Arrachant son gantelet droit, il le jeta brutalement aux pieds de Philippe qui bondit, blême soudain de colère. L'assistance gronda.
— Comment osez-vous ? Et qui êtes-vous ? Gardes... Démasquez cet homme ! aboya Philippe blanc de rage.
— Inutile !...
Sans se presser le chevalier portait les mains à son casque. Sans savoir pourquoi, le cœur de Catherine s'était mis à battre à tout rompre. Le sang, lentement, désertait son visage, ses mains. Une angoisse montait... Elle atteignit sa gorge, éclata dans un cri, vite étouffé sous les deux mains de la jeune femme. Le chevalier venait d'ôter son heaume. C'était Arnaud de Montsalvy.
Hautain et méprisant, il se tenait droit au pied du trône, le casque à l'épervier logé sous son bras gauche. Son regard sombre monta audacieusement jusqu'à celui de Philippe, s'y accrocha.
— Moi, Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie et capitaine du roi Charles, septième du nom, que Dieu veuille garder, je suis venu vers toi, Duc de Bourgogne, pour te porter mon gage de bataille. Comme traître et félon je te défie en champ clos, au jour et à l'heure qui te plairont et avec les armes de ton choix. Je réclame le combat à outrance...
Un véritable rugissement accueillit ce discours que la voix sonore d'Arnaud avait envoyé aux quatre coins de la salle. Un cercle menaçant se formait déjà derrière le jeune homme. Des seigneurs tiraient de leurs fourreaux les dagues légères qu'ils portaient et qui eussent été bien inefficaces contre une armure de bataille. Mais le cœur de Catherine défaillit de peur. Pourtant, d'un geste de sa main levée, Philippe de Bourgogne avait fait taire ses courtisans. La colère, peu à peu, s'effaçait de son visage, laissant place à la curiosité. Il se rassit, se pencha en avant.
— Tu ne manques pas d'audace, seigneur de Montsalvy. Pourquoi dis-tu que je suis traître et félon ? Pourquoi ce défi ?
Arrogant comme un coq de combat, Arnaud haussa les épaules.
— La réponse à ces questions est inscrite sur les armes de ton principal invité, seigneur Philippe de Valois. C'est la rose rouge des Lancastre que je vois ici, c'est l'Anglais que tu traites en frère, à qui tu donnes ta sœur. Et tu me demandes en quoi tu trahis ton pays, prince français qui reçoit l'ennemi sous son toit ?...
— Je n'ai pas à discuter ma politique avec le premier venu.
— Il ne s'agit pas de politique, mais d'honneur. Tu es vassal du roi de France et tu le sais bien ! Je t'ai lancé un défi, le relèves-tu ou bien dois-je de surcroît te traiter de lâche ?
Le jeune homme se baissait déjà pour reprendre son gantelet. Un geste du Duc l'arrêta.
— Laisse !... le gant est jeté, tu n'as plus loisir de le reprendre.
Un mauvais sourire fit étinceler un instant les dents blanches d'Arnaud. Mais le Duc poursuivait :
— Pourtant, un prince régnant ne peut se mesurer en champ clos avec un simple chevalier. Notre champion relèvera donc le gage lancé.
Un éclat de rire insolent lui coupa la parole. Catherine vit se crisper les doigts de Philippe sur les bras de son siège. Il se leva.
— Sais-tu que je pourrais te faire saisir par mes gens,-jeter en quelque basse-fosse...
Arnaud renonça soudain à tutoyer le duc :
— Vous pourriez aussi, seigneur duc, m'opposer dans le champ tous vos escadrons. Mais ce ne serait pas non plus vous conduire en chevalier. Sur le champ de mort d'Azincourt, où toute la noblesse de France tint à honneur de rompre les lances, sauf vous et votre noble père, plus d'un prince croisa l'épée avec plus simple gentilhomme que moi.
La voix de Philippe atteignit alors, sous l'effet de la colère, un diapason aigu qu'on ne lui avait que rarement entendu et qui trahissait sa fureur mieux que ses paroles.
— Nul n'ignore combien grands furent nos regrets de n'avoir pu participer à cette glorieuse et désastreuse journée.
— N'importe qui peut en dire autant, huit ans après ! fit Arnaud goguenard. Moi j'y étais, seigneur duc, c'est peut-être ce qui me donne le droit de parler si haut. N'importe ! Vous préférez boire, danser et fraterniser avec l'ennemi, libre à vous. Je reprends donc mon gage et...
— Moi je le relève...
Un chevalier gigantesque, portant un extravagant costume mi-partie rouge et bleu qui moulait strictement un torse épais comme celui d'un ours s'était avancé. Courbé rapidement avec une agilité dont pareille masse semblait incapable, il ramassa le gantelet. Puis se tourna vers le chevalier noir.
Tu souhaitais t'affronter à un prince, seigneur de la Châtaigneraie, tu peux te contenter du sang de Saint Louis, même frappé de bâtardise...
Je suis Lionel de Bourbon, bâtard de Vendôme et je te dis, moi, que tu en as menti par la gorge...
Catherine se soutenait à peine. Sur le point de défaillir, elle chercha instinctivement un appui. Elle rencontra le bras solide de dame Ermengarde qui se tenait près d'elle. Prunelles dilatées, narines battantes, la Grande Maîtresse piaffait comme un cheval de bataille qui entend la trompette. La scène jouée sous ses yeux, accaparait toute son attention et la ravissait visiblement. Elle couvait d'un regard brillant la silhouette vigoureuse et noire du capitaine de Montsalvy et une véritable houle soulevait sa poitrine généreuse... Le chevalier cependant contemplait avec un sang-froid absolu la gigantesque silhouette de son adversaire. L'examen dut le satisfaire car il haussa ses larges épaules vêtues d'acier.
— Va pour le sang du bon roi Louis, bien que je m'étonne de le voir aventuré dans une mauvaise cause ! J'aurai donc l'honneur, seigneur bâtard, de te couper les oreilles, à défaut de celles de ton maître. Mais retiens bien ceci : c'est au jugement de Dieu que je t'appelle. Tu as choisi de défendre la cause de Philippe de Bourgogne comme je l'attaque moi, au nom de mon maître. Il ne s'agit pas ici de rompre des lances courtoises en l'honneur des dames. Nous combattrons à outrance, jusqu'à la mort de l'un de nous, ou jusqu'à ce qu'il crie merci.
Catherine poussa un sourd gémissement que Garin entendit. Il tourna vers sa femme un regard oblique, mais ne fit aucun commentaire. Dame Ermengarde aussi avait entendu. Elle haussa les épaules.
— Ne soyez pas si sensible, ma chère ! Le jugement de Dieu est une chose passionnante. Et j'espère bien que Dieu rendra justice à ce jeune chevalier. Il est magnifique, sur ma parole !... Comment s'appelle- t-il ? Montsalvy ? Un vieux nom je crois, fort bien porté !
Ces paroles de sympathie réconfortèrent un peu Catherine. Dans le concert de haine qui entourait Arnaud, elles étaient les quelques notes amicales qui rassurent. Une autre voix pourtant, s'élevait pour le jeune homme. Le duc venait de lui demander sèchement s'il avait un second pour la rencontre.
— Par la mordieu, s'écria Arthur de Richemont. S'il n'en a pas, je suis prêt à lui offrir mon épée. C'est un vaillant compagnon que j'ai vu combattre à Azincourt. N'y voyez pas offense, Monseigneur mon frère, mais seulement ancienne fraternité d'armes.
— Et je vous approuverais, Monseigneur, dit Marguerite, sa fiancée, d'une voix émue. Ce chevalier est le jeune frère d'un écuyer que j'ai eu jadis en ma maison de Guyenne, un gentil seigneur qui fut vilainement mis à mal par la populace parisienne, lors de ces affreux jours de la Caboche. J'ai imploré pour sa vie et mon père me l'a refusée. Si vous combattez pour Arnaud de Montsalvy, c'est doublement, mon cher seigneur, que vous porterez mes couleurs. Je n'approuve pas mon frère.
Richemont, attendri, prit la main de sa blonde fiancée et la baisa tendrement.
— Douce dame, en vous choisissant, mon cœur ne s'était pas trompé.
Mais, pendant ce temps, Arnaud, après avoir salué le Breton, avait désigné fièrement un autre chevalier, armé aussi de toutes pièces, qui était apparu au seuil des portes.
— Le sire de Xaintrailles soutiendra ma querelle si besoin est.
L'arrivant, la tête découverte, offrait une tignasse rousse comme une carotte et un sourire moqueur. Il était, lui aussi, grand et solidement charpenté. Nommé, il avança de quelques pas, salua.
Philippe de Bourgogne, avec effort, s'était levé de son siège, gardant cependant une main appuyée à l'accoudoir.
— Messires, dit-il, s'il plaît à Dieu et pour ne point souiller la terre de notre seigneur l'évêque d'Amiens, c'est à Arras, chez moi, et dans trois jours que se déroulera votre rencontre que Dieu jugera. Ma parole vous est donnée que vous y serez reçus courtoisement et en sûreté. Et maintenant, puisque ce soir est soir de fête, oublions la bataille à venir et joignez-vous à mes hôtes...
L'orgueil était enfin venu au secours de Philippe. Il avait repris tout empire sur lui-même et nul ne pouvait plus deviner les sentiments tumultueux qui l'agitaient après cette insulte publique. Au plus haut point il avait le sens de sa dignité et de son rang de prince souverain.
De plus, confiant dans la force formidable du bâtard de Vendôme, il pouvait, à peu de frais, s'offrir le luxe de se montrer magnanime et d'exercer, même envers un ennemi juré, les lois de l'hospitalité.
Mais froidement Arnaud de Montsalvy recoiffait son casque dont, d'un coup de doigt sec, il avait relevé la visière. A nouveau son regard noir défia les yeux gris de Philippe.
— Grand merci seigneur duc ! Mais en ce qui me concerne, mes ennemis demeurent mes ennemis et je compte ceux de mon prince au premier rang de ceux- ci. Je ne bois qu'avec mes amis. Nous nous retrouverons dans trois jours, au champ clos... Pour l'heure, nous rentrons à Guise. Place !
Inclinant brièvement la tête, le chevalier tourna les talons et marcha lentement vers la porte. Mais avant qu'il ne se fût retourné, son regard avait glissé. Un instant il s'était fixé sur Catherine et la jeune femme, au bord des larmes, avait vu un éclair traverser leurs noires prunelles.
"Catherine Il suffit d’un amour Tome 1" отзывы
Отзывы читателей о книге "Catherine Il suffit d’un amour Tome 1". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Catherine Il suffit d’un amour Tome 1" друзьям в соцсетях.