D'épais et chatoyants tapis couvraient le sol. Malgré la très douce température extérieure, un immense feu brûlait dans la cheminée et semblait, curieusement, se propager aux tentures sur lesquelles de longues flammes d'or étaient brodées.
Au centre de cette chambre étrange et fastueuse, bourrée d'objets précieux, la dame de La Trémoille se tenait debout dans un cercle de suivantes dont certaines, paresseusement couchées à terre sur des coussins, jouaient du luth ou croquaient des confiseries. Cette fois, la belle comtesse n'était vêtue que de soieries bleues, très transparentes, sur lesquelles croulait la masse fauve de sa chevelure. Le tissu nuageux ne cachait que fort peu les formes opulentes de son corps, mais cela ne paraissait la gêner nullement. Catherine se rendit compte au premier coup d'œil de l'état d'agitation où elle se trouvait, mordant ses lèvres et tordant ses doigts en arpentant nerveusement sa chambre.
— Voici la fille, gracieuse dame, fit, du seuil, la conductrice de Catherine.
La dame de La Trémoille eut une exclamation satisfaite puis, d'un geste autoritaire, montra la porte à ses suivantes.
— Sortez toutes ! Allez vous coucher. Et qu'on ne me dérange sous aucun prétexte.
— Même moi ? fit, avec une moue mécontente, la jeune fille qui avait amené Catherine et qui devait être la favorite.
— Même toi, Violaine. Je veux être seule avec cette fille. Veille au-dehors afin que personne n'entre par surprise. Je t'appellerai quand j'aurai besoin de toi.
Violaine sortit de mauvaise grâce et referma la porte derrière elle. Les autres s'étaient déjà éclipsées. Les deux ennemies, la grande dame et la fausse bohémienne, demeurèrent face à face, s'examinant... Avec une joie féroce mais bien féminine, Catherine découvrait que la beauté de sa rivale se fanait déjà. De petites rides marquaient, au coin des yeux et de la belle bouche rouge, la peau très blanche et douce comme un velours, des cernes violets entouraient les prunelles gris vert. La graisse enrobait légèrement les hanches et les longues cuisses, alourdissait les seins gonflés qui fléchissaient un peu. La belle rousse vivait trop douillettement, trop somptueusement et avec trop d'excès. La débauche et la volupté la marquaient d'un stigmate indélébile... Mais Catherine se garda bien de montrer le plaisir qu'elle éprouvait. Elle avait trop conscience de ce regard qui la détaillait, la déshabillait même avec impudence. Elle rougit en entendant la voix sèche de la dame s'écrier :
— Qu'attends-tu pour t'agenouiller devant moi ? Ton échine est-elle si raide qu'elle t'interdise de saluer tes maîtres ?
Catherine se mordit les lèvres et se traita de sotte. Elle avait un instant oublié son personnage et, pour un peu, eût abordé la comtesse en égale. Elle se hâta d'obéir, baissant la tête et, masquant son embarras d'un mensonge, murmura :
— Pardonnez-moi, noble dame, mais j'ai oublié un instant où j'étais. Mes yeux étaient éblouis. Je me suis crue dans la demeure de la reine des keshalyi, les fées de notre peuple.
Un sourire d'orgueilleuse satisfaction éclaira le visage maussade de la dame. De si bas qu'il vînt, l'encens, même grossier, lui plaisait toujours.
— Relève-toi ! lui dit-elle. Ou plutôt, assieds-toi sur ce coussin.
Ce que j'ai à te dire peut être long.
Elle désignait un coussin posé sur les marches de son lit. Catherine s'y laissa glisser tandis que la comtesse s'asseyait sur le lit même. Son regard ne quittait pas le visage de Catherine, le détaillant avec une attention qui devenait gênante. Au bout d'un moment, que la jeune femme jugea long comme une éternité, la belle comtesse murmura :
— Tu es vraiment très belle... trop belle ! Tu ne retourneras pas auprès de monseigneur. Tu pourrais être dangereuse à la longue, car il est stupide avec les femmes. Et toi, tu as l'air intelligent.
— Que ferai-je donc ? osa demander Catherine. Si je ne retourne pas, je risque...
— Rien du tout. Si tu me sers à ma convenance je te garderai peut-
être et tu n'auras rien à craindre. Sinon...
La phrase demeurée en suspens était suffisamment menaçante pour que Catherine se gardât d'en demander la fin. Elle se contenta de baisser la tête humblement, attendant ce qui allait suivre.
— Je ferai de mon mieux, dit-elle seulement.
La dame de La Trémoille prit un temps. D'un air songeur, elle tendit son bras nu, prit une coupe de vin posée sur les marches du lit et la vida lentement jusqu'à la dernière goutte. Catherine vit se gonfler sa gorge opulente. Puis la dame rejeta la coupe vide, pencha vers Catherine son visage que le vin rougissait un peu, son regard qui devenait luisant.
— On dit que les filles de ta race sont habiles aux enchantements, à la divination et aux breuvages étranges. On dit que l'avenir s'ouvre devant vous, que vous savez comment provoquer le malheur, la mort... ou l'amour. Est-ce vrai ?
— Peut-être, répondit Catherine prudemment.
Elle commençait à voir où l'autre voulait en venir et pensait qu'il y avait là une chance. Que cette femme, avide et perverse, crût à son habileté ou à son dévouement, et elle l'amènerait peut-être où elle voulait l'amener, et son époux avec elle.
— Connais-tu, reprit la comtesse d'une voix plus basse, le philtre qui donne l'amour, qui fait couler le feu dans les veines, qui abolit la sagesse, la pudeur, même la répulsion ! Connais-tu cette potion magique qui livre un être à un autre ?
Catherine releva la tête et obligea son regard à rencontrer celui de son ennemie. Elle se souvenait de la brûlante expérience vécue dans les bras de Fero et ne mentit qu'à peine en affirmant : Oui, je la connais. Le besoin d'amour qu'elle donne devient torture et dévore tout le corps si l'on ne le satisfait pas. Il n'est personne, homme ou femme, qui puisse lui résister.
Un éclair de triomphe illumina le visage avide qui se penchait sur elle. La comtesse s'élança soudain, courut à l'autre bout de la pièce, ouvrit un petit coffre et y plongea ses mains qu'elle retira ruisselantes de pièces d'or.
— Regarde, fille d'Egypte. Tout cet or sera à toi si tu me donnes ce breuvage.
Lentement, Catherine hocha la tête. Devant son dédaigneux sourire, la dame de La Trémoille laissa lentement retomber, dans le coffret, la pluie d'or qui rendit un son argentin.
— Tu n'en veux pas ? fit-elle incrédule.
— Non. L'or fond et s'envole dans le vent. Plus précieuse, noble dame, est votre protection. Donnez-moi votre confiance, laissez-moi vous servir... et je serai beaucoup mieux payée.
— Par le chef de ma mère ! Fille d'Égypte, tu parles fièrement et tu me plais. Comment t'appelles-tu ?
— On me nomme Tchalaï. Un nom barbare pour vous.
— Un nom étrange. Écoute, je te l'ai dit, tu me plais. Donne-moi le breuvage que je te demande, tu ne le regretteras pas !
— Je ne l'ai pas sur moi et, pour le composer, il faut deux choses.
La comtesse se précipita vers elle, serra convulsivement les mains de la jeune femme, possédée qu'elle était par une mystérieuse passion.
— Parles ! Tu auras tout ce que tu veux !
— Il faut que je retourne chez les miens... oh ! pas longtemps, ajouta-t-elle très vite en voyant les sourcils roux se froncer, juste le temps de prendre certaines choses...
— Accordé. Au lever du jour, quand les portes s'ouvriront, je te ferai escorter jusqu'au campement. Prends garde de ne pas chercher à t'enfuir : les archers qui t'escorteront auront ordre de tirer.
Catherine haussa dédaigneusement les épaules.
— Pour quoi faire ? Je me plais dans ce château.
— Fort bien. L'autre condition ?
— Je dois savoir à qui vous destinez ce breuvage. Pour qu'il prenne toute sa puissance il faut y ajouter des conjurations où l'on mêle le nom de celui qui doit le boire.
Il y eut un silence. Catherine devinait que cette dernière partie de ses exigences déplaisait, mais, connaissant son adversaire, elle voulait savoir quel homme avait su inspirer à la comtesse une passion, assez violente pour lui faire rechercher jusqu'à l'aide d'une zingara. Il était possible que ce fût une arme intéressante.
Au bout d'un moment, la dame de La Trémoille fouilla dans un coffre, en sortit une houppelande de velours noir et s'en revêtit. Puis elle tordit hâtivement ses cheveux, les fixa sur sa tête et posa dessus un voile d'argent. Elle se tourna alors vers Catherine.
— Viens avec moi. Tu vas savoir.
S'emparant d'une torche, elle entraîna la jeune femme.
Toutes deux sortirent de la chambre. Dans le couloir, la comtesse trouva Violaine, fidèle à son poste, et l'envoya dormir, puis elle s'engagea dans l'escalier, mais, au lieu de descendre jusqu'à la grande salle, elle poussa une petite porte prise dans la muraille et se glissa, Catherine sur ses talons, dans un étroit boyau creusé à même l'énorme mur et qui parut interminable à la jeune femme. Il devait longer la voûte de la grande salle sur toute sa longueur. L'atmosphère y était froide, humide et la torche fumait dans la main de la comtesse.
Parvenue presque au bout, elle s'arrêta, passa la torche à Catherine et promena sa main sur l'une des parois. Un petit panneau glissa, découvrant une étroite ouverture découpée dans la voûte même et, sans doute, habilement dissimulée. Le vacarme de la fête, déjà appréciable dans le boyau, devint énorme. La comtesse tira Catherine par le bras.
— Regarde près de la cheminée. Vois-tu le roi Charles ?
Catherine se pencha et vit, en effet, assis sous un dais bleu, dans un haut fauteuil doré, un homme, portant couronne d'or à son chapeau de feutre brun, et dans lequel elle reconnut le Roi. Il n'avait pas beaucoup changé, depuis le temps de Jehanne. Il avait toujours son long visage morne, ses yeux glauques et globuleux, mais il était moins maigre. Sa figure était plus pleine et son regard avait perdu cette expression traquée, si tragique chez un roi.
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