Elle s'efforçait de ne pas regarder les yeux dangereux qui la dévisageaient cruellement et de faire bonne contenance.
Elle s'efforçait surtout de cacher la joie de savoir son ami hors de danger, car il ne pouvait pas avoir succombé dans le fleuve. Il l'avait vaincu comme il avait vaincu le fauve, elle en était certaine.
— Qui sait ? murmura Gilles doucement. J'y songerai peut-être. Vous avez gagné cette partie, mais tout n'ira pas toujours à votre plaisir. J'ai encore votre sorcière et si elle ne marche pas au mien, elle paiera pour deux. Holà, Poitou, mon cheval !
Le page aux yeux baissés amena Casse-noix qu'un valet avait bouchonné de son mieux. Le grand étalon noir était encore luisant de sueur et encensait, les yeux fous. Gilles s'enleva en selle lourdement, brocha des éperons et fonça au plein de la forêt sans plus s'occuper du reste des chasseurs. Anne de Craon rapprocha Korrigan de Morgane que Catherine caressait doucement.
— Il faudra vous tenir sur vos gardes, murmura-t-elle sans bouger les lèvres parce que Roger de Briqueville la suivait de près. Cette nuit, Catherine, fermez votre porte au verrou et n'ouvrez à personne.
— Pourquoi ?
— Parce que, cette nuit, le Diable sera le maître à Champtocé. Gilles a essuyé une défaite, il faudra qu'il l'efface...
Pendant trois jours, Catherine demeura enfermée dans sa chambre sans en sortir. Gilles de Rais lui avait fait savoir qu'il ne souhaitait pas sa présence. Elle ne vit même pas Anne de Craon qu'une mauvaise fièvre tenait au fond de son lit.
Chose étrange, durant tout ce temps, le château sembla plongé dans le sommeil. Un profond silence l'enveloppait. On ne baissait même pas le pont-levis et, si les serviteurs faisaient leur service, ils le faisaient sans plus de bruit que des ombres.
A la petite servante qui lui apportait ses repas, Catherine demanda ce qui se passait.
— Je ne pourrais vous le dire, gracieuse Dame. Monseigneur Gilles est enfermé dans ses appartements avec ses familiers et il est interdit, sous peine de mort, de les déranger de quelque manière que ce soit...
La fille, une petite Bretonne ronde et rose, osait à peine ouvrir la bouche. Elle avait l'air de craindre que l'écho de ses paroles ne perçât les murs et n'allât frapper les oreilles susceptibles du maître.
— Et dame Anne ? demanda Catherine, comment va-t-elle ?
— Je ne sais. Elle aussi est enfermée chez elle et seule dame Aliénor, sa dame de parage, est autorisée à pénétrer dans sa chambre. Excusez-moi, gracieuse Dame, je ne dois pas m'attarder...
La petite servante avait hâte de s'esquiver et Catherine n'osa pas lui poser d'autres questions. Le sort de Sara la tourmentait et elle se désespérait de n'en rien savoir. Mais comment faire quand sa porte était barricadée et que, parfois, le pas ferré d'un soldat lui faisait comprendre qu'elle était gardée ?
Au soir du quatrième jour, cependant, les verrous jouèrent pour quelqu'un d'autre que la camériste. La porte s'ouvrit livrant passage à Gilles de Sillé, le cousin du sire de Rais et son âme damnée. Il avait le même âge que Gilles mais aucunement son allure.
Courtaud, trapu, les épaules massives et le ventre plat, sa figure rouge brique s'ornait d'un nez camard et d'une paire d'yeux bleu pâle, étonnamment froids et dépourvus d'expression. Des chausses violettes, un pourpoint sang-de-bœuf brodé d'un lion d'or l'habillaient sans élégance, mais une dague de taille impressionnante était accrochée à sa ceinture. Les pouces passés dans ladite ceinture, les jambes écartées, il resta un moment au seuil de la porte de Catherine, sa tête brune relevée avec arrogance. Puis, comme la jeune femme lui tournait le dos avec un haussement d'épaules, il se mit à rire.
— J'ai quelque chose à vous montrer, dit-il au bout d'un moment. Jetez donc un coup d'œil dans la cour...
Comme la nuit, depuis longtemps, était venue, Catherine avait fermé les volets intérieurs de sa chambre. La journée, celle de la Toussaint, avait été si triste ! Pleine de brume qui pénétrait en longues écharpes jaunes dès qu'une fenêtre s'ouvrait, un brouillard dense portant des relents d'eaux mortes et d'herbe pourrie ! Catherine, qui n'avait même pas eu le droit d'entendre la messe à la chapelle, s'était recroquevillée chez elle, s'y calfeutrant comme un animal frileux.
Lentement, elle alla vers la fenêtre, rabattit le volet. Les lueurs de torches qui s'agitaient en bas dansèrent sur son visage à travers les petits carreaux en losange sertis de plomb. Elle ouvrit la fenêtre, se pencha. Éclairés par les torches que portaient des soldats, des ribauds allaient et venaient, maniant des bûches et des fagots qu'ils entassaient autour d'un poteau de bois noir d'où pendaient des chaînes. Avec une exclamation d'horreur, Catherine se rejeta en arrière, pâle jusqu'aux lèvres. Son regard affolé croisa celui, narquois, de Sillé.
— Eh oui ! Gilles a décidé que, demain, jour des Trépassés, il y aurait un mort de plus et que votre démon familier s'en irait en fumée...
Ce n'est pas possible ! chuchota Catherine plus pour elle-même que pour son déplaisant visiteur. Ce n'est pas possible ! Il ne peut pas faire ça !
— Il va se gêner ! rétorqua l'autre avec un gros rire. Elle s'est conduite comme une sotte, votre sorcière, ma belle. Si elle avait été plus maligne, elle n'en serait pas là. Mais vous aurez au moins la consolation d'assister à la chose...
Sur la table où refroidissait le souper auquel Catherine n'avait qu'à peine touché, il prit une perdrix et mordit dedans aussi simplement que s'il se fût agi d'une pomme. Il se versa un gobelet de vin, l'avala d'un trait et s'essuya la bouche au revers de sa manche de velours, puis se dirigea vers la porte.
— Faites de beaux rêves, belle Dame ! Dommage que vous soyez en cet état et que mon beau cousin ait défendu qu'on vous touche ! J'aurais aimé vous tenir compagnie plus longtemps.
La tête tournée vers la fenêtre d'où venaient les bruits sinistres de la cour, Catherine demeura immobile jusqu'à ce qu'elle eût entendu la porte se refermer sur Sillé. Alors seulement, elle fléchit les genoux jusqu'à ce qu'ils touchassent terre, enfouit son visage dans ses mains.
— Sara ! sanglotait-elle tout bas. Ma pauvre Sara !
Les bruits de la cour s'éteignirent, le reflet des torches disparut et même la chandelle se consuma presque entièrement dans son bougeoir de fer noir sans que Catherine eût quitté sa position prostrée. Écrasée de chagrin, elle priait et pleurait alternativement, ne sachant plus vers qui se tourner, qui implorer pour obtenir secours. Il lui semblait être au fond d'un puits profond, aux murailles lisses qui ne permettaient pas de s'agripper. Le puits, lentement, s'emplissait d'eau et elle savait que cette eau, à certain moment, finirait par l'étouffer, mais elle n'avait aucun moyen d'y échapper...
Ce fut la froide humidité venue de la fenêtre ouverte qui la tira de son désespoir. Cela l'enveloppait comme une chape glacée et, dans la chambre, on n'y voyait presque plus. Péniblement, elle se releva, prit une chandelle neuve sur un dressoir, l'alluma à la flamme mourante de sa devancière. Puis elle ferma la fenêtre. Dans la cheminée, le feu, lui aussi, agonisait. Elle prit quelques bûches dans le renfoncement de l'âtre, les plaça sur les braises et actionna le soufflet de cuir pour ranimer la flamme. C'étaient des gestes tout simples, humbles et familiers, mais ils la ramenaient aux jours heureux de jadis, à la maison du Pont-au-Change ou bien chez l'oncle Mathieu, dans le magasin de draperie de la rue du Griffon à Dijon, quand le caprice d'un prince ne l'avait pas encore arrachée à sa condition modeste pour en faire une grande dame.
Assise sur la pierre de l'âtre, les mains nouées autour des genoux, elle regarda les flammes renaître, s'élever et l'envelopper d'une douce chaleur.
Brusquement, elle ferma les yeux. Ce feu joyeux ravivait le cauchemar ! Le feu terrible... dévorant, qui, demain, envelopperait Sara pour la jeter, hurlante et torturée, dans l'éternité. Et elle était là, elle, Catherine, impuissante et prisonnière, obligée de subir son destin implacable. Mais, aussi subitement qu'elle les avait fermés, elle rouvrit les yeux, un immense étonnement au fond de leur profondeur nocturne. Vivement, elle porta les mains à son ventre où quelque chose avait remué. L'enfant ! Le fils d'Arnaud venait, pour la première fois, de manifester sa vitalité ! Une onde de bonheur attendri la parcourut et, par contrecoup, lui rendit un peu de courage. Son petit, était-il vraiment possible qu'il vît le jour dans ce château maudit ? Qu'il reçût la vie d'une malheureuse captive ? Que son premier cri ne fût pas celui d'un homme libre ? De l'autre côté du fleuve, Gauthier le Normand devait scruter la brume, interroger la rive de Champtocé. Il fallait qu'elle tentât quelque chose, qu'elle allât vers Gilles une fois encore implorer, s'humilier s'il le fallait, mais arracher, à quelque prix que ce fût, la grâce de Sara. Mue par une impulsion irrésistible, elle courut à la porte. Elle devait d'abord attirer l'attention du soldat de garde, obtenir de lui qu'il la laissât sortir ou bien qu'il acceptât d'aller chercher Gilles de Rais... ou tout au moins Sillé. Elle agrippa la poignée de la porte pour la secouer. À sa grande surprise, le battant, sans grincement, s'ouvrit de lui-même. Au-dehors, le couloir était plongé dans les ténèbres, le silence était complet. Tout le monde devait dormir au château.
Catherine n'avait aucun moyen de savoir l'heure qu'il était. Le sablier s'était écoulé depuis longtemps sans qu'elle songeât à le retourner et la seule horloge était dans la grande salle. La chapelle avait peut-être sonné quelque chose, mais, du fond de son chagrin, elle n'avait rien entendu. Pourtant, elle était décidée à tenter sa chance coûte que coûte !
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