— À toi ! J'espère que tu sais comment tu t'appelles maintenant ?

Lentement, avec une application de petite fille, un bout de langue rose pointant entre ses lèvres, elle signa « Catherine de Montsalvy » pour la première fois. Une bouffée d'orgueil lui monta au visage, empourprant ses joues. Ce vieux nom qu'on lui donnait, elle se jura de le porter fièrement, sans défaillance, quel que fût le prix qu'il lui faudrait payer pour cela.

Les témoins, Xaintrailles et Jacques Cœur, signèrent ensuite, tandis que Macée embrassait Catherine chaleureusement.

Puis ce fut le tour de Xaintrailles. Cérémonieusement, il courba sa haute taille devant la jeune femme en un salut profond.

— Madame la comtesse de Montsalvy, je suis heureux d'avoir, si peu que ce soit, contribué à un bonheur que je souhaite aussi grand que votre beauté et...

Mais, apparemment, le cérémonial dépassait, ce soir, les sentiments intimes de Xaintrailles, car, interrompant en leur milieu sa belle phrase et son salut, il empoigna Catherine aux épaules et plaqua sur ses joues deux baisers retentissants.

— Je vous souhaite tout le bonheur du monde, mon amie. Sans doute avez-vous encore des épreuves à subir, mais n'oubliez jamais que je suis votre fidèle ami, à tous les deux !

Là-dessus, il quitta Catherine pour tomber dans les bras d'Arnaud, qu'il embrassa fraternellement.

— On se retrouvera bientôt, dit-il ; pour le moment, je te dis adieu...

— Adieu ? Tu pars ?

Xaintrailles fit une affreuse grimace qui s'acheva en sourire narquois.

— Oui. Ma santé l'exige. La Trémoille a dû avoir des soupçons précis en ce qui concerne les avatars de son château et si je reste ici, je me retrouverai une belle nuit avec un couteau entre les deux épaules. Je préfère rejoindre mes hommes à Guise. Là, personne ne pourra rien contre moi.

— J'ai bien envie de te suivre. Il ferait beau voir qu'on m'empêchât de reprendre ma place dans l'armée. Je ne sais aucun de mes anciens frères d'armes qui nous livrerait, moi ou ma femme.

Le mot fit chaud au cœur de Catherine qui, tendrement, glissa son bras sous celui de son époux. Mais Xaintrailles hochait la tête, son regard s'était assombri.

— Non ! Tes frères d'armes n'ont pas changé, mais l'or de La Trémoille est partout. Viens, une sacristie n'est pas un endroit convenable pour ce genre de confidences, et j'ai à te parler.

Jacques Cœur, alors, intervint :

— Nous avons préparé un petit souper, à la maison. Ne pouvez-vous, avant de partir, le partager ? Cela ne vous retarderait guère.

Le capitaine n'eut qu'une brève hésitation avant d'accepter. Frère Jean, qui avait ôté ses ornements sacerdotaux, était revenu auprès des jeunes époux et les félicitait à son tour, en y joignant ses adieux. Le moine aussi partait la nuit même, profitant de cette trêve de Noël pour quitter la ville où le père de Macée l'avait caché. Il allait rejoindre la grande abbaye de Cluny, la plus puissante de la chrétienté, et y attendre que le mauvais génie eût desserré ses griffes.

— Je prierai Dieu chaque jour pour votre bonheur, dit-il à Catherine avec une dernière bénédiction... et aussi celle que nous avons tous aimée car je ne doute pas qu'elle ait pris sa place au séjour des bienheureux.

Son froc brun se fondit dans l'ombre et l'enfant de chœur fila sur ses talons en annonçant qu'il allait fermer l'église. Un instant plus tard, tout le monde avait regagné la rue enneigée. Le vent s'était levé et chassait des toits d'épais paquets de neige. Le son lointain des violes et des luths vint avec lui par-dessus les maisons muettes. Xaintrailles haussa les épaules.

— Il y a bal au palais !.... enfin, bal comme l'entend le Grand Chambellan, c'est-à-dire ce genre de fête auprès de laquelle une bacchanale est une distraction de couventine. A cette heure, tout le monde doit être superbement ivre. Mais c'est quand il est ivre que La Trémoille est le moins dangereux.

Une heure plus tard, Catherine était assise sur une sorte de chaise curule dans le cabinet de Jacques Cœur auprès d'Arnaud installé à ses pieds sur un carreau de velours. Et tous deux écoutaient Xaintrailles leur faire le point de la situation. Le souper de mariage avait été vite expédié : d'abord parce que le capitaine voulait avoir quitté la ville avant le jour, ensuite parce que la raréfaction du ravitaillement ne permettait plus guère de festins somptueux. La famine qui sévissait dans les campagnes, née des incessantes dévastations de la guerre, atteignait même les riches cités où les réserves se tarissaient. Même un homme aussi avisé que Jacques Cœur se trouvait frappé par les restrictions obligatoires et le plus clair du repas de noces avait consisté en une énorme potée aux choux, éminemment nourrissante, mais fort peu raffinée. Catherine, en ce qui la concernait, n'en avait mangé que modérément et s'était rattrapée sur les raisins séchés qui avaient formé le dessert.

Maintenant, la dernière goutte de vin de Sancerre avalée, la dernière santé portée au bonheur des jeunes époux, Xaintrailles tentait, une fois encore, de faire entendre à son ami ce qu'il estimait être la voix de la raison. L'équipement guerrier du capitaine avait, en effet, réveillé dangereusement l'instinct combatif d'Arnaud.

— Le mieux, disait Xaintrailles, c'est que vous demeuriez cachés ici, puisque maître Cœur ne demande qu'à vous garder. La reine Yolande reviendra, et elle saura, elle, faire comprendre au roi Charles que La Trémoille le conduit à sa perte, elle saura te faire rendre justice et...

Je t'arrête tout de suite, coupa Montsalvy. Il ne saurait être question de demeurer ici. Ce n'est pas être ingrat envers nos amis que leur avouer combien l'inaction me pèse. J'étouffe... Tu me connais trop pour ne pas savoir que j'ai horreur de ce que l'on appelle la tranquillité. On m'a attaqué, j'entends me défendre et me venger.

— C'est ridicule. Je t'ai dit que tu ne pouvais rien faire.

— Je peux, du moins, rentrer chez moi, dans mes monts d'Auvergne. J'ai des terres, des paysans, une forteresse puissante, j'ai mon pays qui m'attend. C'est là, et nulle part ailleurs, que doit naître mon fils.

— Tu es fou... Traîner une femme enceinte sur les grands chemins...

Tout de suite, Catherine, sans lui laisser le temps de répondre, noua ses bras autour du cou d'Arnaud.

— S'il part, je pars avec lui !

Il l'embrassa doucement, avec les précautions que l'on réserve à un objet fragile.

— Ma douce, il a raison. Et moi, j'ai parlé en égoïste. C'est l'hiver, les chemins sont rudes et notre enfant est à deux mois de voir le jour. Il vaut mieux, pour toi et pour lui, demeurer ici, à l'abri, tandis que j'irai...

Un regret poignant perçait sous la voix du jeune homme, mais, brusquement, Catherine s'écarta de lui, laissant glisser ses bras. Un pli dur barra son front.

— Voilà donc ton amour ? A peine unis, tu parles déjà de me quitter, de t'en aller loin de moi... Et pourtant, tu as dit tout à l'heure : « Jusqu'à ce que la mort nous sépare... »

— Mais l'enfant ?

— L'enfant ? Il est ton fils ! Il sera un Montsalvy, un homme comme toi, un vrai ! Et moi qui suis déjà sa mère, j'entends être digne de vous deux. C'est toi qui avais raison, tout à l'heure ; mieux vaut pour lui naître sur une balle de paille sur la terre de ses pères plutôt que dans la douceur d'un lit étranger, loin de toi. Pars si tu veux, mais sache bien que, même si tu me le défends, je te suivrai comme je t'ai suivi à Orléans, comme je t'ai suivi à Rouen, comme je t'ai suivi dans la Seine et comme je te suivrai au tombeau s'il le fallait.

Elle s'arrêta, rouge d'émotion, un peu haletante. Sa poitrine soulevait spasmodiquement le drap vert de sa robe et ses grands yeux brûlaient d'indignation. Arnaud, brusquement, se mit à rire, se releva sur un genou, l'attrapa aux épaules et la serra contre lui.

— Morbleu ! Madame de Montsalvy, vous avez parlé comme l'aurait fait ma mère ! (Puis, plus doucement :) Tu as gagné, mon amour ! Va pour l'aventure, le froid, la nuit, la guerre s'il le faut, et que Dieu pardonne si je fais une sottise.

Les yeux de Xaintrailles allaient du visage d'Arnaud à celui de Catherine.

— Ainsi, tu as pris ta décision ?

Arnaud se retourna vers lui. L'orgueil flambait sur son visage.

— Elle est prise. Nous partirons.

— C'est bien. Dans ce cas, autant tout te dire. Les nouvelles sont mauvaises et aussi bien tu les aurais apprises avant peu. Il se prépare, en Auvergne, d'étranges choses. La Trémoille réclame le comté comme son fief-Arnaud sursauta. Une lente rougeur s'étendit sur son front. Ses yeux noirs étincelèrent de colère.

— L'Auvergne ? De quel droit ?

— De celui qu'il s'arroge. Tu te souviens qu'en premières noces, il avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne de Boulogne, héritière d'Auvergne. Celle-ci, en mourant, a légué son fief à son neveu, Bertrand de Latour.

— Tu me la bailles belle, grogna Montsalvy en haussant les épaules, Latour est de ma famille. Sa femme, Anne de Ventadour, est la nièce de ma mère. Nous sommes cousins et du plus proche lignage.

— Parfait ! Mais La Trémoille n'en réclame pas moins le pays en tant qu'héritier de sa première femme. C'est parfaitement illégal, bien sûr, mais depuis quand se soucie-t-il de légalité ? suivi dans la Seine et comme je te suivrai au tombeau s'il le fallait.

Elle s'arrêta, rouge d'émotion, un peu haletante. Sa poitrine soulevait spasmodiquement le drap vert de sa robe et ses grands yeux brûlaient d'indignation. Arnaud, brusquement, se mit à rire, se releva sur un genou, l'attrapa aux épaules et la serra contre lui.