L'audience était terminée. Une dernière fois Catherine s'inclina.

— Adieu, Madame...

— Non, Catherine, sourit la Reine. Pas adieu, au revoir. Et que Dieu vous garde !

Si Catherine pensait en avoir terminé avec les adieux, elle se trompait. Comme elle débouchait dans la grande cour pour se rendre à la Chancellerie où l'on devait lui remettre les papiers de réhabilitation qu'elle n'avait pas encore fait chercher, elle tomba sur Bernard d'Armagnac qui faisait les cent pas, comme s'il attendait quelqu'un.

Elle ne l'avait pas revu depuis la scène du verger et la rencontre ne lui causait aucun plaisir. Elle essaya de passer en faisant mine de ne pas le voir, mais il se précipita vers elle.

— Je vous attendais, dit-il. On ne parle dans ce château que de votre départ et quand j'ai su que vous étiez chez la reine Yolande, j'ai pensé que vous ne tarderiez pas à sortir. Vous n'êtes pas femme à éterniser les adieux et elle non plus.

— Vous avez raison. Adieu, seigneur comte ! fit Catherine froidement.

Un sourire contrit plissa le visage intelligent du gentilhomme gascon.

— Hum ! Vous m'en voulez rudement à ce qu'il paraît ! Vous devez avoir raison. Mais c'est mon pardon que je viens demander, Catherine. L'autre nuit, j'ai vu rouge. J'aurais pu vous tuer tous les deux.

— Mais vous n'en avez rien fait. Croyez que je vous en suis bien reconnaissante.

Elle pensait que la dignité de son attitude allait confondre Cadet Bernard. A sa grande surprise, il n'en fut rien. Le Gascon éclata de rire.

— Sang du Christ ! Catherine, quittez cet air pincé. Cela ne vous va pas, croyez-moi !

— Qu'il m'aille ou non je n'en ai pas d'autre pour vous à ma disposition. Pensiez-vous que j'allais vous sauter au cou ?

— Vous devriez ! Après tout, je vous ai évité une rude sottise. Si vous aviez succombé aux entreprises de ce damoiseau, vous le regretteriez maintenant de tout votre cœur.

— Qu'en savez-vous ?

— Allons donc ! Brézé n'est pas mort de mon coup d'épée, loin de là. Si vous aviez tenu vraiment à lui, vous l'auriez rejoint la nuit même dans sa chambre. Or, vous n'en avez rien fait.

— J'y suis allée le lendemain.

— Et vous en êtes sortie les yeux rouges avec la mine décidée de quelqu'un qui a pris une grave décision. Vous voyez que je suis bien renseigné.

— Quelque chose me dit que vos espions vous volent. Ils ne vous ont pas tout dit, fit Catherine du bout des lèvres.

Mais, subitement, Cadet Bernard était redevenu grave.

Si, Catherine ! Vous avez rompu et le souvenir de votre époux vous a reprise. Sinon, pourquoi partez- vous ? Pourquoi Brézé a-t-il franchi, voici une heure, le pont-levis de ce château à la tête de ses lances ? Il s'en va aider Loré dont les Anglais ont attaqué la forteresse de Saint-Ceneri.

— Ah ! fit la jeune femme d'une toute petite voix, il est parti ?

— Oui. Il est parti. Parce que vous l'avez repoussé ! Je ne me suis pas trompé sur vous, Catherine, vous êtes bien telle qu'il vous avait choisie, le grand Montsalvy. C'est l'autre nuit que je me leurrais.

Voulez-vous que nous fassions la paix ? J'ai grand désir de redevenir votre ami.

Sa contrition, ses regrets étaient authentiques. Et Catherine ne savait pas garder rancune à qui reconnaissait ses fautes loyalement ; elle sourit brusquement, tendit ses deux mains au jeune homme.

— Je me trompais aussi. Oublions tout cela, Bernard... et venez à Montsalvy, quand vous retournerez à Lectoure. Vous y serez toujours le bienvenu. Plus tard, je vous confierai Michel quand il sera temps pour lui d'être page. Je crois que vous saurez en faire ce qu'Arnaud aurait voulu qu'il fût. Maintenant, dites-moi au revoir.

— Comptez sur moi ! Au revoir, belle Catherine.

Avant qu'elle ait pu s'en rendre compte, il l'empoignait par les épaules et lui planta sur les deux joues deux baisers retentissants, puis la lâchait.

— Je vais dire à Xaintrailles et à La Hire quel vaillant compagnon vous faites. Je voulais vous donner une escorte pour vous ramener chez vous. Mais il paraît que le Roi y a pourvu.

— Grand merci à lui, fit Catherine en riant. Et j'aime autant quelque chose de plus paisible que vos diables de Gascons. Pour les tenir il faut un chef et je ne suis pas Arnaud de Montsalvy, moi !

Cadet Bernard, qui déjà s'éloignait, s'arrêta, se retourna et, un instant, considéra Catherine. Puis, gravement :

— Je crois que si, dit-il.

L'aurore embrasait les toits de Chinon et l'eau calme de la Vienne quand, au matin suivant, Catherine franchit la herse de la tour de l'Horloge. Toutes les cloches de la ville .sonnaient l'Angélus et leur son montait dans l'air pur jusqu'au petit groupe de cavaliers qui sortait du château. L'escorte que le Roi avait mise à la disposition de Catherine était composée de Bretons, ainsi que l'attestaient les tabards mouchetés de queues d'hermine des soldats. C'était Tristan l'Hermite qui les commandait et quand, la veille, il était venu dire à Catherine qu'il l'accompagnerait jusqu'à Montsalvy avant de rejoindre le connétable de Richemont à Parthenay, elle en avait éprouvé une grande joie. Le Roi ne pouvait mieux choisir, pour la garder, que ce Flamand taciturne dont elle avait appris à apprécier la valeur. Il avait pour lui le sang-froid, l'astuce, le courage tranquille et le sens du gouvernement. Elle le lui avait dit.

— Vous irez loin, ami Tristan. Vous avez toutes les qualités d'un homme d'État.

Il s'était alors mis à rire.

— On me l'a déjà dit... et pas plus tard qu'hier. Savez-vous, dame Catherine, que notre Dauphin de dix ans veut bien s'intéresser à ma personne ? Il m'a promis de faire ma fortune lorsqu'il sera roi.

Apparemment, nos exploits contre La Trémoille l'ont impressionné.

Bien entendu, je n'accorderai pas trop de crédit à ce genre de promesses. Les princes, surtout si jeunes, n'ont guère de mémoire...

Mais Catherine avait secoué la tête. Elle se souvenait du regard investigateur, aigu jusqu'à en être insoutenable, du dauphin Louis. Un regard qui ne devait pas savoir oublier.

— Je crois, moi, qu'il se souviendra, dit-elle seulement.

Tristan, lui, s'était contenté de hocher la tête d'un air de doute. Et maintenant, il chevauchait tranquillement auprès d'elle, un peu tassé sur sa selle, en homme qui sait la longueur et la monotonie des chevauchées et qui a l'habitude de dormir à cheval. Son chaperon enfoncé sur ses yeux pour les garder des rayons du soleil levant, il se laissait aller au pas balancé du cheval.

Catherine avait repris le costume de garçon qu'elle portait en quittant Angers. Elle aimait s'habiller en homme car elle trouvait dans ces vêtements une plus grande liberté de mouvements en même temps qu'une sorte d'audace. Bien campée sur ses étriers, elle regardait la ville comme si elle la voyait pour la première fois. Elle y avait remporté la victoire qu'elle souhaitait et même une autre, inattendue celle-là, sur elle-même. Au moment de la quitter, Chinon lui devenait subitement chère.

Les bonnes gens commençaient leur journée. Les volets claquaient un peu partout, les boutiques s'ouvraient et les éventaires s'organisaient. Une grosse pluie, la veille, avait lavé de frais les petits pavés ronds. En arrivant au Grand Carroi, Catherine vit, près du puits, une fillette d'une quinzaine d'années qui, assise sur la margelle, arrangeait des bouquets de roses. Elles étaient si fraîches, ces roses... et elles rappelaient à Catherine un autre bouquet, celui qu'on lui avait jeté, un soir, par la fenêtre de maître Agnelet. Elle arrêta son cheval près de la bouquetière.

— Tes roses sont belles, dit-elle. Vends-moi un bouquet.

La petite tendit aussitôt la plus belle de ses touffes embaumées.

— C'est un sol, gentil seigneur, fit-elle avec un sourire et une révérence.

Mais, aussitôt, elle devint rouge comme une cerise et s'écria, joyeuse : « Oh ! merci, gentil seigneur ! » en recevant la pièce d'or que lui offrait Catherine en échange du bouquet.

Catherine remit son cheval en route, se dirigeant vers le pont fortifié qui enjambait la Vienne. Elle avait enfoui son visage dans les fleurs et, les yeux clos, en respirait le délicieux parfum. Tristan se mit à rire.

Ce sont sans doute les dernières roses que nous verrons avant longtemps. Elles ne poussent guère dans votre pauvre Auvergne. Ici, elles sont chez elles... La Touraine est leur domaine.

— Voilà pourquoi j'ai acheté celles-ci... Elles représentent pour moi ce doux pays de Loire, et quelques souvenirs... des souvenirs qui s'envoleront peut-être quand elles seront fanées.

La troupe armée franchit le pont, saluée par les soldats de garde qui reconnaissaient les armes du Connétable. La rivière passée, on mit les chevaux au galop. Catherine et son escorte disparurent dans un nuage de poussière.

Troisième partie

« Chemin de Saint-Jacques »

CHAPITRE XIV

Les hommes de Montsalvy

Il était plus de dix heures du soir et il faisait nuit lorsque Catherine, Tristan l'Hermite et leur escorte arrivèrent en vue de Montsalvy à la fin d'un exténuant voyage. Le doux temps d'été avait séché la boue des chemins, mais l'avait transformée en autant de poussière.

Heureusement, il avait aussi rendu possible les nuits à la belle étoile et les longues chevauchées. On avait emporté des vivres en suffisance et les arrêts dans les auberges avaient été rares. La plupart d'ailleurs n'avaient plus grand-chose à offrir.

A mesure que l'on avançait, l'impatience de Catherine semblait grandir en même temps que son humeur s'assombrissait. Elle parlait de moins en moins et chevauchait, des heures entières, les yeux rivés au chemin, droit devant elle, sans prononcer une parole, possédée d'une hâte fébrile. Tristan l'observait à la dérobée sans oser, il est vrai, poser de questions. Elle pressait l'allure autant qu'il était possible, soupirant avec une sorte de rage quand il fallait s'arrêter. Mais les chevaux avaient besoin de répit.