Sur un geste impérieux de Bueil, toute la troupe se plaqua contre la muraille et devint invisible des chemins de ronde tandis que le jeune capitaine s'avançait, seul, vers la poterne close. Malgré elle, Catherine retint sa respiration. À ses pieds, elle pouvait voir la ville et ses toits pointus, luisants sous la lune, serrés comme un grand fagot bleu dans la ceinture de pierre des remparts, soulignant la coulée brillante de la rivière. La voix profonde de Marie Javelle sonnant minuit la fit tressaillir.
Derrière cette haute porte close, Gaucourt et Frétard devaient être au rendez-vous.
— On ouvre ! chuchota quelqu'un.
En effet, une tremblante lumière jaune coula par l'entrebâillement.
Celui qui ouvrait portait une lanterne. Catherine aperçut deux silhouettes vêtues de fer. Le gouverneur et son lieutenant qui, eux, n'avaient pas besoin de se cacher et pouvaient porter l'armure. L'un après l'autre, les conjurés se glissèrent dans le passage que Frétard tenait ouvert. Catherine passa après Brézé qui, nerveux, l'avait saisie par le bras et tirée derrière lui. Agacée, elle se dégagea d'un geste brusque. Elle se retrouva dans la cour du Coudray, de l'autre côté de cette tour du Moulin, la plus occidentale de l'ensemble fortifié.
Devant elle, à quelques toises, se dressaient la gigantesque tour ronde où dormait son ennemi, le donjon derrière lequel on apercevait la chapelle Saint-Martin... Le but enfin !
L'un après l'autre, Gaucourt dévisageait les hommes qui passaient devant lui, levant sa lanterne, les comptant. Quand le dernier fut passé, la poterne se referma aussi silencieusement qu'elle s'était ouverte, puis le gouverneur se mit à la tête de la troupe. Il désigna de son gantelet le donjon silencieux. Au-dessus de sa tête, Catherine pouvait entendre le pas lent et cadencé des sentinelles sur le rempart.
Aucune ne s'arrêta. L'opération s'effectuait dans un silence impressionnant. Bueil et Loré se dirigeaient vers une des tours tandis que Coétivy et Tristan, à la tête d'un groupe, disparaissaient silencieusement dans d'ombre du donjon. En franchissant la porte du Coudray, Catherine dut respirer plusieurs fois à fond car les battements de son cœur l'étouffaient. Instinctivement, elle chercha la dague à sa ceinture, serra fortement la poignée dans sa main gauche.
Maintenant, silencieux comme les anneaux d'un long serpent noir, les conjurés montaient dans la lumière indécise des quinquets fumeux vers l'étage où habitait le Grand Chambellan.
Les gardes de sa porte, reconnaissant le gouverneur, ne bronchèrent pas. Ils furent maîtrisés avant même d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche. Alors, seulement, le silence vola en éclats.
Par la porte violemment poussée, les conjurés se ruèrent dans la grande chambre où La Trémoille ronflait sous des courtines de velours que son souffle puissant agitait doucement. Une seule veilleuse d'or ciselée brûlait et, dans l'ombre des rideaux, on distinguait vaguement son énorme masse couchée sur le dos.
Ce fut rapide. Quatre hommes bondirent sur le corps monstrueux qu'ils escaladèrent et maîtrisèrent. La Trémoille, réveillé mais incapable de se redresser, se mit à hurler. Le pommeau d'une épée le frappa rudement à la tête, ouvrant une tempe qui se mit à saigner.
— Tuez-le ! cria Catherine, ivre d'une joie vengeresse si intense qu'elle ne se reconnaissait plus elle- même.
Arrachant sa dague de sa ceinture, elle allait se ruer en avant, mais un homme, en qui elle reconnut Jean de Rosnivinen, la lui arracha.
— Ce n'est pas là travail de femme, gronda le Breton en se jetant en avant. Donnez-moi ça.
De toutes ses forces il plongea l'arme dans le ventre de La Trémoille qui hurla. D'autres armes frappèrent, mais sans parvenir à faire taire le gros homme qui hurlait comme un porc à l'abattoir.
Dans le château, on s'éveillait à ces cris, des bruits naissaient, inquiétants. Encore quelques instants et la garde accourrait à ces hurlements.
— Il est trop gras, jeta Gaucourt dégoûté. Les dagues ne peuvent atteindre le cœur. Ligotez-le, bâillonnez-le et emportez-le !... Il faut qu'il ait quitté le château avant cinq minutes.
— L'emporter, s'insurgea Catherine. Pendons-le.
Nous n'avons pas le temps, dit le gouverneur. Ni de corde assez solide. Transportons-le à Montrésor, chez Bueil. J'ai disposé des chevaux dehors à tout hasard. Qu'un homme aille prévenir Bueil. Qu'il ligote et bâillonne Gilles de Rais et qu'il nous rejoigne en bas ! En un clin d'œil, La Trémoille ne fut plus qu'un énorme paquet gémissant dont les yeux affolés roulaient dans leurs orbites au-dessus du bâillon.
À cet instant, Olivier Frétard, qui était demeuré en bas, accourut.
— Le Roi est réveillé. Il demande ce que veut dire ce vacarme. Il envoie ses gardes.
— Vite, emportez-le, cria Gaucourt. Je vais chez le Roi...
En quelques instants tout fut réglé, sous l'œil stupéfait de Catherine dont les hurlements de La Trémoille avaient glacé le sang. Dix hommes parvinrent à emporter la masse inerte et sanglante du gros homme. L'escalier fut dégringolé plus que descendu, la cour traversée en un clin d'œil, la poterne franchie. Pierre de Brézé avait voulu entraîner Catherine à la suite des autres, mais cette scène de boucherie, l'odeur du sang répandu avaient eu raison de sa résistance.
Elle était tout doucement en train de s'évanouir auprès du grand lit. Le jeune homme la retint au moment où elle allait tomber à terre et l'emporta en courant.
En arrivant dans la cour, l'air frais de la nuit ranima Catherine. Elle ouvrit les yeux, vit le visage de Brézé tout près du sien et le regarda sans comprendre. Mais la mémoire lui revint aussitôt et, d'un souple mouvement de reins, elle se laissa glisser des bras qui la tenaient.
— Lâchez-moi, s'écria-t-elle. Merci, messire... Où est La Trémoille ? Qu'en a-t-on fait ?
Du geste, Pierre désigna la troupe qui dévalait le sentier vers la ville semblable à quelque énorme mille- pattes.
— Tenez ! On l'emporte. À Montrésor. Il sera jugé.
Une vague de sang monta au visage de la jeune femme.
— Et sa femme ? fit-elle rageusement. Allez-vous la laisser en paix ici ? Elle est pire que lui et le la hais plus encore que je n'ai haï son époux.
On ne peut pas l'atteindre, Catherine... Elle a ses appartements dans le château du Milieu, près du logis du Roi. Il faut partir, maintenant.
— Ah vraiment ? cria Catherine avec fureur. Partez si vous voulez. Moi, je reste. Je n'aurai pas de repos avant d'en avoir fini avec elle... J'ai encore un compte à régler, moi.
Tout en parlant, elle tâtait le fourreau de sa dague, s'étonnait un instant de le trouver vide. Puis elle se souvint que Rosnivinen la lui avait arrachée pour l'enfoncer jusqu'à la garde dans le ventre du Chambellan. L'arme s'était enlisée dans la graisse du gros homme d'où le Breton l'avait arrachée avant de la jeter. Elle devait être restée sur le dallage de la chambre.
— Il faut que je remonte, dit-elle. J'ai perdu ma dague.
— Qu'importe une dague, Catherine ! Vous êtes folle. Les gardes vont vous prendre ?
— Et après ? Qu'ils me prennent s'ils veulent. De toute façon je n'ai plus l'intention de me cacher. C'est hautement et au grand jour que je vais réclamer au Roi notre réhabilitation. La reine Yolande me l'a promise. Si je suis prise, prévenez-la. Quant à la dague, c'est celle qui n'a jamais quitté mon époux. J'y tiens et je vais la chercher.
Elle s'élança de nouveau vers le donjon devant la porte duquel s'agitait un peloton de gens d'armes indécis sur ce qu'ils devaient faire. Elle se jeta au milieu d'eux, Pierre de Brézé sur les talons, et se fût fait prendre certainement si, à cet instant précis, Raoul de Gaucourt n'était arrivé, revenant du logis royal. Brézé l'appela, en quelques mots lui expliqua ce qui se passait. Il écarta les soldats d'un mouvement de son épée.
— Laissez cette... ce garçon, dit-il rudement. Je le connais..
Regagnez vos quartiers.
Docilement, les hommes d'armes s'éloignèrent, traînant les pieds en gens mal réveillés, et disparurent bientôt. Il n'y eut plus au pied du donjon que Brézé, Catherine et Gaucourt.
La figure du gouverneur, encore tachée de sang, était sombre et fermée, Pierre en conclut que les choses allaient mal et demanda :
— Le Roi ? Est-ce qu'il sait ? Que fait-il ?
Gaucourt haussa les épaules avec un rire sec.
— Le Roi ? Il s'est rendormi. La Reine lui a assuré que ce tumulte qui l'avait éveillé n'était fait que pour son bien et il l'a crue sans plus d'explication. Il a seulement demandé si le Connétable était là. On lui a dit non, cela lui a suffi. Cela nous donne jusqu'au jour pour les explications... Il réagit exactement comme il a réagi à la mort de Giac.
— L'étrange roi, murmura Pierre. Ces hommes qu'il porte au pinacle, ces indispensables favoris, il les oublie en une minute.
Mais Catherine n'était pas là pour philosopher. Elle estimait qu'elle avait encore à faire et, se désintéressant des deux hommes, elle voulut entrer dans le Coudray. Gaucourt la retint.
— Un moment. Où allez-vous ?
— Là-haut, chercher la dague de mon époux.
— C'est à moi d'y aller. J'ai encore à faire chez La Trémoille, coupa sèchement le gouverneur.
— Alors je vais avec vous. Que puis-je craindre ? La Trémoille est déjà sur la route de Montrésor. Si l'on m'arrête, vous me libérerez.
— La Trémoille est parti, en effet. Mais sa femme est encore ici.
Elle a été réveillée par le vacarme ; qui ne l'a été d'ailleurs ? En sortant de chez le roi, je l'ai aperçue qui courait dans les couloirs du château, à demi nue, comme une folle. Je me suis lancé à sa poursuite, mais elle avait de l'avance ; je l'ai vue franchir les douves du donjon, sur le petit pont. Elle est là-haut.
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