— Catherine ! gémit-il douloureusement.
— Vous ne pouvez pas comprendre, Pierre. Je n'ai jamais aimé que lui, jamais respiré que par lui, pour lui... Je suis la chair de sa chair et, quoi qu'il lui arrive, quelques ravages que puissent faire en lui le mal maudit, il demeurera toujours pour moi l'unique... le seul homme au monde. Ma vieille Sara, qui m'a quittée ce matin à cause de vous, ne s'était pas trompée. J'appartiens à Arnaud, à lui seul...
Tant qu'il me restera un souffle de vie, il en sera ainsi.
Il y eut un silence. Pierre s'était écarté d'elle et s'approchait de la fenêtre. Le soleil achevait de se coucher, la lumière dorée devenait peu à peu violette... Au- delà de la rivière, une trompe sonna, puis une autre auxquelles répondirent les aboiements d'une meute.
— Le Roi, fit Pierre machinalement. Il revient...
Sa voix avait un son fêlé qui fit tressaillir Catherine.
Elle se tourna vers lui. Il ne la regardait pas... Debout devant la fenêtre sur laquelle se découpait sa silhouette vigoureuse, il ne bougeait pas. La tête baissée, il paraissait réfléchir, mais soudain Catherine vit remuer ses épaules. Elle comprit qu'il pleurait...
Une profonde pitié s'empara d'elle. Lentement, elle vint vers Brézé, leva la main pour la poser sur l'épaule du jeune homme, mais n'osa pas.
— Pierre, murmura-t-elle, je voudrais que vous n'ayez pas de peine.
— Vous n'y pouvez rien, répondit-il durement.
De nouveau le silence s'appesantit entre eux puis, toujours sans se retourner, il demanda :
— Qu'allez-vous faire ?
— Repartir, répondit-elle sans hésiter. Repartir là- bas, leur dire à tous que je n'ai pas changé, que je suis toujours « sa » femme...
— Et ensuite ? fit-il amèrement, vous vous enfermerez dans vos montagnes pour attendre la mort ?
— Non... Ensuite, j'arracherai Arnaud à cette léproserie infâme où j'ai dû le laisser entrer, je l'emmènerai dans un endroit reculé, tranquille et je resterai avec lui jusqu'à ce que...
Un frisson d'horreur secoua Brézé. Il se retourna brusquement, montrant à la jeune femme un visage ravagé.
— Vous ne pouvez pas faire ça... Vous avez un fils, vous n'avez pas le droit de vous suicider, surtout de cette manière atroce...
— C'est la vie sans lui qui est un suicide... J'ai rempli mon rôle ici.
Les Montsalvy sont redevenus ce qu'ils n'auraient dû cesser d'être. La Trémoille est abattu... Maintenant, je peux songer à moi... à lui.
Sans faire le moindre bruit, elle marcha vers la porte, l'ouvrit. Le page attendait au-dehors, mais, au seuil, elle se retourna. Toujours debout devant la fenêtre, Pierre esquissa le geste de lui tendre les bras.
— Catherine, supplia-t-il... Revenez à moi !
Mais elle secoua la tête, lui sourit avec une sorte de tendresse.
— Non, Pierre... Oubliez-moi. C'est mieux ainsi...
Puis, comme si, malgré tout, elle craignait de se laisser attendrir, d'entendre encore cette voix qui avait su l'émouvoir si dangereusement, elle tourna les talons et descendit l'escalier en courant. Quand elle déboucha dans la cour, les chasseurs sonnant du cor à s'arracher la gorge passaient la voûte en trombe. Elle vit le Roi au milieu d'eux et, auprès de lui, la mince silhouette de Bernard d'Armagnac qui riait. D'un seul coup, le vaste enclos fut grouillant d'une vie chaude, colorée. Quelques dames accoururent, d'autres s'accoudèrent aux fenêtres, échangeant des plaisanteries avec les chasseurs. Des appels retentirent, des éclats de rire fusèrent. Mais, cette fois, Catherine n'eut pas envie de se mêler à eux. Arnaud l'avait reprise. Entre elle et ces gens, un fossé s'était creusé, trop profond pour qu'elle pût le franchir. Une seule main aurait pu la ramener dans ce monde dont, déjà, elle se sentait détachée. Et cette main n'avait plus le droit, ni la possibilité de le faire. Mais, au fond, c'était sans importance. Il lui fallait aller où était son destin et elle avait hâte, maintenant, de retourner vers les siens.
Le lendemain matin, Catherine fit ses adieux au Roi, après avoir obtenu, non sans peine, la permission de partir auprès de la reine Marie qui ne comprenait pas sa hâte de quitter la cour.
— Vous venez seulement d'arriver, ma chère, lui dit- elle. Etes-vous déjà lasse de nous ?
— Non, Madame... mais je languis de mon fils et je me dois à Montsalvy.
— Alors, allez. Mais revenez dès que cela vous sera possible avec l'enfant. Vous demeurez de mes dames d'honneur et le Dauphin aura bientôt besoin de pages.
Charles VII tint à peu près le même langage à la jeune femme, mais il ajouta :
— Les très jolies femmes sont rares et voilà que vous voulez partir ? Qu'a-t-elle de si attirant cette Auvergne que vous désirez tant la retrouver ?
— C'est un admirable pays, Sire, et vous l'aimeriez. Quant à ce qui m'attire là-bas, que Votre Majesté me pardonne de lui dire que ce sont d'abord mon fils et ensuite des ruines.
Un pli se forma sur le front du Roi, mais il s'effaça aussitôt sous un sourire :
Et vous vous sentez une âme de bâtisseuse ? A merveille, dame Catherine ! J'aime qu'une femme allie la décision, l'énergie à tant de beauté. Mais... que devient dans tout cela mon ami Pierre de Brézé ?
Comptez-vous l'emmener avec vous ? Je vous préviens que j'en ai grand besoin...
Catherine se raidit mais baissa les yeux pour tenter de dérober l'émotion qui venait. Elle était mal guérie encore du rêve un instant caressé. Le nom de Pierre était toujours un peu douloureux.
— Je ne l'emmène pas, Sire. Le seigneur de Brézé s'est montré pour moi un fidèle ami, un vrai chevalier. Mais il a sa vie comme j'ai la mienne. Le combat le rappelle et moi je dois relever ma maison.
Charles VII ne manquait pas de finesse. Au léger tremblement qui fit vibrer la voix de la jeune femme, il comprit qu'il s'était passé quelque chose et, du coup, n'insista pas pour la retenir davantage.
— Le temps arrange bien des choses, belle dame... J'ai cru, un moment, que nous aurions avant peu une fête d'accordailles, mais, à ce qu'il paraît, je me suis trompé. Pourtant, dame Catherine, voulez-vous permettre à votre roi de vous donner un conseil ? Ne précipitez rien... Ne brisez rien. Je vous l'ai dit, le temps fait changer les hommes et les femmes. Il ne faut pas qu'un jour vous ayez du regret.
Ce serait injuste.
Émue plus qu'elle ne voulait l'avouer par cette royale sollicitude, Catherine s'agenouilla pour baiser la main que lui tendait Charles.
Elle lui sourit vaillamment.
— Je n'aurai pas de regrets. Mais je sais un gré profond à Votre Majesté de sa bonté. Je ne l'oublierai pas.
Il lui rendit son sourire, avec cette timidité qu'il éprouvait toujours en face d'une femme trop belle.
— Il se peut qu'un jour prochain j'aille moi aussi en Auvergne..., fit-il d'un air songeur. Allez, maintenant, comtesse de Montsalvy.
Allez vers ce devoir que vous savez si bien accepter. Sachez seulement que votre roi vous regrettera, qu'il espère vous revoir un jour point trop éloigné... et que vous emportez son estime.
Ce fut lui qui se retira, laissant Catherine agenouillée au milieu de la grande salle où, seuls, maintenant, veillaient les gardes immobiles.
Elle entendit décroître son pas, et doucement se releva. Elle se sentait moins triste. Une sorte de fierté l'habitait, Charles lui avait parlé non pas comme à une femme, mais comme à l'un de ses capitaines, comme il eût parlé sans doute à Arnaud lui- même.
Restait à dire adieu à la reine Yolande. Catherine se rendit chez elle aussitôt, s'apprêtant à fournir, une troisième fois, la même explication.
Mais elle n'en eut pas besoin. La reine des Quatre Royaumes se contenta de l'embrasser.
— Vous faites bien, lui dit-elle. Je n'en attendais pas moins de vous. Le jeune Brézé ne saurait vous convenir... justement parce qu'il est jeune.
— Si vous pensiez ainsi, Madame et ma Reine, pourquoi ne m'avoir rien dit ?
— Parce qu'il s'agissait de votre vie à vous, ma belle. Et que nul n'a le droit de diriger le destin des autres. Pas même... que dis-je ? surtout pas une vieille reine. Retournez à votre Auvergne. Le travail ne manque pas car il nous faut recoudre maintenant ce beau royaume déchiré. Nous aurons besoin dans les provinces de gens comme les Montsalvy. Ceux de votre race, ma chère, sont comme les montagnes de leur pays : on les use, on ne les détruit pas ! Pourtant... je ne veux pas vous perdre tout à fait.
D'un geste, Yolande appela auprès d'elle Anne de Bueil qui, comme de coutume, faisait de la broderie dans un coin.
— Donnez-moi ma cassette d'ivoire, ordonna la Reine.
Quand la jeune femme la lui eut apportée, elle y plongea ses longs doigts minces, en tira une admirable émeraude, gravée à ses armes, qu'elle glissa au doigt de Catherine confuse.
L'émir Saladin, jadis, a donné cette émeraude à l'un de mes ancêtres qui l'avait sauvé de la mort, sans d'ailleurs savoir qui il était. Je l'ai fait graver... Gardez-la, Catherine, en souvenir de moi, de mon amitié et de la reconnaissance que je vous garde. Grâce à vous, nous allons enfin gouverner, le Roi et moi.
Catherine referma une main tremblante sur le magnifique joyau. Là, encore, elle s'agenouilla pour baiser la main de sa souveraine.
— Madame... Un pareil cadeau ! Comment dire...
— Ne dites rien. Vous êtes comme moi : quand vous êtes profondément émue, vous ne savez pas trouver de mots et c'est bien mieux ainsi. Cette bague vous portera bonheur et vous aidera peut-être. Tous ceux qui dépendent de moi, en France, en Espagne, comme en Sicile, comme à Chypre ou à Jérusalem vous aideront au vu de ce bijou. C'est un peu une sauvegarde que je vous donne car j'ai le pressentiment que vous pourriez en avoir besoin. Et je tiens à vous revoir un jour, bien vivante.
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