacée par un simple tortil bleu et or. Ventaille relevée, laissant voir son visage immobile, Arnaud s'avançait sous les armes royales, splendide image de chevalerie, éclatant symbole féodal qui forçait le respect.
— Il est magnifique ! fit auprès de Catherine la voix enrouée d'Ermengarde. C'est l'Archange Saint- Michel en personne !
Saint-Rémy, lui, hocha la tête avec un peu de tristesse et de scepticisme :
— Il serait à souhaiter qu'il le fût vraiment ! Les fleurs de lys ne doivent point mordre la poussière où le Roi est déshonoré ! Et Monseigneur est blême !
C'était vrai. Se tournant vers Philippe, Catherine vit qu'il avait l'air d'un spectre. Entre le noir du chaperon et celui du pourpoint, le visage allongé était gris avec des reflets verdâtres. Les dents serrées, il regardait venir cette admirable image d'un souverain qu'il voulait renier. Ses yeux gris qui ne cillaient pas, se fixaient surtout sur la fleur de lys du heaume, réplique exacte de celle qu'il portait lui-même à son propre casque lorsqu'il revêtait l'armure. Le reproche était sanglant pour ce prince Valois qui recevait l'Anglais. Mais il lui fallait se dominer.
Avec ensemble, les deux chevaliers, côte à côte mais séparés par les couloirs de cordes, abaissaient leur lance vers la tribune. Catherine tremblait de tous ses membres et serrait ses mains l'une contre l'autre à les meurtrir en un geste qui lui était familier quand elle était émue.
Elle vit, à quelques places de Philippe, une belle jeune femme, somptueusement vêtue, se pencher et attacher une écharpe rose brodée d'or à la lance du bâtard après avoir adressé un sourire triomphant au Duc. Jean de Saint-Rémy chuchota :
— La dame de Presles ! La plus récente maîtresse de Monseigneur!
Elle montre ainsi les vœux qu'elle forme pour la cause de son amant, en donnant ses couleurs à son champion. Elle a donné un fils à Philippe et se croit déjà duchesse !
Catherine eut donné tout au monde pour pouvoir accrocher, elle aussi, à la lance d'Arnaud, le léger voile de mousseline qu'elle avait entre les mains. Mais, dans la grande loge, quelque chose se passait. La princesse Marguerite s'était levée et, tournée vers Arthur de Richemont, demandait :
— Me permettez-vous, Monseigneur ?
Sa voix claire fut entendue de tous. Richemont inclina la tête avec un sourire un peu amusé qui plissa son visage couturé. Les larmes aux yeux, car elle se souvenait des prières douloureuses de la princesse à l'hôtel Saint-Pol, Catherine vit Marguerite se pencher et, avec un sourire ému, attacher son voile, du même bleu que les caparaçons du chevalier à la lance du champion royal.
— Messire-Dieu vous donne bon courage, Arnaud de Montsalvy!
Votre frère était mon ami et votre cause est noble ! Je prierai pour vous !
Sous l'armure, Arnaud s'inclina presque à toucher le cou de son cheval :
— Grand merci, gracieuse dame ! Je me battrai donc également pour l'amour de vous et du vaillant capitaine qui va être votre heureux époux. J'en suis fier et mourrai plutôt que vous décevoir !
Dieu vous donne bonheur aussi grand que votre noble cœur !
Le visage de Philippe de Bourgogne avait frémi. En un instant il eut dix ans de plus. Sans regarder son frère, Marguerite regagna sa place. Maintenant les deux adversaires se tournaient le dos et rejoignaient une extrémité de la lice où leurs écuyers préparaient des lances. Lances de frêne et de fer à la pointe aiguë et non lances courtoises de bois léger. Près de l'écuyer d'Arnaud, Catherine reconnut la tignasse rousse de Xaintrailles qui devait rencontrer ensuite le sire de Rebecque, second de Vendôme. A nouveau les trompettes sonnèrent. Puis, d'une voix forte, le héraut Beaumont cria:
— Coupez cordes et heurtez bataille quand vous voudrez !
Sous le couteau des poursuivants, les cordes tombèrent à terre. La lice était libre, le combat commençait. Lance en arrêt, l'écu au coude, les deux combattants s'élancèrent l'un vers l'autre.
Un instant, Catherine ferma les yeux Elle avait l'impression que le lourd galop des chevaux chargés de fer, sous lequel résonnait la terre durcie, passait sur son propre cœur. Dans la tribune, chacun retenait son souffle. La main d'Ermengarde se posa, impérieuse, sur celles de la jeune femme.
— Regardez donc ! Le spectacle en vaut la peine et une noble dame doit savoir tout regarder en face. (Puis, plus bas :) Regardez morbleu !
Votre mari a les yeux fixés sur vous.
Catherine ouvrit les yeux aussitôt.
Il y eut un choc violent, un cri énorme jaillit de toutes les poitrines.
Les lances avaient frappé juste le centre des boucliers. Le coup avait été violent. Les deux adversaires avaient plié sur leur selle mais n'avaient vidé les étriers ni l'un ni l'autre. Au petit trot, ils repartaient déjà vers les bouts de la lice pour prendre des lances neuves aux mains des écuyers.
— Je crois que nous allons voir un très beau combat, fit tranquillement Saint-Rémy de sa voix affectée. Ce coup était remarquable !
Catherine le regarda de travers. Cet enthousiasme sportif la choquait car il lui paraissait peu de mise là où il s'agissait de vies humaines. Elle chercha à le blesser :
— Comment se fait-il que, né à Abbeville, vous ne soyez pas au roi de France ? lui lança-t-elle dans une intention nettement provocatrice.
Mais il ne se formalisa pas.
J'y étais, fit-il tranquillement. Mais la cour d'Ysabeau est pourrie et l'on ne sait si celui qui se dit Charles VII est vrai fils de France. Je préfère le duc de Bourgogne.
— Cependant, vous semblez faire des vœux pour Arnaud de Montsalvy ?
— Je l'aime beaucoup. S'il était Charles VII, je n'aurais pas la joie d'être auprès de vous car je serais auprès de lui.
— Le fait qu'il serve le Roi devrait vous suffire ! fit Catherine sévèrement ; mais Ermengarde lui fit signe de se taire.
Les deux chevaliers fonçaient à nouveau l'un vers l'autre avec une ardeur accrue. Trop d'ardeur, peut- être, car, cette fois, il ne se passa rien. Le cheval du bâtard fit un écart au moment de croiser le destrier d'Arnaud. Les lances dévièrent et les cavaliers, sur leur élan, coururent encore quelques toises avant de faire volte-face et de regagner leurs camps. En revenant vers son pavillon, Arnaud avait relevé un instant la ventaille de son casque pour respirer mieux. Tandis qu'il défilait au petit trot devant les tribunes, Catherine accrocha son regard. Elle vit se crisper fugitivement le beau visage dur du jeune homme. Alors, de tout son cœur, elle lui sourit. L'amour à cette minute illumina son visage avec tant de force qu'Arnaud tressaillit. Il baissa la tête, fit mine de resserrer à son bras l'écharpe bleue qu'il y avait nouée. Son arrêt devant la tribune avait été minime, mais il avait inondé Catherine d'une joie nouvelle. Pour une fois, en croisant le sien, le regard d'Arnaud n'était pas dédaigneux. Il y avait dedans une chaleur qu'elle avait désespéré d'y revoir un jour. Mais la minute précieuse était déjà écoulée. Le combat reprenait le chevalier dans son cercle infernal.
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