Catherine remonta en selle sans aide tandis qu'Anne enfourchait de nouveau son grand alezan sur la croupe duquel Gauthier sauta à son tour.
— Allons ! fit joyeusement la vieille dame. Suivez- moi de près, Catherine...
Malgré sa double charge, l'alezan doré s'enleva comme une plume. La petite jument blanche le suivit docilement. Il y avait beau temps que Morgane avait cessé de résister à Catherine. La race, en elle, avait senti une main souveraine et ne se rebellait plus. La course folle reprit. On franchit un ruisseau à l'eau claire comme du cristal qui avait des reflets ambrés au soleil, brun rouge à l'ombre. Derrière, on trouva des rochers peu élevés que les chevaux escaladèrent aisément.
— Pas de trace possible sur la pierre, cria Anne. Ne me serrez pas tant, mon ami, vous m'étouffez. Je ne suis pas le léopard, moi !
En effet, Gauthier avait ceinturé l'intrépide chasseresse et ne mesurait pas suffisamment ses forces. Sous sa coiffure verte, elle était très rouge. Catherine l'entendit marmonner :
— Il y a bougrement longtemps qu'on ne m'a pas pincé la taille !
Mais les cavaliers ne ralentissaient pas pour autant. Le bruit de la chasse s'estompait dans le lointain et, bientôt, une étendue d'eau aux éclats de mercure brilla entre les arbres clairsemés. Naseaux fumants, les deux bêtes jaillirent de la forêt.
— C'est seulement un petit bras de la Loire, dit Anne. Il faut traverser. Ce n'est pas profond...
Elle lança son cheval dans l'eau, la franchit aisément et reprit pied sur une grande prairie où paissaient des moutons. La silhouette noire d'un vieux berger en houppelande se dessinait sur les nuages d'un ciel qui s'obscurcissait. On parvint bientôt au fleuve proprement dit. Il s'étalait, large, jaune et tumultueux, grossi des dernières pluies. De l'autre côté se dressaient des maisonnettes, un château et un petit port avec des navires ronds, tassés dedans comme des œufs dans une couveuse. Anne de Craon arrêta son cheval au bord de l'eau, désigna le village de sa houssine.
— Là-bas, c'est Montjean, le fief de ma fille Béatrice, la mère de la dame de Rais. Elle n'a jamais eu à se louer de son gendre. Les hommes de Gilles ne s'aventurent jamais sur ses terres depuis qu'il a tenté de les arracher à Béatrice en menaçant de la noyer en Loire. Savez-vous nager, mon garçon ?
— Comme un saumon, noble dame ! Il ferait beau voir qu'un Normand ne sût pas nager.
— Peut-être, mais vous avez perdu beaucoup de sang. Aurez-vous la force de traverser ? La Loire est rude à cet endroit. Malheureusement, votre salut est à ce prix.
— J'aurai la force, répondit le Normand, les yeux sur Catherine qui lui souriait. Et, une fois à Montjean, que ferai-je ?
— Allez au castel. Dites au sénéchal Martin Berlot que je vous envoie et attendez.
— Quoi ? Ne puis-je demander du secours pour dame Catherine ?
Anne de Craon haussa les épaules.
— Il n'y a pas dix soldats à Montjean et le seul nom de Gilles les fait rentrer sous terre. Ce sera déjà beaucoup que Berlot vous reçoive sans histoire. S'il se fait tirer l'oreille, dites-lui que je le ferai pendre à la première occasion ; cela le décidera. Quant au reste, mieux vaudra voir venir et attendre que votre maîtresse parvienne à sortir du guêpier où elle est tombée. À moins, ajouta-t-elle avec hauteur, que vous ne préfériez rentrer chez vous...
— Là où est dame Catherine, là est mon chez-moi ! affirma Gauthier avec un orgueil qui contrebalançait celui d'Anne.
Celle-ci eut un mince sourire.
— Tête dure, hein ? Tu n'es pas normand pour rien, l'ami ! Fais vite maintenant, il faut que nous rentrions.
Pour toute réponse, Gauthier glissa à terre, se tourna vers Catherine qui, les larmes aux yeux, le regardait du haut de sa selle.
— Dame, fit-il ardemment, je suis toujours votre serviteur et je vous attendrai autant qu'il vous plaira. Prenez soin de vous.
— Prends soin de toi ! répondit la jeune femme, enrouée par l'émotion. J'aurais peine à te perdre, Gauthier.
Spontanément, elle lui tendit sa main sur laquelle, avec une brusquerie maladroite, il appuya ses lèvres. Puis, sans se retourner, il courut au bord de la petite grève, plongea dans le fleuve. Les deux femmes le virent fendre l'eau d'une nage puissante. Ses immenses bras frappaient le flot jaunâtre comme un forgeron son enclume et, traçant un sillon écumeux, Gauthier se dirigea vers le milieu du fleuve. Catherine, lentement, se signa.
— Dieu le protège... murmura-t-elle, bien qu'il ne croie pas en lui.
Anne de Craon eut un bref éclat de rire. Ses yeux vifs se posèrent sur la jeune femme avec amusement.
— J'aimerais bien savoir, ma chère, où diable vous recrutez vos serviteurs. Vous n'en avez que deux, mais ils sont pittoresques ; une fille de Bohême et un païen nordique. Peste !
— Oh, fit Catherine avec un sourire mélancolique, j'avais mieux encore, un médecin maure... un homme merveilleux !
Une écharpe de brume qui traînait à ras de l'eau engloutit bientôt la grosse tête rousse du Normand. Anne de Craon fit volter son cheval.
— Il est temps de rentrer, dit-elle. Songez que nous avons encore à galoper. Il nous faut retrouver la chasse avant qu'elle ait quitté la forêt.
Durement éperonnés, les chevaux filèrent à travers la prairie où le vent couchait les herbes folles. Le vieux berger, aussi immobile qu'une statue brune, les regarda passer. Au-delà du petit bras, le soleil, perçant un nuage, lança une flèche lumineuse qui incendia le sommet rouge d'un grand hêtre. Anne se retourna pour sourire à Catherine.
— J'ai faim ! dit-elle... et aussi, j'ai hâte de retrouver Gilles pour voir quelle figure il fait !
Sans répondre, Catherine lui rendit son sourire. Elle se sentait soulagée d'un poids immense. Sur sa gauche, le cri d'un canard sauvage éclata comme la trompette de la victoire. Gauthier était hors de portée de Gilles de Rais. Restaient Sara et elle-même. Mais ce premier succès n'était-il pas profondément encourageant ? Cherchant sur sa poitrine l'emplacement du petit reliquaire, elle le serra doucement.
— Merci, chuchota-t-elle. Merci, Barnabé...
CHAPITRE VI
La nuit d'octobre
Après un grand détour destiné à donner le change sur l'endroit d'où elles venaient, les deux femmes rejoignirent la chasse dans la clairière où Gauthier avait livré au léopard son courageux combat. Elles tombèrent comme la foudre au plein milieu d'une scène de violence. Gilles de Rais, debout auprès du cadavre du fauve, faisait pleuvoir sur ses chiens une grêle de coups de fouet. Une colère folle le possédait et les bêtes, terrifiées, se couchaient à ses pieds, gémissant faiblement sous les coups cinglants de la lanière. Autour, immobiles comme des statues équestres, les compagnons de Rais regardaient, impassibles. En voyant surgir les deux femmes, Gilles fit volte-face et les apostropha violemment.
— D'où sortez-vous, toutes deux ? Où étiez-vous ? Êtes-vous aussi incapables que ces corniauds ?
Anne de Craon leva un sourcil dédaigneux et haussa les épaules, tout en flattant, pour le calmer, l'encolure mouillée de sueur de son cheval.
En fait d'incapacité, je crois, Gilles, que vous n'avez rien à nous envier. J'ai vu votre cheval prendre le mors aux dents et filer sur la trace des chiens. Le mien a préféré pister le léopard et celui de dame Catherine a suivi.
Les prunelles de Gilles se rétrécirent tandis qu'il s'approchait de Catherine et posait la main sur l'encolure de Morgane.
— Il est étrange, ne trouvez-vous pas, que Morgane ait suivi Korrigan plutôt que Casse-noix ? Ou bien ai-je méconnu vos qualités de cavalière ?
— Je ne suis pas maîtresse des fantaisies d'une haquenée, répondit Catherine du bout des lèvres. Morgane a suivi qui lui a plu et moi j'ai suivi Morgane... par force. Je ne vous ai même pas vu partir. Et je pensais que vous nous suiviez.
Mais les bêtes semblaient folles et filaient sur la piste du félin...
— Dont, en général, elles ont une peur bleue ? Vous m'étonnez. Puis-je vous demander si vous avez trouvé le fugitif?
La voix de Gilles était devenue un miracle de douceur et contrastait fortement avec le fouet taché de sang que sa main crispée tenait encore. Ce fut sa grand-mère qui se chargea de répondre.
— Nous en sommes venues là où vous en êtes vous-même, beau-fils, dit-elle avec quelque hauteur. Quand nous avons débouché dans cette clairière, nous avons trouvé le fauve mort, mais encore tout chaud. Du prisonnier il n'y avait pas trace, sinon celles de son combat avec la bête qu'il avait tuée. Mais pour le reste, on jurerait qu'il s'est évanoui dans les airs. Nous avons battu la région tout autour et suivi le ruisseau pendant un bon moment, mais nous n'avons rien trouvé.
— Vous, non, mais elle ? grinça Gilles, un doigt tremblant tendu vers Catherine.
Anne de Craon ne broncha pas.
— Dame Catherine ne m'a pas quittée d'une semelle, dit-elle calmement. Il fallait bien que je la surveille puisque vous aviez disparu. Que s'est-il passé, au juste ?
Gilles haussa les épaules avec emportement et jeta son fouet à un valet.
— Ces idiots de chiens, Satan seul sait pourquoi, ont pris le change sur un ragot qui nous a fait voir du pays jusqu'au-delà de l'abbaye ! Maintenant, ils sont fourbus et mon léopard est mort ! Il vous faudra payer aussi pour cette mort, belle Catherine. Un fauve de chasse est une bête sans prix.
— Quand vous m'aurez dépouillée de tout ce que je possède, riposta Catherine sèchement, je ne vois pas ce que vous pourriez encore m'enlever de surcroît... hormis la peau !
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