— Et Arnaud ? Crois-tu qu'après sa maladie il soit encore entraîné ?
— Chez lui, fit Sara avec un mince sourire, c'est plus qu'une habitude ou un entraînement : la guerre, c'est sa nature même. Et puis Gauthier veillera sur lui.
— Et s'ils sont pris ?
— Nous le saurons... Pour le moment, il faut penser à toi, et à l'enfant si c'est lui qui vient.
Comme pour répondre à Sara, une nouvelle douleur plus violente vrilla le corps de Catherine en même temps qu'une désagréable sensation d'humidité...
La tempête de douleurs qui submergea Catherine dura-t-elle une heure ou dix ? Le temps s'effaça et, avec lui, la conscience des événements extérieurs. Même l'angoisse née du combat si proche était abolie. Il ne restait plus que l'intolérable souffrance. Cela ne laissait ni trêve ni repos et Catherine, torturée, écartelée, avait l'impression que l'enfant, tel un géant secouant les murs de sa prison, faisait tout éclater en elle pour en venir plus vite à la lumière. La seule chose réelle, en dehors de son supplice, c'était le visage anxieux de Sara, éclairé en rouge par les flammes du foyer, qui se penchait sur elle, c'était la main chaude de Sara sur laquelle la jeune femme agrippait ses mains convulsives. Elle ne criait pas, mais un gémissement continu s'échappait de ses lèvres. Elle haletait, prise au piège de la souffrance sans rémission, d'une torture que sa propre volonté ne pouvait faire cesser et qui devait se poursuivre inexorablement jusqu'à son terme normal. De temps en temps, Sara essuyait le front en sueur avec un linge imbibé d'eau de la reine de Hongrie et l'odeur fraîche ranimait un instant Catherine, mais l'enfant revenait à la charge et la jeune femme replongeait dans son martyre.
Elle souhaitait éperdument un instant de rémission, un seul, qui lui eût permis de se laisser aller à son immense fatigue.
Elle avait tellement envie de dormir !... dormir, oublier, cesser de souffrir !... Est-ce que vraiment cette douleur ne cesserait jamais ? Est-ce qu'elle ne pourrait plus jamais dormir ? La conscience s'atténuait peu à peu sans qu'elle s'en rendît compte, mais, tout à coup, il y eut une douleur pire que les autres, une souffrance inouïe qui lui arracha un véritable hurlement, si haut, si puissant qu'il franchit la vallée, s'étendit sur la campagne ensevelie dans la nuit et alla frapper de terreur les hommes qui l'entendirent. Mais il n'y eut qu'un seul cri car, ensuite, Catherine plongea enfin dans la bienheureuse inconscience qu'elle avait tant désirée. Elle n'entendit même pas le piaillement rageur qui fit écho à son grand cri de délivrance, ni le rire heureux de Sara. Cette fois, elle s'était évanouie.
Quand lui revint la conscience, celle-ci fut cependant assez peu claire. Catherine avait l'impression de flotter à travers une brume légère peuplée de paires d'yeux brillants qui la regardaient. Son corps n'existait plus. Elle avait miraculeusement rompu les amarres qui l'enchaînaient à une terre pleine d'embûches et de douleurs. Elle se sentait tellement légère que l'idée lui vint que, peut-être, elle était morte et avait gagné les nuages. Mais un bruit tout à fait terrestre secoua sa bienheureuse torpeur: le vagissement d'un bébé...
Alors, bien réveillée soudain, elle ouvrit tout grands ses yeux, redressa la tête sur le manteau roulé qu'on lui avait mis comme oreiller. Entre elle et le feu, il y avait une grande ombre noire, agenouillée, une ombre qui disait :
— Regarde, mon amour... regarde ton fils !
Une merveilleuse onde de joie noya Catherine. Elle voulut tendre les bras, mais ses membres pesaient comme du plomb.
— Attends, chuchota Sara contre son oreille, je vais te soulever. Tu es épuisée.
Mais cela lui était bien égal. Elle voulait tenir contre elle ce petit paquet que maintenant elle distinguait nettement dans les grandes mains d'Arnaud.
— Un fils ?... C'est un fils ? Oh, donne-le-moi...
Il glissa contre son flanc le petit paquet chaud qui gigotait. Gauthier apparut, portant une torche de fortune faite d'un branchage enflammé, immense vu du sol où elle gisait, mais avec un large sourire étendu sur son visage. Grâce à cette lumière, Catherine vit enfin son fils : un minuscule visage rouge et fripé dans l'encadrement des lainages dont Sara l'avait entortillé, deux tout petits poings bien serrés et un léger duvet clair, moussant sur le petit crâne rond.
— Il est superbe ! s'écria la voix joyeuse d'Arnaud. Grand, fort, magnifique... un vrai Montsalvy !
Malgré sa faiblesse, Catherine se mit à rire.
— Tous les Montsalvy sont donc aussi laids quand ils viennent au monde ? Il est tout fripé.
— Il se défripera, intervint Sara. Rappelle-toi...
Elle se mordit les lèvres, retenant au dernier instant les mots prêts à sortir. Sara avait failli lui rappeler le petit Philippe, l'enfant qu'elle avait eu de Philippe de Bourgogne et qui était mort à quatre ans, au château de Châteauvillain. C'eût été une sottise et Sara, mentalement, se traita d'idiote.
Mais Catherine avait compris. Son visage s'était légèrement crispé et, d'un geste instinctif, elle serra contre elle le nouveau-né. Celui-là, il était le fils de l'homme qu'elle adorait et elle saurait le défendre contre le mal. La mort ne le lui prendrait pas. Mais son geste avait réveillé le bébé qui sommeillait. Tout de suite, il protesta. Sa petite bouche s'ouvrit démesurément. On ne vit plus qu'un trou rond sous un nez minuscule, mais un trou ouvrant sur un gosier particulièrement vigoureux.
— Sang du Christ ! s'écria Arnaud. Il a des poumons, le bougre !
— Il doit avoir faim, fit Sara. Je vais lui donner un peu d'eau tiède avec du sucre, en attendant que le lait vienne. J'en donnerai aussi à Catherine. Puis elle dormira. C'est de cela surtout qu'elle a besoin : dormir.
Elle ne demandait que ça, dormir. Pourtant, le premier instant de joie passé, la conscience de leur situation lui revenait et, déjà, de sa main libre, elle s'accrochait à Arnaud qui s'était glissé près d'elle pour lui offrir l'appui de sa poitrine.
— Dis-moi, le combat ?
Nous sommes vainqueurs... d'une certaine manière... J'entends que nous sommes momentané ment en sûreté : du moins tant que nous conservons l'otage que tu vois là-bas.
En effet, de l'autre côté du feu, près de l'entrée de la grotte, Catherine put voir, gardé par l'énorme Escornebœuf et par deux Gascons, un personnage qu'elle n'avait jamais vu. Grand, mince, sec comme une rapière et tout vêtu de rouge, il avait un visage mince dont le principal ornement était un grand nez en bec d'aigle. Le menton arrogant, la bouche rouge et sensuelle, l'inconnu pouvait avoir une quarantaine d'années. Quelques fils blancs striaient ses cheveux noirs et plats qu'il portait assez longs. Assis sur une pierre, ses longues jambes repliées, il regardait le feu d'un air de profond ennui, mais sa situation de prisonnier ne semblait pas l'inquiéter outre mesure.
— Qui est-ce ? demanda la jeune femme.
— Rodrigue de Villa-Andrado, en personne... J'ai pu lui tomber dessus durant le combat et, en menaçant sa gorge de ma dague, j'ai fait cesser la bataille. C'est une bête sauvage, mais ses hommes tiennent à lui. J'ai pu l'emmener jusqu'ici et les gens du château ne tenteront rien contre nous, de peur qu'il ne soit mis à mort.
Au même instant, l'Espagnol bâilla démesurément, tourna les yeux vers le fond de la grotte.
— Je regrette de t'enlever tes illusions, Montsalvy, mais les hommes de ma bande me connaissent et savent que je ne crains pas la mort. Sois certain qu'ils feront tout pour me reprendre et, à moins que tu ne m'égorges de sang-froid, tu ne pourras pas m'emmener avec toi dans la mort qui t'attend. Souviens-toi... tu n'as plus que quatre hommes, même si deux d'entre eux valent triple.
— C'est vrai, chuchota Sara à Catherine. Les Gascons ont presque tous été tués. Nous n'avons plus que le sergent et deux hommes d'armes... et pour comble nous n'avons plus rien à manger.
Autrement dit, répliqua la jeune femme avec angoisse, cette grotte nous a peut-être offert un abri, mais elle est, en même temps, un piège qui s'est refermé.
Brusquement, Catherine avait l'étouffante sensation que la grotte se resserrait sur elle, insensiblement mais inexorablement. Pourquoi avait-il fallu que l'enfant vînt au monde au fond de ce tombeau ?
Le son pourtant étouffé des deux voix féminines était sans doute parvenu aux oreilles de Villa-Andrado car il se leva brusquement et, suivi immédiatement par Escornebœuf, marcha vers le fond de la grotte.
— Reste où tu es ! lança Arnaud rudement.
— Pourquoi donc ? Veux-tu donc m'obliger à crier quand il nous est possible de causer paisiblement ? Tu dois comprendre, avant qu'il soit trop tard, que ta situation n'est pas aussi bonne que tu le crois et que...
Il s'arrêta court. À la lumière incertaine de la branche flambante que Gauthier, figé à côté de la paillasse dans une immobilité de cariatide, tenait toujours, l'Espagnol venait d'apercevoir Catherine, étendue sous des manteaux, pâle et défaite, mais enveloppée de la masse somptueuse de ses cheveux dénoués qui lui composaient tout à la fois un manteau royal et une auréole de lumière. Le sourire sarcastique s'effaça des lèvres de Villa-Andrado sous le coup de la surprise.
Un instant, la jeune femme et le chef mercenaire se regardèrent... Elle lut dans les yeux sombres de l'homme une admiration non déguisée et, dans le secret de sa pensée, le jugea intéressant. Ce visage anguleux et sec, visiblement pétri d'orgueil, formait un contraste étrange avec le regard où se montrait une chaleur inattendue. C'était, à n'en pas douter, une bête de proie, mais une bête de race et, de plus, l'intuition féminine de Catherine le lui soufflait secrètement, il appartenait à cette catégorie d'hommes qu'une femme regarde toujours au moins deux fois, si ce n'est plus ! Mais, pour le moment, Villa-Andrado était en extase.
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