Brusquement, elle releva sa tête qu'elle avait penchée pour qu'il ne vît pas son émotion.

— Écoute, fit-elle d'une voix pressante. Il faut que tu cherches l'homme qui est venu ici cette nuit, celui à qui tu as dit que tu devais beaucoup.

— Le valet de Monseigneur le Grand Chambellan ?

Lui-même... Je ne sais pas son nom, mais tu le reconnaîtras sans peine. Va le trouver. Dis-lui ce que tu viens de me dire...

— Et si je ne le trouve pas ? Il a beaucoup de valets ce Monseigneur.

— Il faut que tu le trouves ! Il le faut ! Puisque cela te fait tant de peine de me faire du mal... Je t'en supplie, cherche-le.

Elle s'était levée. De ses mains tremblantes, elle étreignait les énormes pattes du bourreau ; de ses grands yeux pleins de larmes, elle le suppliait. Il lui avait montré de la compassion. Elle devinait dans cet esprit obscur une sorte de sympathie. Il fallait, à tout prix, qu'il prévienne Tristan ; sinon, cette nuit, le Flamand arriverait sans doute trop tard. Elle serait déjà morte. Le bourreau n'avait-il pas dit « après le couvre-feu » ? Le couvre-feu était sonné depuis longtemps la nuit dernière, quand Tristan était venu.

— Par pitié, Aycelin... si tu as un peu d'amitié pour moi, cherche-le !

Le bourreau hocha sa grosse tête à laquelle de larges oreilles donnaient assez l'apparence d'une marmite. Ses yeux clignèrent sous leurs paupières sans cils.

— Je veux bien essayer... Mais ça ne sera pas facile. Il y a grand remue-ménage au château aujourd'hui... Le Roi a décidé de partir pour Chinon demain. On prépare les coffres de voyage ! Enfin... Je ferai ce que je pourrai.

Jambes brisées, Catherine se laissa retomber sur la paille.

L'information qu'Aycelin venait de lui donner était précieuse car elle était la preuve formelle de sa victoire. Le Roi, c'était La Trémoille. Et il s'en allait vers Chinon où l'attendaient les hommes du connétable de Richemont, où commandait Raoul de Gaucourt gagné aux conjurés.

Le sanglier dévastateur qui, trop longtemps, avait galopé sur la terre de France s'en allait vers sa dernière bauge. Mais, si Aycelin ne trouvait pas Tristan, Catherine ne verrait pas se lever le jour de la victoire...

Elle demeura de longues heures prostrée, les yeux fixes, assise sur son grabat, les bras noués autour de ses genoux, écoutant battre son cœur, luttant de toutes ses forces contre le désespoir. De l'autre côté de ce mur, en face d'elle, il y avait Sara, sa vieille Sara, le cher refuge des heures cruelles et, cependant, elle ne pouvait pas la rejoindre. Il fallait crier pour être entendue. Elle n'en avait même pas la force... Mais l'angoisse l'assaillit plus cruellement encore lorsque le jour déclina...

Au- dehors, dans la cour du château, l'agitation était intense. Du fond de son caveau, elle pouvait entendre les ordres, les cris des servantes, les appels, tout le joyeux tintamarre d'un départ proche. Là, tout près, c'étaient les bruits de la vie qui s'en venaient, cruellement, narguer celle qui devait mourir. Et, un instant, elle se demanda si les morts, dans le tombeau, pouvaient encore entendre le vacarme des vivants...

Le bruit du judas de sa porte que l'on ouvrait la fit sursauter. A travers le grillage, elle aperçut la figure rouge d'Aycelin, éclairée par une chandelle. Et les mots qu'il prononça tombèrent, comme de lourdes pierres, sur son cœur :

— Je n'ai pas pu trouver l'homme... Pardonnez-moi.

— Cherche encore.

— Je ne peux pas. Je n'ai pas le temps. Il faut que je me prépare.

Le judas claqua. Catherine se retrouva rejetée dans l'ombre de la nuit qui venait. Une ombre dont elle ne sortirait que pour entrer dans une nuit encore plus épaisse. Désormais, tout était dit. L'espoir était mort, il ne fallait plus rien attendre des hommes. Il fallait aller vers Dieu... Lentement, Catherine se laissa tomber à genoux, cacha son visage dans ses mains.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle. Puisque c'est votre volonté que ce soir je meure, accordez-moi la grâce de ne pas souffrir la torture.

Faites que j'aie le temps d'en finir moi-même.

Elle tira doucement la dague de son sein, la tint serrée contre elle saisie d'une soudaine tentation. Pourquoi ne pas en finir maintenant ?

Les bourreaux, en entrant dans sa prison, ne trouveraient qu'un corps sans vie... Ce serait tellement plus simple...

Au creux de sa paume, l'épervier était chaud comme un oiseau vivant, rassurant comme un ami fidèle. Elle savait exactement où frapper pour atteindre son cœur... Là, juste sous le sein gauche... De la pointe de l'arme, elle chercha la place, appuya... La pointe piqua la chair, sous le tissu, et réveilla Catherine de l'espèce de torpeur de mort qui l'emportait. Percer cette peau si fine serait facile. Il suffisait d'appuyer plus fort. Mais un instinct inexplicable arrêta la main de la jeune femme. Que du moins elle vécût les dernières minutes qui lui restaient. Et puis, elle ne voulait pas mourir au fond de ce trou. Elle voulait mourir face à son ennemie, jouir de sa déconvenue en la voyant lui échapper, lui crier peut-être sa haine avant d'expirer... Oui, il fallait attendre jusque- là... C'était mieux.

Les trompes du château, répondant aux cloches de la ville, sonnèrent le couvre-feu. Elles glacèrent le sang de Catherine. Etaient-ce déjà les trompettes du jugement répondant au glas des morts ? Les dernières minutes s'écoulaient au sablier de sa vie. Bientôt...

Dans le couloir, il y eut le bruit de pas chaussés de fer, le raclement de l'acier sur la pierre. Catherine ferma les yeux, priant de tout son cœur pour obtenir le courage dont elle allait avoir tellement besoin.

On s'arrêtait devant sa porte. Les verrous grinçaient...

— Adieu, murmura-t-elle. Adieu, mon petit enfant... Adieu, mon époux bien-aimé. C'est moi qui vais t'attendre au Paradis.

La porte ouverte, la prisonnière put voir un piquet de quatre soldats qui attendaient devant sa porte. Le bourreau entra seul et Catherine frissonna. Si repoussante que fût la physionomie d'Aycelin, elle la préférait encore à son aspect actuel. En effet, les traits grossiers du tourmenteur étaient dissimulés sous une cagoule rouge, percée seulement de deux trous pour les yeux, qui le recouvrait jusqu'aux épaules. Il était terrifiant ainsi...

Sans un mot, il fit tomber les bracelets de fer, saisit les poignets de Catherine pour les lier dans son dos. Elle supplia :

— Une-seule grâce, ami bourreau, la dernière... Lie- moi les mains par-devant.

Par les trous du masque, elle rencontra les yeux du tourmenteur. Ils lui parurent extraordinairement brillants. Mais il ne dit rien, se contenta de hocher la tête. Les mains de Catherine furent liées devant elle et elle constata avec joie qu'il ne serrait pas beaucoup les cordes.

Elle n'aurait aucune peine à saisir la dague, tout à l'heure...

Ce fut d'un pas ferme qu'elle marcha vers la porte, se plaça au milieu des soldats tête haute. Le bourreau fermait la marche. Elle ne se retourna pas en entendant claquer de nouveau les verrous. Que lui importait que l'on refermât soigneusement la porte du cachot ? Elle n'avait même pas le courage de regarder, au-delà, l'entrée du cachot de Sara... Mais enflant sa voix de toute sa force, elle cria :

— Adieu ! Adieu, ma bonne Sara ! Prie pour moi.

La réponse lui parvint, vibrante :

— J'ai prié. Courage !

Bientôt s'ouvrait devant la condamnée la porte basse de la chambre fatale et il lui fallut tout ce courage que lui recommandait Sara pour ne pas défaillir tant elle avait l'impression d'entrer là en enfer...

Debout, bras croisés auprès de braseros flambants où trempaient des tenailles, des griffes et des lames d'acier, deux tour- menteurs puissamment musclés attendaient. Torse nu, ils portaient tous deux une cagoule semblable à celle d'Aycelin et Catherine regarda avec horreur leurs bras que serraient les bracelets de cuir. Au milieu de la pièce un chevalet avait été disposé. Les chaînes pendantes attendaient la victime et, dans l'ombre rouge que laissaient les braseros, d'autres instruments de supplice montraient leurs formes terrifiantes...

Mais Catherine réprima bien vite le frisson de terreur qui avait hérissé sa chair et détourna les yeux de l'appareil de supplice. Assise sur le fauteuil qu'occupait la veille son époux, somptueusement vêtue de brocart vert et or, la dame de La Trémoille la regardait entrer, un sourire cruel sur ses lèvres rouges... Violaine de Champ- chevrier était assise gracieusement à ses pieds sur un coussin de velours noir et respirait nonchalamment une boule d'or emplie de parfum qu'elle tenait entre ses jolies mains. Le spectacle de ces deux femmes, parées comme pour une fête, assises dans cette chambre de supplice pour en voir torturer une autre avait quelque chose de révoltant, mais Catherine se contenta de les toiser avec dédain. La dame éclata de rire.

— Comme te voilà fière, ma fille ! Tu le seras moins, tout à l'heure, quand ce brave Aycelin exercera sur toi les raffinements de son art. Sais-tu ce qu'il va te faire ?

— Que m'importe !... La seule chose qui compte, c'est que je ne vois pas ici de prêtre.

— Un prêtre ? Pour une sorcière comme toi. Les suppôts de Satan n'ont que faire d'un prêtre pour aller rejoindre leur maître. À quoi te servirait une bénédiction sur le chemin de l'Enfer ? Ce qui m'intéresse, moi, c'est de savoir comment une sorcière supporte la torture. As-tu des charmes, fille d'Egypte, pour te garder de la douleur ? Sauras-tu demeurer ferme quand le bourreau t'arrachera les ongles, te coupera le nez, les oreilles, t'écorchera vive et te crèvera les yeux ?

Le regard de Catherine ne faiblit pas devant l'énoncé sadique de ce qu'on lui réservait. Encore un instant et elle ne serait plus qu'un peu de chair inerte.