Enfin, elle revint vers Catherine qui, assise sur un tabouret, l'épiait avec angoisse en berçant Michel machinalement.
— Qu'en pensez-vous ? demanda Gauthier.
— Que c'est vous qui avez raison, mon garçon. Le maître n'est pas mort. Ce n'est pas possible.
— Comment aurait-il pu échapper ? fit Catherine.
— Je n'en sais rien. Mais ce n'est pas un fantôme que tu as vu. Les fantômes ne portent pas de masque. Je les connais.
— Je veux bien te croire, soupira Catherine. Mais alors, dis-moi ce que je dois faire ?
— Attendre quelques jours, comme le disait Gauthier, pour donner à Fortunat le temps de revenir. Sinon...
— Sinon?
— Nous retournerons à Calves, avec Saturnin et quelques hommes solides. Nous fouillerons les ruines jusqu'à ce que nous ayons une certitude. Mais, pour moi, j'ai déjà cette certitude : il n'y a pas de cadavre à Calves... du moins pas celui que tu crois...
Cette fois, un peu d'espoir revint dans le cœur de Catherine. Si forts étaient les liens qui l'unissaient à Sara qu'elle avait fini par voir en elle, sinon une sorte d'oracle, du moins un esprit qui ne se trompait guère et qui, même, avait parfois d'étranges clairvoyances... Elle ne répondit rien, mais prit la main de sa vieille amie et la posa contre sa joue, humblement, comme une enfant qui veut se faire pardonner. Le regard de Sara se chargea de tendresse en se posant sur la tête blonde inclinée contre elle. Dans le soir tombant, la cloche du couvent sonna pour complies.
— Les moines vont se rendre à la chapelle, dit Sara. Tu devrais, toi aussi, aller prier.
Catherine hocha la tête.
— Je n'en ai plus le désir, Sara. À quoi bon prier ? Dieu ne se souvient de moi que pour me frapper.
— Tu es injuste. Il t'a donné les fruits amers de la vengeance, mais aussi ceux, plus doux, du triomphe. Tu as rendu à Montsalvy le droit d'exister.
— Mais à quel prix !
— A un prix que tu ignores encore... à moins que tu ne regrettes celui que tu as laissé à Chinon ? ajouta intentionnellement Sara.
Elle voulait voir comment réagirait Catherine à ce rappel de l'homme à cause de qui toutes deux s'étaient séparées. Mais elle fut immédiatement rassurée de ce côté-là.
Catherine haussa les épaules avec impatience.
— Qui veux-tu que je regrette quand j'ignore ce qu'il est advenu d'Arnaud ?
Il n'y avait rien à ajouter à cela.
La fièvre qui brûlait Isabelle de Montsalvy semblait s'atténuer. La vieille dame ne délirait plus, elle toussait moins, mais elle s'affaiblissait peu à peu, comme une lampe dont l'huile baisse.
— Nous ne la sauverons pas, disait Sara qui se relayait avec Catherine à son chevet pour permettre à Donatienne de prendre un peu de repos et de s'occuper de Saturnin, bien délaissé par elle depuis le début de la maladie.
— On dirait, remarquait à son tour Catherine, qu'elle n'a plus la force de vivre.
Toute la pharmacopée du couvent, tout le savoir du mire d'Aurillac, qui était revenu la visiter, étaient impuissants à retenir le flux vital dans ce corps épuisé. Tout doucement, Isabelle s'éteignait. Elle demeurait maintenant, durant des heures, étendue dans son lit, les mains jointes sur son chapelet ou sur un livre d'heures qu'elle ne lisait pas, silencieuse et immobile. Seules, les lèvres qui remuaient doucement montraient qu'elle priait.
Un soir, trois jours après le voyage de Catherine et de Gauthier à Calves, la vieille dame souleva ses paupières, regarda Catherine qui se tenait près d'elle, assise sur un escabeau.
— C'est pour vous que je prie, mon enfant, dit-elle doucement, pour Michel... et aussi pour lui, pour mon fils. Ne l'abandonnez pas dans sa misère, Catherine. Lorsque je ne serai plus là, veillez sur lui de loin. C'est un si affreux malheur que le sien.
Catherine noua ses doigts et les serra, puis elle toussota pour empêcher sa voix de trembler. Isabelle ne savait rien du drame de Calves qu'on lui avait soigneusement caché, mais comme il était difficile de jouer la comédie, de feindre l'apaisante et nécessaire sérénité quand son âme était ravagée d'angoisse ! Chaque minute des trois jours qui venaient de s'écouler avait été pour Catherine une minute de torture. Confiante en ce que lui avait affirmé Sara, elle attendait le retour de Fortunat, et ce retour ne s'était pas encore produit... Mais elle parvint à sourire, tendrement, au vieux visage anxieux.
Soyez sans crainte, Mère. Jamais je ne m'éloignerai de lui. Je voudrais bâtir pour lui une demeure, non loin d'ici, où il pourrait vivre à l'écart des autres, mais d'une manière meilleure, plus conforme à ses goûts, à son rang... J'ai tant rêvé de l'arracher à cette horrible maladrerie.
Les yeux de la malade s'illuminèrent d'une joie intense. Sa main maigre se tendit pour étreindre celle de Catherine.
— Oh oui ! Faites cela. Enlevez-le de ce lieu de misère puisque nous sommes riches maintenant.
— Très riches, Mère, sourit Catherine en retenant ses larmes.
Montsalvy va renaître, plus beau, plus fort qu'avant... Frère Sébastien, l'architecte du couvent, a déjà commencé des plans pour le nouveau château tandis que Saturnin, dirigé par le Frère Placide, s'apprête à ouvrir une carrière du côté de la Truyère. Tout le village aura du travail, dès que les labours seront terminés. Bientôt, vous retrouverez une demeure digne de vous.
Isabelle hocha la tête, avec un mélancolique sourire. Son regard s'attardait à la main de Catherine où l'émeraude de la reine Yolande brillait comme un œil vert. Depuis qu'elle l'avait reçue Catherine n'avait plus quitté cette bague. Voyant que la vieille dame la regardait, elle l'ôta de son doigt, la passa à la main amaigrie, mais encore si belle, qui reposait sur le drap, une main dont la forme nette, presque masculine, rappelait celle d'Arnaud.
— Elle est le gage de l'amitié de Yolande d'Anjou envers notre famille. Voyez ses armes gravées sur la pierre. Gardez-la, mère, elle vous va si bien.
Isabelle contempla le joyau avec un sourire ravi, une joie presque enfantine, puis tourna vers Catherine un regard chargé d'affection.
— Je ne l'accepte que comme un prêt... Bientôt, ma fille, je vous la rendrai. Si, si... Ne protestez pas. Je le sais et j'y suis prête. La mort ne m'effraie pas, au contraire... Elle m'emmènera bientôt auprès de ceux que pleurés toute ma vie, mon cher époux, mon petit Michel que vous aviez voulu sauver. Et c'est très bien ainsi.
Elle demeura un moment silencieuse, admirant l'émeraude qui mettait sur sa main une lumière d'eau profonde. Puis demanda :
— Et le fabuleux diamant noir ? Qu'est-il devenu ?
Le visage de Catherine se contracta légèrement.
— Je l'avais perdu et je l'ai retrouvé. Mais il avait encore fait bien du mal. J'ai juré qu'il n'en ferait plus.
— Comment cela ?
Bientôt, dans quelques jours, j'irai offrir le diamant maudit à la seule qui n'ait rien à redouter de sa puissance diabolique.
— Est-il vraiment si malfaisant ?
Catherine se leva, son regard s'évada de la petite chambre close.
Comme l'autre nuit, elle eut la vision de l'incendie qui avait ravagé Calves. Elle serra les dents pour ne pas crier de douleur puis murmura avec une intraduisible expression de haine et de terreur :
— Plus encore que vous ne croyez. Le mal... il n'a jamais cessé d'en faire. Il en fait encore, presque chaque jour que Dieu crée, mais je saurai bien lui arracher son pouvoir ! J'enchaînerai Satan une nouvelle fois aux pieds de Celle qui, un jour, écrasa le Serpent sous ses pieds nus. Au manteau de la Vierge Noire du Puy, le diamant noir deviendra impuissant.
Des larmes perlaient maintenant aux yeux d'Isabelle, mais une lumière y brillait.
— Vous nous étiez destinée, Catherine. D'instinct, vous retrouvez cette vieille tradition des châtelaines de Montsalvy qui, aux jours de guerre et de danger, s'en allaient au Puy implorer l'aide divine et offrir leurs plus beaux joyaux. Allez, ma fille, vous pensez en vraie Montsalvy.
Catherine ne répondit pas. Entre Isabelle et elle, il n'était plus besoin de mots. Le silence leur suffisait tellement ; désormais, elles savaient se comprendre. D'ailleurs, à cet instant même, l'abbé Bernard entrait chez la malade pour la visite que, chaque soir, il avait pris l'habitude de lui faire. Et Catherine ; après avoir baisé son anneau pastoral, se retira, les laissant seuls. Elle voulait rejoindre, dans la cuisine, Sara qui donnait son bain à Michel, mais, comme elle traversait la salle commune, elle vit accourir le Frère portier.
— Dame Catherine, dit-il, le vieux Saturnin vous prie de daigner vous rendre jusque chez lui. Il dit qu'il s'agit d'une chose importante.
En tant que bailli de Montsalvy, Saturnin était chargé de recruter des travailleurs pour la reconstruction du château. Pensant qu'il s'agissait de régler quelque problème d'embauche ou de paiement, Catherine jugea inutile de prévenir Sara de son absence.
— C'est bien, j'y vais, répondit-elle. Merci, Frère Eusèbe.
S'assurant, d'un coup d'œil rapide au petit miroir de sa chambre, que sa robe de futaine bleue était nette et sa haute coiffe de lin bien blanche, Catherine sortit du couvent et se dirigea vers la maison de Saturnin qui se trouvait dans la Grand'Rue, à quelques pas. Les paysans rentraient des champs en cette fin de journée, car on était en pleine moisson. Pour la première fois depuis des années, aucun ravage n'était venu empêcher le blé et l'avoine de pousser. On se hâtait de les mettre en bottes et de les rentrer.
Dans la rue, Catherine rencontra ses paysans en groupes joyeux, les visages cuits par le soleil sous les chapeaux de paille rejetés en arrière, les blouses ouvrant largement sur les poitrines suantes. Les femmes avaient retroussé leurs robes dans leurs ceintures et allaient, jambes nues, le râteau à faner ou la fourche sur l'épaule. Tous saluaient Catherine d'un sourire, d'un envol du chapeau ou d'une courte révérence et d'un joyeux « Le bonsoir, not'dame » qui lui faisaient chaud au cœur. Ces braves gens l'avaient adoptée spontanément, à cause de la souffrance partagée avec eux, à cause du souvenir d'Arnaud... Elle était vraiment chez elle à Montsalvy.
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