La pensée lui vint que c'étaient peut-être des rats, et, à cette idée, sa chair se hérissa, mais le bruit de tout à l'heure c'était bien sa porte, elle en était sûre. Et puis, l'instant suivant, elle entendit encore le même souffle léger, plus près... encore plus près. Inondée d'une sueur glacée, elle leva la main tout doucement, prenant bien garde à ne pas faire tinter ses chaînes, glissa deux doigts dans sa robe, tira la dague et la tint serrée dans sa main qu'elle rabaissa aussi doucement. Une peur atroce lui labourait les entrailles. Elle se retrouvait soudain, des années en arrière, dans le vieux donjon de Mâlain, où elle devait, chaque nuit, se défendre contre les attaques de la brute qu'on lui avait donnée pour geôlier. Tout recommençait... Mais, cette fois, qui pouvait venir... et dans quelle intention ?

Elle avait si peur qu'un hurlement gonfla sa poitrine, emplit sa gorge et qu'elle dut serrer les dents pour lui barrer le passage. Cette fois, l'homme était tout près... car c'était un homme, elle en était sûre à l'odeur.

Une masse s'abattit soudain sur son ventre, et elle poussa un hurlement qui dut retentir jusqu'au fond des cours. Le poids qui l'écrasait lui parut énorme, mais elle comprit bientôt qu'on cherchait à l'étrangler. Deux mains velues remontaient vers sa gorge, tâtaient son cou. Contre son visage elle sentait un souffle aigre, abominable. Elle se tordit sous l'homme pour dégager son cou, n'y parvint pas. Les mains allaient serrer, elles serraient déjà... Alors, poussée par l'instinct de conservation, par le désir farouche de vivre, elle leva son bras armé, le laissa retomber de toute sa force. La lame s'enfonça jusqu'à la garde dans un dos. Le corps qui écrasait le sien eut un soubresaut tandis qu'un cri bref échappait à l'homme. Mais les mains, privées de leurs forces, glissèrent lentement le long de son flanc, quelque chose de chaud et de poisseux coula lentement sur elle... La dague avait frappé juste. L'homme était mort d'un seul coup... Péniblement, claquant des dents tant elle avait eu peur, Catherine parvint à faire glisser le cadavre sur le côté. Au même moment, la porte du cachot s'ouvrit, deux hommes, dont l'un portait une torche, se précipitèrent et demeurèrent figés au spectacle de Catherine, couverte de sang et enchaînée, mais accroupie auprès d'un cadavre. Elle leva sur eux des yeux de somnambule, reconnut sans même s'en émouvoir Tristan l'Hermite et le bourreau Aycelin.

— Il a essayé de m'étrangler, fit-elle d'une voix sans timbre. Je l'ai tué.

— Grâces soient rendues à Dieu ! marmotta Tristan qui était pâle comme la mort. J'ai eu peur d'arriver trop tard.

Puis, plus haut et se tournant vers son compagnon qui, stupide, regardait Catherine avec une sorte d'effroi :

— Tu te souviens des ordres de Monseigneur ? Tu devais répondre de la vie de cette femme sur la tienne.

L'homme devint gris et leva sur Tristan des yeux qui s'affolaient.

— Oui, messire. Je... je me souviens.

Heureusement pour toi que je suis arrivé. Emporte cette charogne et arrange-toi pour t'en débarrasser discrètement. Ainsi, comme il n'y a que toi, moi... et elle à être au courant, personne ne saura rien. Tu n'as pas de mal, femme ?

Catherine fit signe que non. Aycelin s'était baissé et, à grand-peine malgré sa force, soulevait le corps inerte de l'assassin qu'il chargeait sur son épaule.

— Je vais le jeter dans l'oubliette, dit-il. C'est tout près.

— Dépêche-toi... Je t'attends

Il sortit avec son fardeau, jetant au Flamand un regard plein de reconnaissance, et ne prit pas la peine de refermer la porte. Aussitôt qu'il eut disparu Tristan se pencha vers Catherine.

— Vite, nous n'avons pas beaucoup de temps. Je venais parler avec Sara comme je le fais presque chaque soir par le soupirail quand j'ai vu cet homme, l'un des valets de la dame de La Trémoille, qui se glissait dans la prison. J'ai senti, d'instinct, ce qui allait se passer. Je l'ai suivi. Cette livrée est un sauf-conduit... Et puis, je vous ai entendue crier et j'ai couru...

— Venez-vous me chercher ?

Il hocha la tête tristement, navré de voir que des larmes emplissaient les grands yeux de la jeune femme.

— Pas encore. Je ne peux pas. D'ici une heure, le Grand Chambellan va descendre jusqu'ici pour vous voir.

— Comment le savez-vous ?

— Je l'ai entendu ordonner à l'une des muettes de mettre dans un sac, après minuit, un poulet et un flacon de vin. Apparemment, il garde encore des ménagements avec vous. Il faut savoir ce qu'il vous veut. Je ne pense pas qu'il ait des intentions charnelles dans un pareil trou. Et puis, il est malade... certainement incapable du moindre exploit.

— De toute façon, je ne le laisserai pas faire. Ma dague a frappé une fois, elle peut frapper encore.

— Ne brusquez rien. Il ne faut pas vous laisser emporter comme vous l'avez fait tout à l'heure dans la salle des tortures, vous pourriez perdre tout le monde.

Maintenant je m'en vais. Messire de Brézé m'attend dans le verger.

Il se relevait prêt à partir. Catherine le retint par le bras.

— Quand vous reverrai-je ?

— La nuit prochaine peut-être... Avant, si c'est nécessaire. N'ayez pas trop peur. Nous veillons et je crois bien que, pour vous, Brézé est prêt à égorger La Trémoille aux pieds mêmes du Roi. Courage !

Aycelin, d'ailleurs, revenait. Tristan l'attendait près de la porte, le dos tourné à Catherine qui, soudain, sursauta.

— Messire ? Tout ce sang qui me couvre... Comment expliquer ?

— Tu diras ce qui s'est passé et aussi qu'Aycelin t'a sauvée et a tué l'assassin. Il y gagnera de l'avancement et toi tu n'as rien à perdre à ce mensonge.

Le tourmenteur eut un large sourire.

— Vous êtes bien bon, messire. Si je peux quelque chose pour vous...

— On verra ça plus tard. Referme cette porte et fais bonne garde.

Sans un regard à Catherine, Tristan sortit du cachot. La lourde porte se referma. L'obscurité envahit de nouveau la prison, mais les nerfs de la jeune femme avaient été trop rudement secoués. Elle éclata en sanglots. Cela lui fit du bien. Elle pleura longtemps, violemment, et sortit de là épuisée mais apaisée... Dans le cachot voisin, on n'entendait aucun bruit. Sara devait avoir eu aussi peur qu'elle-même, mais Tristan sans doute l'avait rassurée... Catherine s'efforça de retrouver son calme. Il le fallait, elle en avait le plus grand besoin pour affronter La Trémoille tout à l'heure... bientôt sans doute.

Comme pour lui donner raison, un peu de lumière brilla sous la porte.

Des pas qui ne songeaient pas à se dissimuler résonnèrent dans le couloir. Les verrous claquèrent dans leurs gâches, la porte s'ouvrit, immédiatement obstruée par l'énorme silhouette du Grand Chambellan. Aycelin venait derrière, tenant une lanterne qu'il élevait.

Le profil barbu de La Trémoille s'étira jusqu'à la voûte du cachot.

Mais le gros homme s'arrêta court devant le visage défait de Catherine et les traces de sang.

— Qu'y a-t-il ? Es-tu blessée ? Que s'est-il passé ? J'avais pourtant ordonné...

Aycelin, déjà épouvanté, rentrait autant qu'il pouvait sa tête dans ses épaules. Catherine vint à son secours aussitôt.

— On a tenté de m'assassiner, Monseigneur. Cet homme m'a entendue crier... il m'a sauvée.

— Il a bien fait. Tiens... attrape ! Et laisse-nous.

Du bout des doigts, il lança au geôlier une pièce d'or que l'autre attrapa avec l'adresse d'un chat avant de se retirer avec force courbettes et actions de grâce. La Trémoille regarda autour de lui, cherchant où s'asseoir, mais il n'y avait rien, et il prit le parti de rester debout. Mais il tira de sous sa houppelande un sac et le tendit à la prisonnière.

— Tiens ! Tu dois avoir faim. Mange et bois. Après, nous causerons. Mais fais vite.

Catherine mourait de faim. Elle n'avait rien mangé depuis l'avant-veille et ne se le fit pas dire deux fois. Elle dévora le pain et la volaille que contenait le sac, but le vin et adressa au gros chambellan un regard brillant de gratitude.

— Merci, seigneur, vous êtes bon.

Un espoir fou remontait dans son cœur. C'était la première fois qu'elle était seule avec lui, sans risque. Est-ce que le temps était venu de mettre son plan à exécution ? La Trémoille eut un sourire qui plissa son visage en mille petits bourrelets graisseux. Sa main épaisse se posa sur la tête de Catherine, et il murmura d'une voix pateline :

— Tu vois bien que, moi, je ne te veux aucun mal, petite. Tu n'es guère coupable dans tout ceci. Ce n'est pas de ton plein gré, n'est-ce pas, que tu es partie de chez moi ?

— Non. Une jeune fille est venue me chercher, fit Catherine jouant la naïveté, une belle jeune fille blonde.

— Violaine de Champchevrier, je ne la connais que trop ! Elle est la confidente de ma femme, mais, toi, je pense que tu es mon amie, à moi. Souviens-toi, j'ai toujours été bon pour toi, n'est-ce pas ?

— Très bon, seigneur, très secourable.

— Alors, c'est le moment de t'en souvenir. Qu'est- ce que le flacon que tu as brisé, ce tantôt, et dont tu as jeté les débris au visage de la comtesse ?

Catherine baissa la tête comme si elle luttait contre elle-même et ne répondit pas tout de suite. La Trémoille s'impatienta.

— Allons, parle ! Tu n'as aucun intérêt à te taire, bien au contraire.

Elle releva la tête, le regarda bien en face avec un grand air de franchise.

— Vous avez raison. Vous ne m'avez jamais fait de mal, vous. Ce flacon... il contenait un philtre d'amour que la dame m'avait demandé.

Un pli cruel marqua les grosses lèvres de La Trémoille tandis que ses yeux semblaient se rétrécir.