Il s'interrompit parce que la rapidité de la course lui coupait le souffle. Sans répondre, Catherine sourit, poussa encore sa jument. Morgane donna tout ce qu'elle pouvait, dépassa le cheval. Catherine éclata de rire. Distancé, Arnaud jura comme un templier. Férocement éperonné, l'étalon bondit, passa comme un boulet de canon... Les murs de l'abbaye se rapprochaient. Catherine pouvait distinguer les toits des maisonnettes de lave du petit bourg. Brusquement, Arnaud obliqua vers la gauche, délaissant le grand chemin pour un étroit sentier qui se perdait dans les arbres. Elle se retourna, vit que les autres étaient encore loin.

— Attends-nous ! cria-t-elle.

Mais il ne l'entendait plus. L'air du pays natal qu'il n'avait pas respiré depuis plus de deux ans l'enivrait comme un vin trop riche... Catherine hésita un instant : allait-elle le suivre ou bien attendre les autres ? Le désir d'être avec lui l'emporta.

D'ailleurs, d'où ils étaient, Gauthier, Sara et Fortunat ne pouvaient pas du chemin sautaient sous ses sabots. Gauthier et Fortunat étaient demeurés en arrière, auprès de Sara. Chargée de Michel, l'excellente femme ne pouvait s'offrir d'autre allure qu'un trot paisible.

Emportée par la griserie de la course, Catherine talonna Morgane. La jument tendit le cou, fonça et remonta le cheval noir à la hauteur duquel elle se maintint. Arnaud adressa à sa femme, rouge de joie et d'excitation, un sourire rayonnant.

— Tu ne me battras pas, ma belle cavalière ! D'ailleurs, tu ne connais pas le chemin, cria-t-il dans le vent.

— C'est le château, là-bas ?

— Non... C'est l'abbaye ! Les maisons du village sont massées entre elles et le puy de l'Arbre où est notre maison. Il faut prendre un chemin, à gauche, sous les murs du monastère, s'enfoncer dans le bois. Le château est au flanc du puy et, des tours, on domine un immense paysage. Tu verras... tu auras l'impression d'avoir l'univers à tes pieds.

Il s'interrompit parce que la rapidité de la course lui coupait le souffle. Sans répondre, Catherine sourit, poussa encore sa jument. Morgane donna tout ce qu'elle pouvait, dépassa le cheval. Catherine éclata de rire. Distancé, Arnaud jura comme un templier. Férocement éperonné, l'étalon bondit, passa comme un boulet de canon... Les murs de l'abbaye se rapprochaient. Catherine pouvait distinguer les toits des maisonnettes de lave du petit bourg. Brusquement, Arnaud obliqua vers la gauche, délaissant le grand chemin pour un étroit sentier qui se perdait dans les arbres. Elle se retourna, vit que les autres étaient encore loin.

— Attends-nous ! cria-t-elle.

Mais il ne l'entendait plus. L'air du pays natal qu'il n'avait pas respiré depuis plus de deux ans l'enivrait comme un vin trop riche... Catherine hésita un instant : allait-elle le suivre ou bien attendre les autres ? Le désir d'être avec lui l'emporta.

D'ailleurs, d'où ils étaient, Gauthier, Sara et Fortunat ne pouvaient pas pont-levis. C'était tout ce qui restait du château de Montsalvy...

Le cri funèbre d'un corbeau, tournoyant dans le ciel pâle, tira Catherine de l'espèce d'hébétude où ce spectacle l'avait jetée. Elle regarda son mari. Arnaud, toujours en selle, semblait frappé par la foudre. Aucun trait ne bougeait dans son visage blême aux prunelles dilatées. Seules les mèches noires de ses cheveux que le vent faisait voltiger lui prêtaient encore quelque chose d'humain. Pour le reste, c'était une statue de pierre, sans regard et sans voix.

Épouvantée, elle s'approcha de lui, toucha son bras.

— Arnaud !... murmura-t-elle... mon doux seigneur !

Mais il ne l'entendait ni ne la voyait. Le regard fixe, il descendit de son cheval. Comme dans un cauchemar, Catherine le vit s'approcher des ruines d'un pas saccadé d'automate. Il se dirigeait vers quelque chose que, dans sa stupeur, elle n'avait pas remarqué immédiatement : un grand parchemin d'où un sceau rouge coulait, comme d'une blessure, au bout d'un cordon, et que quatre flèches crucifiaient sur les décombres. Le cœur de la jeune femme manqua un battement et elle retint sa respiration... Elle vit Arnaud escalader quelques pierres, arracher le parchemin, le parcourir des yeux. Puis, comme un chêne déraciné par le vent, il s'abattit, face contre terre, avec une rauque clameur qui retentit jusqu'au fond de l'âme de Catherine.

Le gémissement de la femme fit écho à celui de l'homme. Elle sauta à bas de sa monture, courut à son époux, se laissa tomber à genoux auprès de lui, essayant de détacher les mains crispées qui s'étaient agrippées à deux touffes d'herbe sèche et s'y cramponnaient. Peine perdue ! Tout le corps d'Arnaud était tendu en un spasme nerveux que les forces de la jeune femme ne pouvaient vaincre. Avec des gestes d'aveugle, elle tâtonna machinalement pour arrêter le parchemin que le vent allait déjà éloigner, le saisit, essaya de lire, mais la nuit venait maintenant et elle ne put déchiffrer que la première ligne écrite en gros caractères « De par le Roy... »

Maintenant, Arnaud sanglotait, la figure enfouie dans l'herbe, et Catherine, bouleversée, tenta encore de le redresser pour lui donner le refuge de ses bras, de son épaule.

— Mon amour !... suppliait-elle au bord des larmes... Mon amour... Je t'en prie !

— Laissez-le, dame Catherine, fit tout près d'elle la voix rude de Gauthier. Il ne vous entend pas ! La masse de douleur qui s'est abattue sur lui l'a rendu sourd et aveugle au monde extérieur. Mais les larmes sont bonnes pour lui...

La main ferme du Normand l'aida à se relever. Serrant toujours entre ses doigts le parchemin, elle se retrouva dans les bras de Sara qui avait confié le bébé à Fortunat. La bohémienne tremblait comme une feuille, mais son étreinte était chaude et sa voix assurée.

— Sois ferme, mon petit, souffla-t-elle à l'oreille de Catherine. Il faut que tu sois forte afin de l'aider, lui. Il va en avoir besoin.

Elle fit oui de la tête, voulut retourner à Arnaud, mais Gauthier la retint.

— Non... laissez-moi faire !

Peu à peu, les sanglots convulsifs qui secouaient Arnaud se calmèrent. Ce fut le moment que choisit le Normand. Il prit le petit Michel des mains précautionneuses de Fortunat et, à son tour, alla s'agenouiller auprès du jeune homme.

— Messire, dit-il d'une voix que l'émotion étouffait, une antique saga de mon peuple dit : « Tout fardeau qui te sera lourd, rejette-le et sache t'aider toi- même. » Il vous reste la vengeance... et ceci !

Michel, réveillé, se mit à hurler. Catherine se dégagea des bras de Sara. Son cœur battait à se rompre et ses mains se tendaient instinctivement vers l'homme prostré. D'un seul coup Arnaud se redressa. Il regarda tour à tour Gauthier puis le bébé. Son visage, décomposé par le chagrin, se crispa. Il prit, entre ses mains, le petit paquet hurlant qui se calma comme par enchantement. Il serra l'enfant contre lui avec emportement, puis son regard revint au Normand. Une farouche résolution y brillait.

— Tu as raison, dit-il d'une voix rauque. Il me reste un fils, une femme... et la haine ! Maudit soit le Roi qui me paie ainsi de ma fidélité et du sang versé sans compter ! Maudit soit Charles de Valois qui a livré les miens à son valet, détruit ma maison, tué ma mère ! Je lui dénie, à partir de cet instant, mon serment d'allégeance et je n'aurai ni trêve ni repos tant que...

— Non ! cria Catherine épouvantée par cette voix qui s'enflait comme un ouragan, par cette colère formidable qu'elle sentait monter dans les veines d'Arnaud comme le flot de lave qui trace son chemin vers le cratère du volcan.

Elle s'abattit sur lui, arracha l'enfant de ses mains et enferma le petit dans ses bras.

— Non, répéta-t-elle plus bas. Je ne veux pas de malédiction autour de mon enfant ! Tu ne dois pas, Arnaud, tu ne dois pas dire de telles choses !

Pour la première fois, il tourna vers elle son visage noir de fureur.

— Ma mère gît, sans doute, sous les décombres de notre maison, je suis proscrit... (Il saisit le parchemin qu'elle n'avait pas lâché et l'agita au bout de son poing.) Tu sais lire ? Traître et félon ! Moi ? Traître et félon comme Jehanne était hérétique et sorcière ! La honte, le désespoir et le bourreau ! Voilà comment le roi Charles récompense ses serviteurs !

— Ce n'est pas lui, fit Catherine d'un ton las, et tu le sais bien...

— Il est le Roi ! Si c'est ainsi qu'il prétend exercer la royauté, mieux vaudrait, pour lui, le couvent, la tonsure, et pour le royaume le duc de Bourgogne sur le trône !

Une vague de désespoir envahit Catherine. Fallait-il qu'Arnaud en fût arrivé aux extrêmes limites de la colère et de la douleur pour qu'il en fût venu à souhaiter pour suzerain l'homme que, toute sa vie, il avait haï et combattu ! Allait-il donc, maintenant, se tourner vers l'ennemi, vers l'homme auquel Catherine s'était arrachée à si grande peine pour le rejoindre, lui ? Elle secoua la tête. De grosses larmes roulèrent de ses yeux jusque sur la joue du petit Michel. Elle posa, avec passion, ses lèvres sur le petit visage, ramena sur ses épaules le manteau qui en avait glissé pour mieux en envelopper l'enfant. Le vent des hauteurs soufflait plus fort, venu du trou noir qu'étaient devenues les vallées envahies par la nuit. La torche que Fortunat avait allumée depuis un instant semblait s'effilocher dans les rafales humides. Catherine frissonna, regarda tour à tour les personnages figés de cette scène pénible. Ses yeux s'arrêtèrent sur son époux. Il était toujours debout devant les décombres, droit comme une lance, ses yeux farouches rivés à ces ruines fraîches que la lueur du feu faisait plus sinistres encore... Une vague de découragement saisit la jeune femme. Une fois encore il lui échappait et elle ne savait comment le rejoindre au-delà de ce mur de fureur dans lequel il s'enfermait. Il ne pouvait rien comprendre de ses paroles d'apaisement car, pour l'heure présente, il n'était que révolte.