— Un philtre d'amour, hé ? Sais-tu pour qui ?

Cette fois, Catherine n'hésita pas. Il n'était pas question de faire courir le moindre danger au jeune comte du Maine. Elle secoua énergiquement la tête.

— Non, seigneur, je ne sais pas.

Le front du Grand Chambellan s'était rembruni. Il jouait nerveusement avec les pans de la large ceinture dorée qu'il portait, et, un moment, il garda le silence.

— Un philtre d'amour, murmura-t-il enfin. Pour quoi faire ? Ma femme ne cherche pas l'amour, elle ne cherche que le plaisir...

Catherine prit une profonde respiration et noua ensemble ses mains enchaînées, les serrant très fort pour lutter contre l'émotion qui s'emparait d'elle. Le moment était venu de jouer le tout pour le tout, de dire les mots qu'elle était venue dire à cet homme depuis Angers pour le décider à quitter son repaire trop sûr.

— C'est un breuvage très puissant, monseigneur. Il rend celui qui le boit aussi faible qu'un enfant entre les mains de celui qui le fait boire. Et la dame le voulait pour arracher à un homme un grand secret... le secret d'un trésor.

Si prévenue qu'elle fût, elle demeura stupéfaite de l'effet magique du mot. Le gras visage s'empourpra tandis que les yeux du Chambellan lançaient des éclairs. Il saisit Catherine à l'épaule, la secoua brutalement.

— Un trésor ? Que sais-tu de tout cela ? Parle, mais parle donc !

Quel secret, quel trésor ?

Elle joua la terreur à la perfection, se recroquevilla sur elle-même en jetant sur le gros homme des regards apeurés.

— Je ne suis qu'une pauvre fille, seigneur, comment saurais-je de pareils secrets ? Mais j'écoute et je comprends bien des choses. Dans mon lointain pays d'Orient, on parle encore de moines-soldats venus jadis pour défendre le tombeau du Sauveur et qui sont repartis avec de grandes richesses. Quand ils sont revenus au pays des Francs, le Roi d'alors les a tous exterminés...

Du revers de sa manche, La Trémoille essuya la sueur qui coulait sur son visage. Ses yeux luisaient comme braises.

— Les chevaliers du Temple..., balbutia-t-il, la bouche sèche.

Continue !

Elle écarta ses mains enchaînées dans un geste d'impuissance.

— On dit encore qu'avant de mourir ils ont eu le temps de cacher la plus grande partie de leurs richesses et que leurs cachettes sont marquées de signes incompréhensibles. L'homme qui intéresse la noble dame saurait déchiffrer ces signes.

Un désappointement se peignit sur la figure luisante du gros homme. Visiblement il était déçu et ne tarda pas à le marquer.

Haussant les épaules, il bougonna :

— Encore faudrait-il savoir où ils se trouvent, ces signes.

Un sourire angélique s'étendit sur le visage de Catherine. Son regard posé sur le gros homme n'était que douceur candide.

— Je ne devrais peut-être pas le dire, seigneur, mais vous avez été si bon avec moi... et la dame si cruelle. Elle m'avait promis la grâce de Fero et elle l'a laissé mourir sous le fouet... Je crois qu'elle sait où se trouvent ces signes... Je l'ai entendue l'autre nuit. Elle croyait que je dormais. Elle parlait d'un château où les chefs des moines-soldats avaient été emprisonnés, avant de mourir sur le bûcher... mais je ne me souviens pas du nom.

Ce fut si artistement dit que La Trémoille perdit toute méfiance, si même il en avait jamais eu. De nouveau, il empoigna Catherine.

— Souviens-toi, je te l'ordonne... il faut que tu te souviennes ! Est-ce à Paris... dans la grande tour du Temple ? Est-ce là ?... Dis ?

Elle secoua doucement la tête.

— Non... ce n'est pas Paris. Un nom comme... oh, c'est difficile... un nom comme Ninon...

— Chinon ? C'est ça ? C'est bien Chinon, n'est-ce pas ?

— Je crois que c'est ça, dit Catherine, mais je ne suis pas sûre. Est-ce qu'il y a une très grosse tour ?

— Énorme ! Le donjon du Coudray. Le Grand Maître du Temple, Jacques de Molay, y a été enfermé avec d'autres dignitaires durant le procès.

— Alors, fit Catherine tranquillement, c'est dans la tour que sont les inscriptions.

Le gros homme s'était levé, au comble de la surexcitation, allait et venait dans le cachot. Elle le regardait avec une joie sauvage. C'était Arnaud qui, jadis, lui avait raconté cette histoire. Un soir, après la ruine de Montsalvy, il avait soupiré sur leur misère et lui avait raconté comment un ancien Montsalvy, chevalier du Temple, avait été chargé par le Grand Maître, avec deux autres Frères, de sauvegarder le fabuleux trésor. Il était mort, peu après, la bouche murée sur le secret dont seul le Grand Maître avait la clef.

— On raconte que, dans sa prison, avait dit Arnaud, dans la grosse tour de Chinon, le Grand Maître a tracé des signes-clefs... malheureusement indéchiffrables. Je les ai vus quand j'étais là-bas, mais, alors, je n'y ai pas tellement prêté attention. J'étais riche, insouciant... Maintenant, j'aimerais retrouver le fabuleux trésor, pour reconstruire Montsalvy.

Cette conversation, elle s'en était souvenue à Angers, quand il s'était agi de trouver un appât pour attirer La Trémoille à Chinon.

Maintenant l'appât était lancé, le poisson avait mordu... Un profond soulagement s'empara de Catherine. Même si elle ne sortait pas vivante de ce cachot, elle était à peu près certaine que La Trémoille irait à Chinon, que le piège se refermerait sur lui... Et qu'elle serait vengée.

Le cœur allégé, elle le regardait tourner dans sa prison comme un ours en cage et croyait voir cheminer dans ses veines la fièvre de l'or, comme un poison. Elle l'entendit murmurer :

— Cet homme... il faut le trouver. Il faut que je sache ! Son nom !..

Ensuite, je saurai bien le faire parler...

— Seigneur, interrompit-elle doucement, me permettez-vous de vous donner un conseil ?

Il la regarda comme s'il était étonné de la voir encore là. Tout à sa passion, il l'avait oubliée.

— Dis toujours. Tu m'as rendu un grand service.

— Si j'étais vous, seigneur, je ne dirais rien pour ne pas donner l'éveil. J'irais à Chinon, avec la cour... et même le Roi s'il le faut, et je surveillerais la noble dame. Il est impossible que vous ne découvriez pas là-bas l'homme qui l'intéresse.

Cette fois, le gros visage s'éclaira. Un sourire matois et cruel s'y répandit, effaçant les rides comme de l'huile sur l'eau. Il ramassa son sac vide, prit sa lanterne, frappa du poing à la porte.

— Geôlier. Eh ! geôlier !

Il allait sortir, elle poussa un cri.

— Seigneur ! Ayez pitié de moi ! Vous ne m'oublierez pas, n'est-ce pas ?

Mais, déjà, il ne l'entendait plus qu'à peine. Il lui jeta un regard distrait.

— Oui, oui... sois tranquille. J'y penserai. Mais veille à te taire ; sinon...

Elle avait compris. Elle avait tout à coup perdu toute valeur à ses yeux. Devant la fabuleuse perspective dorée ouverte devant lui, il en avait oublié jusqu'au goût violent qu'il avait eu pour elle. Qu'elle vive ou qu'elle meure, peu lui importait. Seul comptait le trésor... Demain, cette nuit peut-être, il ferait partir la cour pour Chinon. Catherine avait accompli sa mission, mais elle était plus en danger que jamais car, elle en était certaine, avant de partir, la dame de La Trémoille veillerait à la faire passer de vie à trépas. Et qui pouvait dire si Pierre de Brézé et Tristan l'Hermite auraient le temps de venir à son secours ? De nouveau, elle tira la dague de sa robe tachée, pressa l'épervier de la garde contre ses lèvres tremblantes.

— Arnaud, murmura-t-elle, tu seras vengé. J'ai fait tout ce que je devais faire... Maintenant, que Dieu aie pitié de moi!

Mais les dernières heures de la nuit coulèrent, silencieuses, sans amener d'autres visites dans le cachot.

Quand Aycelin pénétra dans la prison de Catherine, vers le milieu du jour, portant une écuelle pleine d'un liquide de couleur incertaine où nageaient quelques trognons de chou, une cruche et un morceau de pain noir, il semblait tout à fait abattu. Son grossier visage aux traits indécis, aux cheveux ras portait le reflet d'une grande tristesse. Il posa l'écuelle aux pieds de Catherine avec le pain et l'eau.

— Voilà ton dîner, fit-il avec un énorme soupir. J'aurais bien aimé te donner quelque chose de mieux

parce que tu vas avoir besoin de forces. Mange quand même.

Du pied, Catherine repoussa l'affreuse soupe dont elle n'avait nul besoin après la volaille de La Trémoille.

— Je n'ai pas faim, dit-elle. Mais pourquoi dis-tu que je vais avoir besoin de forces ?

— Parce que c'est pour cette nuit. Après le couvre- feu on viendra te chercher et moi je devrai... Mais tu me pardonneras, dis ?

Ce n'est pas de ma faute, tu sais. Je dois faire mon métier...

La gorge de Catherine se serra. Elle avait compris ce que le bourreau voulait dire. Cette nuit, sous les yeux de la dame de La Trémoille, elle serait torturée à mort... Une panique s'éleva en elle, comme un vent de tempête. Elle pouvait, grâce à sa dague, éviter la torture, mais non la mort et, justement, elle ne voulait pas mourir.

Elle ne voulait plus ! Cette nuit, dans sa joie de voir réussir son plan, de savoir La Trémoille prêt à partir pour Chinon, elle avait pensé que plus rien n'avait d'importance, que la mort, désormais, lui serait facile puisqu'elle serait vengée... Mais maintenant, face à cet homme de sang qui se faisait le héraut tragique de sa : dernière heure, elle repoussait le destin de toute sa force. : Elle était jeune, elle était belle ; elle voulait vivre. Elle voulait sortir de ce trou, revoir le ciel bleu, le grand soleil et toutes les plantes que la volonté de Dieu sème sur la terre. Elle voulait revoir son fils, son petit Michel, les monts d'Auvergne et jusqu'à ce lieu sinistre où son amour se mourait lentement... Arnaud ! Elle ne voulait pas mourir si loin de lui. Toucher sa main encore une fois, rien qu'une seule fois... et puis mourir, oui. Mais pas avant !